Homélie du premier dimanche du Carême

2 mars 2020

« Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient. »

Il n’y a pas d’enregistrement pour cette homélie, veuillez nous en excuser…

Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés, par les lectures de ce premier dimanche de carême, l’Eglise veut donner le ton, si je puis dire.

« Pourquoi le Carême ? pourquoi la Croix ? la réponse, en termes radicaux, est celle-ci : parce que le mal existe, et même le péché qui, selon les Ecritures, est la cause profonde de tout mal. » (Benoît XVI, 13 mars 2011)

Qu’est-ce que j’écoute ?

L’écoute du Tentateur

Tant qu’Adam et Eve ont confiance en la parole de Dieu, ils vivent heureux dans le Paradis. Ils ne comprennent peut-être pas l’interdit de Dieu (qui est en fait l’explicitation de leur limite de créature) mais ce n’est pas un problème pour eux car ils ont confiance en Dieu.
Satan interprète cette limitation comme un effet de la jalousie de Dieu, comme une rivalité, comme une opposition. Satan, l’Accusateur, le Calomniateur, l’Adversaire, a inoculé le venin du soupçon dans le cœur d’Eve. Satan présente Dieu comme quelqu’un qui voudrait garder jalousement ses prérogatives.

L’écoute de la Parole de Dieu

Comment Jésus résiste-t-il à la tentation ? Il recourt à la Parole de Dieu. Il n’entre pas en discussion avec le démon. Il recourt à toute la Parole de Dieu et pas seulement à certains passages comme le fait Satan qui est doué pour isoler des versets de la Parole de Dieu de leur signification profonde. On ne peut résister à la tentation si l’on ne garde de la Parole de Dieu que les passages qui nous plaisent.

Avec son réalisme habituel, le pape François nous invite à traiter la Bible comme notre téléphone portable :

« Si nous la portions toujours avec nous – ou au moins le petit Evangile de poche – : qu’est-ce qui se passerait ? Si nous revenions en arrière quand nous l’oublions. Tu oublies ton téléphone portable : “Oh je ne l’ai pas, je retourne le chercher.
Si nous l’ouvrions plusieurs fois par jour. Si nous lisions les messages de Dieu contenus dans la Bible comme nous lisons les messages du portable, qu’est-ce qui se passerait ? » (5 mars 2017)

Qu’est-ce que je regarde ? Qu’est-ce qui est au centre de mon attention ?

L’écoute oriente notre regard. Quand on nous parle, on tourne la tête.
Il est intéressant de noter que le vocabulaire concernant le regard est très présent dans le récit du premier péché. Satan promet que les “yeux s’ouvriront” ; la femme regarde et considère le fruit :

« La femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. » (Traduction oecuménique de la Bible)

Mais la chute (dans les deux sens du mot !) est brutale : quand Adam et Eve ont pris le fruit, leurs yeux s’ouvrent effectivement mais ils ne voient pas ce qu’ils pensaient, ils voient qu’ils sont nus.

Quand on examine les choses d’un peu plus près, on voit qu’il y a eu un glissement dans le regard : quel est l’arbre qui se trouve au centre du jardin : l’arbre de la vie ou l’arbre de la connaissance du bien et du mal ? Dans le deuxième chapitre de la Genèse, on dit bien que c’est l’arbre de la vie (Gn 2, 9) ; dans le jardin d’Éden, il y a aussi l’arbre de la connaissance du bien et du mal mais on ne sait pas trop où il se trouve. Au chapitre 3, dans sa réponse au serpent, c’est Eve qui présente l’arbre de la connaissance du bien et du mal comme “l’arbre qui est au milieu du jardin” (Gn 3, 3). Il est très intéressant de noter ce déplacement. En prêtant l’oreille aux paroles du serpent, la vue se détourne du centre pour se focaliser sur une partie qui, en réalité, n’est pas au centre. Dans la réalité des choses, c’est bien l’arbre de la vie qui est au centre du jardin ; dans la perception d’Eve qui entre en dialogue avec le serpent : c’est l’arbre de la connaissance du bien et du mal.
Parce qu’elle a écouté la voix du soupçon, Eve se focalise sur l’arbre de la connaissance du bien et du mal : on dirait qu’elle met un zoom. Elle ne voit plus que cela. Elle perd de vue le reste pour ne voir que cela.
Ce qui est au centre, ce n’est plus le don de la vie. Elle ne voit plus que les limites de sa condition humaine créée. Eve ne voit plus le don de Dieu, elle ne voit plus que ce que Dieu ne lui a pas donné. Ce qui est premier, c’est la vie théologale (l’arbre de vie), pas la vie morale (l’arbre de la connaissance du bien et du mal).

Frères et sœurs, sans vouloir être indiscret, qu’est-ce qui occupe le champ de votre conscience ? Est-ce ce que vous avez ou ce qui vous manque ? Êtes-vous dans une attitude d’émerveillement et d’action de grâce ?

Comment je me situe par rapport à Dieu ?

Le regard, c’est un peu comme la tête pour un nouveau-né : « si la tête passe, tout passe ».
Le soupçon porté sur Dieu par le serpent est un poison mortel ; il empoisonne nos vies. Eve voit surtout la limitation qui est la sienne et ne l’accepte plus. Eve vit cela comme une frustration. À partir de ce moment, Elle voit Dieu comme un concurrent. Elle revendique alors la faculté de décider elle-même ce qui est bien et mal et d’agir en conséquence. C’est une revendication d’autonomie morale.

Adam et Eve entrent dans la logique de la revendication. Au lieu de tout recevoir comme un don gratuit, ils veulent prendre par eux-mêmes. Les promesses de Dieu sont de l’ordre de l’amour ; elles ne peuvent être reçues que comme des cadeaux ; l’amour ne s’exige pas, ne s’accapare pas, il se reçoit à genoux, dans l’action de grâce. Au lieu d’accueillir les dons comme des dons dans l’action de grâce, dans la reconnaissance, Adam exige, il revendique, … Il est sorti du registre de l’amour.
L’homme pécheur n’est plus dans la logique du service : il ne s’agit plus de servir Dieu mais de se servir de lui. Comme le dit Benoît XVI à propos des tentations de Jésus :

« Quel est le cœur des trois tentations que subit Jésus ? C’est la proposition d’instrumentaliser Dieu, de l’utiliser pour ses propres intérêts, pour sa propre gloire et son propre succès. » (Benoît XVI, 13 février 2013)
« Surmonter la tentation de soumettre Dieu à soi-même et à ses propres intérêts ou de le reléguer dans un coin et se convertir à une juste hiérarchie des priorités, donner à Dieu la première place, est un chemin que tout chrétien doit toujours se remettre à parcourir. » (Benoît XVI, 13 février 2013)

Jésus ne « revendique » pas sa royauté, elle lui est donnée. Comme le dit encore Paul dans la lettre aux Philippiens :

« Lui qui était de condition divine n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu, mais il s’est fait obéissant. » (Ph 2, 6)

J’aime bien ce que dit Theillard de Chardin :

« Se convertir, c’est se décentrer de soi-même pour se recentrer sur Dieu. »

Que la Vierge Marie, icône parfaite de l’obéissance à Dieu et de la confiance inconditionnelle dans sa volonté, nous soutienne sur le chemin du carême, afin que nous nous mettions à l’écoute docile de la Parole de Dieu pour réaliser une vraie conversion du cœur.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Genèse 2,7-9.3,1-7a.
  • Psaume 51(50),3-4.5-6ab.12-13.14.17.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 5,12-19.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 4,1-11 :

En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable.
Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit :
— « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
Mais Jésus répondit :
— « Il est écrit : ‘L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.’ »

Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple et lui dit :
— « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : ‘Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre.’ »
Jésus lui déclara :
— « Il est encore écrit : ‘Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu.’ »

Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. Il lui dit :
— « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. »
Alors, Jésus lui dit :
— « Arrière, Satan ! car il est écrit : ‘C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte.’ »

Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient. »