Homélie du troisième dimanche de Carême

8 mars 2021

Des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? »
Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. »

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Texte de l’homélie :

Il y a un très grand danger pour notre foi, et on le trouve dans l’écriture proposée en ce jour. Dans la deuxième lecture, il est dit :

« Nous proclamons un messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. »

Si les actes, si les paroles de Jésus ne sont pas pour nous soit un scandale, soit de la folie, s’ils ne nous heurtent pas, si nous entendons cette phrase comme concernant « les autres », les Juifs, les païens, mais qu’elle n’est pas pour nous, c’est que, d’une certaine façon, nous n’avons pas ouvert notre cœur à la parole du Seigneur. Pourquoi ? parce qu’au temps de Jésus, cette distinction entre Juifs et nations permet de faire allusion à toute l’humanité dans la mentalité des auteurs de l’Ecriture.

Et si vous voulez une preuve, prêtez attention au raisonnement de Saint Paul au début de l’Epître aux Romains quand il fait la démonstration que « tout homme est pécheur ». Il prend deux caractéristiques de notre humanité :

  • le Juif, celui qui connaît la loi, mais qui ne la suit pas, qui dit mais ne fait pas…
  • les nations qui ne connaissent pas la Loi et qui suivent leur instinct, leur humanité dans toute sa force, sa violence et son désir…

Donc, avec l’Evangile d’aujourd’hui, l’Eglise nous aide un peu parce que c’est beaucoup plus facile d’être choqué par le "doux Jésus" qui chasse avec violence les marchands du Temple.

Imaginez qu’aujourd’hui, quelqu’un se lève et arrivant à Lourdes, tape et déloge tous les marchands, non seulement ceux des boutiques au alentours - admettons qu’ils ne sont pas dans le sanctuaire - mais la belle librairie qu’il y a sur le site avec la vente des cierges qu’il y a à l’intérieur, et puis le lieu des offrandes de messe, etc… Que dirions-nous de cela ?
Lorsqu’il y a un acte de violence, il y a deux réactions possibles dans les médias avec cette question : "Est-ce un fanatique ou est-ce un fou ?"

Scandale pour les Juifs, folie pour les païens. centre

Avouons qu’il n’y a pas que ce geste de Jésus, qu’il n’y a pas que Sa croix qui pose question. Si on se met à écouter en vérité Sa parole, on est souvent dérouté :

« Heureux les pauvres ! »
« Si vous voulez commander, commencez par servir… »

Alors que nous pensons qu’il faut ruser, qu’il faut savoir placer ses pions… Et si l’on sert, ce ne serait que de la stratégie, pour arriver à nos fins !

« Vous serez grands si vous êtes tout petits… »

Il y en a tant que l’on peut reprendre ainsi…

Est-ce que Jésus agit aujourd’hui pour corriger un abus ? Agit-il contre le Temple ? Chez les exégètes, les opinions sont diverses, mais ce n’est pas cela qui va nous intéresser. Ce qui occupe Jésus, c’est le désir.

« Vous adorez à Jérusalem, vous adorez sur le Mont Garizsim, mais viendra un temps où vous adorerez en esprit et en vérité. »

Jésus nous fait naître à la vraie adoration de Dieu. Et pour commencer, nous avons la première lecture qui est là pour nous montrer le rapport. Dans le décalogue, nous avons les dix commandements. Nous les voyons peut-être souvent comme des limites à notre liberté, un cadre de morale bourgeoise, cette société judéo-chrétienne dénoncée par les médias et dont il faut se libérer pour inventer un nouvel homme.

Pourquoi ? parce que l’on a vidé de son sens, on n’a pas écouté les commandements comment ils le méritent. Comment commencent les dix paroles ?
On nous dira que ces codes, ces commandements et principes moraux, on les trouve dans d’autres textes des civilisations d’Israël et même avant, avec le code d’Hammourabi. Oui, mais si nous écoutions et si nous réveillions, nous saurions que le texte commence d’une toute autre manière.

« Je suis le Seigneur qui t’ai fait sortir d’Égypte. »

« Je suis le Seigneur ton Dieu ». Ce n’est pas un principe universel, c’est le Dieu de chacun, avec un lien personnel.

« Tu n’auras pas d’autre Dieu que le Seigneur ton Dieu, le seul. »

C’est le sens de la véritable adoration. Dans toute l’expérience d’Israël, Dieu est présenté comme le sauveur, celui qui libère. Le Dieu créateur, le principe de tout, d’une manière intellectuelle, c’est comme les dieux de l’Égypte qui sont la garantie de l’ordre, mais ce n’est pas un dieu vivant qui accompagne. Et ils viennent de faire une expérience extraordinaire : contre toute attente, Dieu les a fait sortir de l’esclavage, de la poursuite de Pharaon et de ses armées, et de manière totalement improbable, ils sont passés au milieu de la mer, sains et saufs… Alors ils proclament joyeusement combien Dieu est fort :

« Il nous a fait passer à main forte et à bras étendu ! »

Mais le signe qui était donné, après cela, c’est qu’ils vont adorer sur la montagne. Et c’est là que Moïse reçoit ces paroles. Elle sont données pour continuer dans le temps, dans la vie personnelle et communautaire, pour la société afin de poursuivre l’apprentissage à ne pas être esclave de ses passions, de ses désirs et de son esprit de domination, pour apprendre à continuer…
Ces paroles ne sont pas des commandements. Ce sont des paroles de vie qui sont données et qui nous indiquent le chemin. En plus, si vous regardez leur sens original en comparaison avec la traduction qu’on en a fait, avec toutes ces négations au présent de l’impératif : « ne pas…, ne pas…, ne pas… » vous découvrirez que le texte est écrit au futur :

« Tu n’auras pas d’autre Dieu… »
« Tu ne convoiteras pas la femme de ton voisin… »

C’est bien différent car, plus qu’un ordre, ces paroles sont une promesse. Dieu a promis de nous accompagner sur le chemin de la libération :

« …et je te donnerai le pouvoir de l’accomplir… »

Dieu veut notre bonheur. Ainsi, dans d’autres textes vont dans ce sens dans le Deutéronome :

« C’est pour ton bonheur que je te donne ces paroles… »

Autrement dit : c’est pour t’aider à être profondément libre, pour te garder du mal, te préserver de ce qui disperse notre unité personnelle et communautaire, pour te faire vivre profondément dans notre vocation au bonheur.

Dans le livre de l’Exode, il y a quelque chose de tout à fait étonnant. Comme vous le savez, ce livre se compose de deux parties : tout d’abord, Dieu sauve de l’esclavage, ce qui donne une partie du nom de Jésus – Jeshua « Dieu sauve », et dans la deuxième partie, c’est Dieu qui veut demeurer avec Son peuple, « l’Emmanuel », le deuxième nom de Jésus. Et dans cette partie qui dure des chapitres sont énoncés tous les éléments concernant le Temple. Puis, une autre partie du texte vient en réponse : « il fit ceci, il fit cela… » Et entre les deux, il y a le sujet de l’idolâtrie, c’est ce qui est le propre de l’homme. Le Père Jousse, Jésuite, disait :

« L’homme est une machine à inventer des dieux. »

Cela ne concerne pas uniquement ceux qui font des petites poupées fétiches, mais c’est le défaut principal de chaque être humain. Nous y retombons sans cesse. Si nous reprenons l’histoire du veau d’or, c’est ce jeune taureau qui représente la force de Dieu qui, à bras étendu nous a libérés, mais comme il ne revient pas, ils désespèrent. Ils demandent alors à Aaron, le frère de Moïse, de faire une représentation pour qu’il les conduise. Et le problème c’est qu’ils vont vivre avec cette image de Dieu, alors que Dieu est loin d’être une image : Il ne Se réduit pas à ce que j’en pense, à ce que j’en perçois. Il est le jaillissement de la vie !

Et, pour bien comprendre le Décalogue, ce qui est vrai par rapport à Dieu est vrai aussi par rapport au prochain, puisque l’Amour de Dieu et l’amour des hommes, c’est la même chose. Est-ce que je me « relationne » avec ce que je ressens, ce que je pense de l’autre, avec l’image que j’en ai – imaginative, intellectuelle, affective – ou est-ce que je me relationne avec la personne, avec le jaillissement de vie ? c’est ce que fait Jésus qui est capable, au contraire des Pharisiens, de s’approcher de tous les gens de mauvaise réputation et de venir réveiller, de venir toucher ce jaillissement de vie.

Alors, j’ai soulevé cette question : est-ce que c’est un abus des marchands qui prennent trop de place, ou est-ce que c’est une action contre le Temple ? Voyez, ce geste de Jésus qui reprend :

« L’amour de ta maison me tourmente et me dévore. »

Ce qui intéresse Jésus, c’est que nous puissions adorer en esprit et en vérité, avoir la juste relation avec Dieu et il nous faut pour cela écouter la parole, il faut qu’elle nous choque ! Si c’est juste de la poésie avec des paroles - « Aimez-vous les uns les autres… » - ou des histoires si belles qu’elles soient, on les connaît, mais ce n’est pas une parole de vie et c’est normal d’être choqués.
Mais, recevons-la avec le fond de notre cœur.

Ici, Jésus va au fond de ce qu’Il dit :

« Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le rebâtirai. »

C’est de Son corps qu’Il parle et Il va faire un déplacement, parce qu’au temps de Jésus, il n’y a plus qu’un lieu de sanctuaire, « un lieu où Dieu parle et donne ses yeux et son cœur », comme le dit un texte du Deutéronome. Ou encore, selon les mots d’Isaïe :

« De Sion sort la Torah, la Loi et les commandements de Jérusalem comme d’une source. »

Oui, mais Jésus vient opérer sur elle car Il est cette source de la Parole, et désormais c’est Lui, avec ce mystère de la Croix, ce Christ crucifié dans lequel est concentrée toute la parole de miséricorde, toute la parole de bonheur, cette parole d’enseignement pour nous guider, pour nous prendre la main et nous aider à vivre libres et heureux.

Ce sanctuaire, ce temple n’est plus ce bâtiment de pierre, ce lieu unique. Il devient le Christ ressuscité présent avec nous jusqu’à la fin, dans tous les temps, dans tous les lieux, disponible à se laisser approcher et à toucher notre cœur. Et c’est encore plus puisque ce temple, c’est nous-même : le temple, c’est vous, c’est moi.

« Souvenez-vous que vous êtes le Temple tout puissant… »

Vous êtes ce lieu où Dieu doit se révéler, où Il peut communiquer. En Lui habite toute la plénitude de la divinité et cette plénitude nous est transmise. Quelle responsabilité ! Voici de quoi avancer encore un peu dans notre chemin de Carême pour répondre à ce que Jésus veut nous dire.

Demandons alors cette grâce de nous réveiller pour recevoir les paroles de Jésus, même si c’est avec violence. Qu’elles puissent briser nos endormissements, toutes les raisons de nous défendre, et de nous construire par nous-mêmes, tous seuls.
Approchons-nous de Lui pour avancer avec Lui, pour nous laisser transformer et vivre dans cette liberté des enfants de Dieu,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Exode 20,1-17.
  • Psaume 19(18),8.9.10.11.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 1,22-25.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 2,13-25 :

Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem. Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs.
Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. »
Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : ‘L’amour de ta maison fera mon tourment.’
Des Juifs l’interpellèrent :
— « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? »
Jésus leur répondit :
— « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. »
Les Juifs lui répliquèrent :
— « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! »
Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite.
Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il accomplissait.
Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme.