Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs
Nous connaissons bien cette première lecture qui fait le récit du déluge. On sait bien que le déluge est un texte universel qui dépasse le cadre de la Bible et que l’on retrouve dans la littérature de l’ancien Orient, pour ceux qui ont fait du Latin, dans les textes d’Ovide que l’on a pu étudier…
Et nous avons ici la fin de cet épisode, et rappelons-nous sa cause. Il est du à une humanité mauvaise qui a laissé la perversion se généraliser et dont Dieu désespère. Il se repent d’avoir créé l’Homme. Alors, Il va en sauver une pognée, comme le relate la deuxième lecture.
Aujourd’hui, nous est montré un nouveau départ pour l’humanité, quand Noé récupère cette colombe qui s’est ensuite posée sur cette terre ferme.
A ce moment, Dieu va alors donner à Noé les mêmes instructions qu’Il avait données à Adam :
« Croissez, soyez féconds et multipliez-vous… »
Il va bénir la Création renouvelée. Plus encore, Il va faire une promesse :
« Il n’y aura plus jamais de déluge d’eau. »
Par ailleurs, l’ordre du monde sera fixe, établi. Vous vous souvenez de ces paroles :
« Tant que la terre subsistera, les semailles et les moissons, la froideur et la chaleur, l’été et l’hiver, le jour et la nuit ne cesseront point. »
Un ordre parfaitement réglé que rien ne vient altérer.
« Le Seigneur dit en son cœur : Je ne maudirai plus la terre, à cause de l’homme, parce que les pensées du cœur de l’homme sont mauvaises dès sa jeunesse ; et je ne frapperai plus tout ce qui est vivant, comme je l’ai fait. Tant que la terre subsistera, les semailles et la moisson, le froid et la chaleur, l’été et l’hiver, le jour et la nuit ne cesseront point. »
Puis, pour finir, l’image de l’Arc en ciel nous est donnée. Les Pères de l’Église l’interprétaient comme un symbole de l’alliance, un signe que Dieu avait déposé les armes, qu’Il avait suspendu son arc et qu’Il avait cessé d’être en guerre contre l’Homme.
Ainsi, on peut dire qu’un Dieu provident veille sur l’ordre du monde. C’est si beau, cela ressemble à un Paradis renouvelé. Cependant, cela ne correspond pas du tout avec l’expérience que nous faisons de notre monde. Nous constatons bien que les déluges se reproduisent, et nous pouvons le constater dans différents faits précis : prenons l’exemple du Yang-Sé, ce fleuve qui change de lit et déplace son estuaire de 500 km, noyant toutes les localités sur son passage. Il y a aussi eu ce terrible tsunami du XXIe siècle, avec plus de 300 000 morts, de drame de Fukushima, sans parler des déluges de feu, comme les appelle également la Bible…
Où est l’ordre ? Qu’est-ce que cela veut dire ? La Bible nous tromperait-elle ? serait-elle remplie de paroles mensongères, y compris les paroles du psaume louant cet ordre cosmique ? L’arc-en-ciel serait-il une sorte de mensonge projeté dans le ciel ? C’est une vraie question car c’est à partir de là que nous pouvons choisir soit la vie chrétienne, soit la voie de l’immaturité.
Frères et sœurs, la vie chrétienne a un autre sens. Ne rêvons pas d’une espèce d’harmonie cosmique, où il n’y aurait plus de souffrance, plus de cataclysme, plus de désordre… Ce sont des paradis dans lesquels des sectes veulent nous faire entrer. Disons-nous le bien, le monde peut nous briser, la nature toute entière peut se liguer contre nous, mais quelque chose ne changera pas, c’est que désormais, Dieu est avec nous. C’est le sens de la tentation du Christ.
Que fait le Christ dans le désert si ce n’est de Se mettre en présence de l’hostilité du désert, à cette terre ingrate, à ces chardons qui poussent après le péché d’Adam ? Cette faim et cette soif sont le signe de cette fragilité du Christ à la merci des éléments…
Voilà d’où renaît finalement l’ordre : c’est quand Dieu habite ce désordre.
Il y autre chose encore : au milieu de tous ces malheurs, que l’homme garde indéfectible cette conviction si chère au cœur de Saint Paul :
« Ni la mort, ni la vie, ni présent ni avenir, rien ne peut me séparer de l’amour de Dieu. »
On pourrait ajouter : « ni le feu, ni l’eau ne peuvent me séparer du Christ. »
Il y a comme une constante : c’est celle de l’alliance indestructible scellée entre Dieu et l’Homme. C’est ce que nous allons célébrer : l’alliance nouvelle et éternelle qui sera sur l’autel dans un instant. Voilà l’ordre, n’en cherchons pas d’autre.
Voyez, à ce stade-là, nous avons le choix : celui de faire comme le mauvais larron sur la Croix qui fait choix de l’absurde. Le monde entier s’est ligué contre lui : les hommes, puis les éléments avec ces ténèbres qui se répandent, ce tremblement de terre après la Passion. Il est dans le sentiment, il ne reconnaît pas qu’à côté de lui, le Christ est Lui aussi dans son déluge.
Ce n’est pas le choix du Bon Larron. Lui aussi est écartelé sur la Croix, mais il a reconnu à côté de lui Celui qui pouvait le sauver de la mort. Ce n’est pas non plus le choix du Christ, au moment même où Il est sur la Croix : Il proclame que Dieu Son Père est provident, qu’Il veille sur Lui, à travers l’épreuve, bien sûr. Il redit le mot de Père qui n’est pas dans le psaume :
« En tes mais, Père, je remets mon esprit… »
Concrètement, pour nous qui sommes parfois dans l’épreuve, qui vivons dans un monde chaotique, il nous faut nous redire que ce que nous traversons n’est pas absurde : le chômage que je vis, cette maladie qui me fait souffrir et qui diminue mes capacités à agir, les tentations qui s’acharnent contre moi, une tristesse lancinante, un travail pénible, tout ceci a du sens…
Je dois justement traverser tout ceci pour trouver le sens des paroles de Saint Paul :
« Tout profite au bien de ceux qui aiment Dieu. »
Sans doutes avez-vous entendu parler d’un philosophe et psychiatre juif, Victor Frankel, qui a développé une attitude qui peut nous y aider. Sorti des camps de concentration, il a décidé de tirer une philosophie de cette expérience : voir le sens de mon épreuve, trouver un sens à cette horreur.
Il a ainsi développé la logothérapie. Je me permets d’en parler parce que cet homme juif profondément ancré dans sa foi était aussi très proche de l’Evangile qu’il comprenait de manière très fine. Je vous cite un épisode qu’il relate dans un de ses livres.
La conversation s’établit et petit à petit, il va parvenir à faire comprendre à cet homme que s’il souhaitait sincèrement le bonheur de sa femme, il devait admettre que la détresse de lui survivre et d’être seule aurait été plus difficile à surmonter pour elle.
« En acceptant de la laisser partir la première, vous lui avez évité de rester toute seule. Voilà le sens de votre épreuve. »
Mais il a fallu y réfléchir pour voir que, dans toute cela, Dieu ne nous abandonnait par.
Enfin, en tout cela, il faut une vraie sagesse qui ne s’acquiert pas en un jour. Elle se construit au fur et à mesure que l’on traverse des épreuves. Cette sagesse nous adapte au monde tel qu’il est et non pas tel que nous le rêverions. C’est le sens des tentations du Christ. Au terme de cette épreuve, le Christ est serein, Il est en paix. L’Evangile nous dit :
« Il est au milieu des bêtes sauvages… »
Tout ce qui pouvait le dévorer est désormais mis à distance, ou s’est apaisé. Comme c’est important. Le Christ, par sa fermeté, a fait fuir le démon. Car, comme le dit l’Ecriture :
« Le démon fuit quand nous lui résistons ! »
Vous souvenez-vous de cette petite moniale de Jésus crucifié vivant en terre sainte ? Le démon avait obtenu de Dieu de pouvoir la posséder. Il avait ainsi investi son corps, mais il avait trouvé tellement de pureté et de sainteté dans cette personne qu’il avait fui ! Etre en elle devenait un châtiment supplémentaire !
Ainsi, quand nous sommes donnés à Dieu, le démon s’enfuit peu à peu loin de nous, les épreuves sont dominées.
Chers frères et sœurs, c’est vraiment le sens de ce Carême : nous allons vers la Terre Promise de la Résurrection. Le Christ va passer une ultime grande épreuve, celle de Sa Passion qui va définitivement mettre le démon hors jeu et les puissances infernales vont être neutralisées. Le Christ sera libre et heureux.
C’est ce que nous dit la Bible quand elle déclare que le Christ ressuscité ne meurt plus.
Cela vaut aussi pour nous : nous avons à ressusciter. Certes, c’est une résurrection en germe, mais si nous passons l’épreuve, si nous ressuscitons, nous ne mourrons plus au sens où le monde ne pourra plus nous broyer.
Chers frères et sœurs, on appelait autrefois les ascètes du désert les Ressuscités ! Alors, n’oublions pas ce magnifique souffle de la spiritualité de l’Orient. Visons au terme de ce Carême d’être des ressuscités et que cela se voie sur notre visage, et que le monde en soit meilleur,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de la Genèse 9,8-15.
- Psaume 25(24),4bc-5ab.6-7bc.8-9.
- Première lettre de saint Pierre Apôtre 3,18-22.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 1,12-15 :
Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »