Texte de l’homélie :
Bien chers frères et sœurs,
Il y a quelques temps, une association qui accompagne des personnes avec handicap, organisait un petit-déjeuner.
Mais voilà, le petit-déjeuner était « à l’aveugle ». Après avoir obturé votre vue, quelques volontaires vous emmenaient à votre place, il fallait alors se servir son café sans donner trop à boire à la table, mettre la confiture sur sa tartine sans s’en mettre plein les mains. C’était un bel exercice, on pouvait vite se rendre compte de la gêne, de la maladresse, voire parfois du danger que cela représente que d’être aveugle, que de ne pas voir.
Cela, c’est pour les yeux du corps.
Pour ce qui est de notre aveuglement spirituel, c’est différent.
Reconnaissons-le, il ne nous gêne guère, nous nous en accommodons fort bien, avec tous nos mécanismes de défense, toutes nos justifications, nous n’avons pas vraiment le sentiment de verser le café à côté, ou de trébucher sur la chaise au milieu du chemin. Il y a plein de choses que nous ne voulons pas voir, et qui pourtant peuvent nous faire du mal. Des choses de nous-mêmes, des choses sur le monde, des choses sur les autres, notre vision est souvent déformée, nous ne voyons pas, ou nous voyons mal, et du coup nous agissons mal.
Nous souffrons parfois inutilement, ou nous faisons souffrir, ou nous faisons des dégâts faute de discernement, nous sommes mauvais, ou nous rendons le monde plus mauvais, faute de le voir tel qu’il est. Parce que nous sommes comme ces pharisiens de la fin de l’Évangile, nous disons « nous voyons », c’est ce qui fait notre drame et comme dit Jésus « notre péché demeure ».
« Moi je sais », nos certitudes sont là, bien ancrées, certitudes qui vite se transforment en idéologie, en postures rigides devant les autres, devant la vie et devant Dieu.
Il y a, chers frères et sœurs, une conséquence du péché originel dont on ne parle guère.
C’est l’ignorance. Nous avons perdu une juste vision des choses, nous sommes entrés dans les ténèbres et les ténèbres que la Bible ne va cesser d’évoquer, parlant de nous comme de ceux « qui vivent dans l’ombre de la mort ».
Voilà pourquoi aujourd’hui le Seigneur, au milieu de ce carême, guérit cet aveugle.
Et Jean va donner toute la force symbolique de ce récit.
Comment Jésus nous guérit ?
La première des choses, c’est qu’il nous ramène à notre nuit.
La première façon de nous réveiller, ce sera d’accepter déjà que nous sommes dans le songe, nous sommes dans le sommeil. Reconnaissons-le, c’est souvent douloureux que de changer de vision du monde, de vision sur les autres, de vision sur nous-mêmes.
Dire « je me suis trompé », sur des points parfois tout simples, c’est un chemin. Nous faisons des erreurs sur les personnes, erreur de jugement souvent parce que nos jugements sont hâtifs, plein de préjugés, parfois erreur aussi sur de grandes options de la vie.
Souvenons-nous de Saint-Paul : Saint Paul ne respire que fureur contre les chrétiens, convaincu que ce sont des impies. Il est plongé dans la nuit, dans un aveuglement physique, pour qu’il puisse à travers cela expérimenter son aveuglement spirituel.
Lors de la 4e Conférence de Pékin, organisée par l’ONU, sur le droit des femmes, cette conférence fait la promotion du gender et tente d’inscrire l’avortement comme droit fondamental des femmes. Le Saint-Siège y envoya des représentants, un certain nombre de femmes, et l’une d’elles lors de ce colloque, rencontre dans les couloirs la grande féministe américaine Bella Abzug, elle qui avait milité pour l’avortement, pour le droit des gays, basée sur une autre vision de l’homme que celle des chrétiens.
La rencontre avec cette femme envoyée par Rome fut cordiale, chaleureuse même. Cette femme chrétienne lui expliqua, avec patience mais aussi certainement passion, la vision chrétienne de l’homme, de la femme, de la sexualité et Bella en fut profondément ébranlé. Ce fut pour elle une révélation, une illumination. Mais bien vite, dans les conférences suivantes, elle retrouva ses premiers combats, ses premières options.
Qu’il est parfois difficile de vivre une vraie remise en question !
Accepter sa nuit c’est donc cette première étape.
Mais comment poursuivre ?
S’approcher du Christ pour retrouver la vue
Jésus nous dit : « viens à moi »
« Éveille-toi ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. »
S’approcher du Christ, se laisser approcher de lui, retrouver la vue, chers frères et sœurs, c’est un processus lourd, grave.
Voyons comment Le Seigneur, dans Saint-Jean, guéri l’aveugle.
Il ne se contente pas d’un geste rapide comme dans d’autres récits de guérison. Jésus fait de la boue avec sa salive et de la terre : il reprend le geste créateur.
Retrouver la vue, c’est accepter d’être remodelé de fond en comble, reconfiguré, et les convertis savent bien le prix que cela coûte de changer la structure même de mon être.
Comme le disait Saint-Rémi à Clovis :
« Brûle ce que tu as adoré, adore ce que tu as brûlé. »
C’est finalement accepter de mourir pour renaître car nul ne peut voir Dieu sans mourir, mais nul non plus ne peut voir comme Dieu sans mourir. Appliquons cela à tous nos regards parfois faussés sur notre entourage, sur nos préjugés tellement ancrés.
Mais les instructions du Seigneur se poursuivent, il nous dit ensuite :
« Vas te laver à la piscine de Siloé. »
C’est une allusion au baptême que nous avons ici. C’est le baptême qui va nous greffer sur le Christ et nous faire partager la vision même que le Christ porte sur toute chose, sur le monde, sur son Père. Autrement dit retrouver la vue, c’est une grâce.
N’imaginons pas que le baptême est une sorte de flash intérieur où tous les voiles vont tomber tout d’un coup comme si on allumait la lumière dans une pièce obscure. Non, mais la grâce est semée en nous, elle agit patiemment, dans le temps, peu à peu. Elle va réordonner tout notre être, toute notre affectivité, toute notre intelligence. Nous avons un peu perdu cette vision.
Autrefois on appelait les néophytes, les nouveaux baptisés, les « illuminés » (φωτιζομένοι), ce que le Christ a illuminés. Mais il n’y a rien de magique dans tout cela, il faut accepter de mettre le Christ entre le monde et nous-même, entre nous même où nous-mêmes et entre Dieu et nous.
Combien d’illusions, si nous n’avons pas le Christ, nous nourrissons sur nous-mêmes : le découragement, l’orgueil… Le Christ est celui qui nous révèle notre misère et en même temps notre grandeur et comment sortir de notre misère.
Il va changer aussi notre regard sur les autres : nous faisons des catégories entre les bons et les méchants, comme cela va si vite en cette campagne électorale. Le Christ nous enseigne à reconnaître un chacun l’unique visage du Christ.
Il nous donne un nouveau regard aussi sur le monde : on peut dire que le monde est perdu, qu’il ne vaut rien, ou alors sombrer dans un optimisme béat. Le Christ nous révèle que son esprit de résurrection est à l’œuvre, mais cela prend du temps et cela nécessite notre engagement, notre coopération.
Il nous donne enfin un changement de regard sur le Père : combien avons-nous de caricatures sur Dieu ! Le Christ seul nous révèle un Dieu en qui seul notre cœur peut trouver la paix.
Simplement il faut du temps, il faut garder le Seigneur devons-nous sans relâche, c’est une longue rééducation.
Prenons de longues poses de contemplation du Seigneur dans son Eucharistie et dans sa Parole, sinon rien ne changera.
Acceptons aussi avant de vouloir voir Dieu, que lui nous regarde en profondeur, en lui ouvrant toute la profondeur de notre être, toutes les chambres de notre âme pour que sa lumière y pénètre, les transfigure, les purifie. Alors oui, notre regard sera renouvelé.
Demandons au aujourd’hui que la Vierge Marie nous entraîne sur ce chemin, qu’elle nous donne la persévérance, car c’est au terme de bien des luttes, des souffrances que nous commencerons à voir clair.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Premier livre de Samuel 16,1b.6-7.10-13a.
- Psaume 23(22),1-2ab.2c-3.4.5.6.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens 5,8-14.
- Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 9,1-41 :
En ce temps-là, en sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance.
Ses disciples l’interrogèrent :
— « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? »
Jésus répondit :
— « Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui.
Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour ; la nuit vient où personne ne pourra plus y travailler.
Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. »Cela dit, il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle,
et lui dit :
— « Va te laver à la piscine de Siloé » – ce nom se traduit : Envoyé.
L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait.
Ses voisins, et ceux qui l’avaient observé auparavant - car il était mendiant - dirent alors : « N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? »
Les uns disaient : « C’est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. » Mais lui disait : « C’est bien moi. »
Et on lui demandait :
— « Alors, comment tes yeux se sont-ils ouverts ? »
Il répondit :
— « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il me l’a appliquée sur les yeux et il m’a dit : “Va à Siloé et lave-toi.” J’y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j’ai vu. »
Ils lui dirent :
— « Et lui, où est-il ? »
Il répondit :
— « Je ne sais pas. »On l’amène aux pharisiens, lui, l’ancien aveugle.
Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.
À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir.
Il leur répondit :
— « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. »
Parmi les pharisiens, certains disaient : « Cet homme-là n’est pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. »
D’autres disaient : « Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? ». Ainsi donc ils étaient divisés.
Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle :
— « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu’il t’a ouvert les yeux ? »
Il dit :
— « C’est un prophète. »
Or, les Juifs ne voulaient pas croire que cet homme avait été aveugle et que maintenant il pouvait voir. C’est pourquoi ils convoquèrent ses parents et leur demandèrent :
— « Cet homme est bien votre fils, et vous dites qu’il est né aveugle ? Comment se fait-il qu’à présent il voie ? »
Les parents répondirent :
— « Nous savons bien que c’est notre fils, et qu’il est né aveugle. Mais comment peut-il voir maintenant, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer. »
Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet, ceux-ci s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ.
Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! »Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l’homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent :
— « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. »
Il répondit :
- « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien. Mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle, et à présent je vois. »
Ils lui dirent alors :
— « Comment a-t-il fait pour t’ouvrir les yeux ? »
Il leur répondit :
— « Je vous l’ai déjà dit, et vous n’ave z pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre encore une fois ? Serait-ce que vous voulez, vous aussi, devenir ses disciples ? »
Ils se mirent à l’injurier :
— « C’est toi qui es son disciple ; nous, c’est de Moïse que nous sommes les disciples. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-là, nous ne savons pas d’où il est. »
L’homme leur répondit :
— « Voilà bien ce qui est étonnant ! Vous ne savez pas d’où il est, et pourtant il m’a ouvert les yeux. Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce. Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. »
Ils répliquèrent :
— « Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors.Jésus apprit qu’ils l’avaient jeté dehors.
Il le retrouva et lui dit :
— « Crois-tu au Fils de l’homme ? »
Il répondit :
— « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »
Jésus lui dit :
— « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. »
Il dit :
— « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui.
Jésus dit alors : — « Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. »Parmi les pharisiens, ceux qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous aveugles, nous aussi ? »
Jésus leur répondit : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : “Nous voyons !”, votre péché demeure. »