Texte de l’homélie :
Chers frères et sœurs,
Comme chaque année en début de carême, l’Église nous propose de méditer sur les tentations de Jésus et par ce biais même sur nos propres tentations. Cela se comprend assez bien : dans ce temps liturgique où nous sommes appelés à la conversion, un des premiers pas est de démasquer dans notre vie la tentation pour mieux y résister.
En ce dimanche, je vous propose donc de méditer sur plusieurs aspects caractéristiques de la tentation pour nous aider à être plus fidèles à Jésus. Pour cela, nous avons ce splendide récit de la Genèse qui n’est pas un récit journalistique mais l’œuvre d’un théologien qui décrit très finement les rouages de la tentation.
Un premier glissement
Le serpent commence son discours par :
« Alors, Dieu vous a dit : ‘Vous ne mangerez le fruit d’aucun arbre du jardin’ »
Il caricature la volonté de Dieu ; il fausse la perspective. En toute bonne foi, Eve veut rétablir la vérité : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour celui qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : ’Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.’ »
Or, quel est l’arbre qui se trouve au milieu du jardin ? Au début du texte, il est dit : « il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. » On ne sait pas trop où est l’arbre de la connaissance du bien et du mal. L’arbre qui est au centre, c’est l’arbre de vie dont l’homme peut manger des fruits à volonté. Eve ne se rend pas compte que déjà un déplacement s’est produit en elle : elle voit l’arbre de la connaissance du bien et du mal au milieu du jardin. Dans son esprit, ce n’est plus l’arbre de la vie qui est au milieu du jardin mais l’arbre de la connaissance du bien et du mal.
Ce qui est au centre du champ de sa conscience, ce n’est plus ce qu’elle a mais ce qu’elle n’a pas.
Frères et sœurs, sans vouloir être indiscret, qu’est-ce qui occupe le champ de votre conscience ? Est-ce ce que vous avez ou ce qui vous manque, ce que Dieu vous a donné ou ce que le monde vous propose ? Cela peut être une charmante personne qui est tellement au centre du champ de votre conscience que votre épouse, vos enfants et tout ce que vous avez pu construire de beau s’en trouvent sont comme marginalisés. Cela peut être aussi une forme d’addiction à l’alcool, aux moyens de communication numériques à un tel point que la vie réelle en est marginalisée. Il est important de savoir apprécier ce que nous avons plutôt que d’être sans cesse en mouvement vers ce qui nous manque. Et ainsi de savoir s’émerveiller et rendre grâces. La tentation a beaucoup moins de prise sur nous quand nous sommes dans la joie.
La rupture d’une digue qui entraîne la montée du désir
Il y a un lien étroit entre le soupçon jeté sur Dieu et la montée du désir. Tant qu’Ève reste convaincue de l’amour de Dieu à son égard, tant qu’elle a confiance en Dieu, elle peut contenir son désir.
Mais à un certain moment, le serpent avance une contre-vérité qui jette le soupçon sur l’amour désintéressé de Dieu : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »
Dieu apparaît comme un concurrent, comme quelqu’un qui est jaloux de son pouvoir et de ses prérogatives (c’est exactement le contraire que le Verbe de Dieu a fait : cf. Ph 2, 6).
A partir du moment où les convictions d’Eve sont entamées, c’est comme si les digues qui contenaient le désir sont rompues : « La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il avait un aspect agréable et qu’il était désirable, puisqu’il donnait l’intelligence. » Elle ne voit plus que ce fruit. Or au début du texte, il était dit qu’il y avait dans le jardin « toute sorte d’arbres à l’aspect attirant et aux fruits savoureux. » Mais l’unique fruit qui l’attire maintenant, c’est le fruit défendu. La véhémence de ce désir est telle qu’Eve suit son ressenti contre ce qui est le vrai bien. Son émotion devient un critère de vérité. Elle n’est plus en mesure de prendre du recul par rapport à ses émotions afin de les confronter à la volonté de Dieu.
C’est ainsi que l’on voit des gens sont profondément émus par un animal qu’on maltraite mais restent de glace devant des personnes humaines qui souffrent.
Il faut bien se rendre compte que nous ne faisons pas le mal pour le mal. Nous ne faisons le mal que dans la mesure où nous y trouvons un certain bien.
À ce stade, nous voyons qu’Ève est divisée : d’un côté, elle sait qu’il ne faut pas prendre de ce fruit mais d’un autre côté ce fruit lui fait très envie.
Comme le dit saint Paul :
« La chair convoite contre l’esprit. » (Ga 5, 17)
Il y a tentation lorsque le bien qui m’apparaît ne correspond pas à ce que je juge moralement bon pour moi. Même si cela ne suffit pas, nous voyons comme il est important de former sa conscience pour mieux résister à la tentation. Fortifier ses convictions ne se fait pas seulement par un travail intellectuel mais aussi par la prière.
La chute, aux deux sens du mot (la chute d’une histoire)
« Elle prit de ce fruit, et en mangea.
Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea. »
Non seulement Ève prend du fruit mais elle en donne à Adam. Il est étonnant de voir que nous n’aimons pas pécher tout seuls. Nous aimons aussi entraîner les autres, peut-être pour nous justifier, pour ne pas être seuls. C’est un aspect étonnant dans les revendications du lobby LGBT qui n’a pas peur de faire le prosélytisme du vice.
« Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus. »
La chute est rude : le serpent avait promis que leurs yeux s’ouvriraient mais lorsque leurs yeux s’ouvrent, ils ne se voient pas comme des dieux, ils ne connaissent pas le bien et le mal : « ils connurent qu’ils étaient nus. »
Ils s’attendaient à la gloire et la puissance, et ils font l’expérience de la vulnérabilité et de la honte à tel point que leur premier réflexe est de se cacher.
Les textes de la liturgie d’aujourd’hui ne nous sont pas donnés pour nous faire déprimer mais espérer :
- Tout d’abord, il est possible de résister à la tentation. Un premier mensonge, c’est de penser que c’est perdu d’avance alors que c’est le contraire.
Habituellement, dans le sport, nous savons que le mental a beaucoup d’importance : si on part battu d’avance, on risque effectivement d’être battus.
« Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces. Avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter » (1 Co 10,13 )
- Si hélas nous avons succombé à la tentation, une espérance nous est donnée en Jésus. J’aime bien notamment la dernière phrase du psaume que nous avons chanté :
« Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange. »
C’est aussi l’espérance qui se dégage de l’épître de Saint Paul :
« Le don gratuit de Dieu et la faute n’ont pas la même mesure. En effet, si la mort a frappé la multitude des hommes par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu a-t-elle comblé la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ. (…) »
« De même que tous sont devenus pécheurs parce qu’un seul homme a désobéi, de même tous deviendront justes parce qu’un seul homme a obéi. »
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de la Genèse 2,7-9.3,1-7.
- Psaume 51(50),3-4.5-6ab.12-13.14.17.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 5,12-19.
- Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 4,1-11 :
Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le démon.
Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit :
— « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
Mais Jésus répondit :
— « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »Alors le démon l’emmène à la ville sainte, à Jérusalem, le place au sommet du Temple et lui dit :
— « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus lui déclara :
— « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »Le démon l’emmène encore sur une très haute montagne et lui fait voir tous les royaumes du monde avec leur gloire.
Il lui dit :
— « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m’adorer. »
Alors, Jésus lui dit :
— « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c’est lui seul que tu adoreras. »Alors le démon le quitte. Voici que des anges s’approchèrent de lui, et ils le servaient.