Texte de l’homélie :
Frères et sœurs bien-aimés,
Ce premier dimanche de Carême est traditionnellement appelé le « dimanche de la tentation ». Et cela nous donne l’occasion de réfléchir sur ce thème : comment une tentation surgit-elle ? Et que faire avec la tentation ?
Comment la tentation surgit-elle ?
La tentation commence dans l’imagination. Et le démon s’en sert pour nous faire voir quelque chose de bon, alors que c’est quelque chose qui est mauvais, quelque chose qui s’oppose à notre bonheur. Et ainsi, lutter contre la tentation, c’est avoir une certaine responsabilité de ce qu’on laisse entrer dans notre imaginaire, avoir une certaine garde des yeux des sens en général. Non, on ne peut pas tout voir, tout entendre, cela des impacts même au sens spirituel.
Chacun d’entre nous, nous sommes invités à nous laisser conduire par l’esprit du Seigneur et à être attentifs.
Combien de personnes tombent dans le péché parce qu’ils n’ont pas eu une garde suffisante à leur imaginaire ? Je me souviens de ce fait divers dramatique de ce jeune homme qui, avec sa voiture, avait foncé sur quelqu’un, la tuant sur le coup. L’ayant arrêté, les gendarmes l’ont interrogé lui demandant comment il avait perdu le contrôle de son véhicule, et lui de répondre : « Non, je voulais voir ce que ça faisait de tuer quelqu’un… »
Et en poursuivant l’enquête, il a été mis en lumière que cette personne jouait toute la journée à des jeux vidéos extrêmement violents dans lesquels on décapitait des gens et on leur faisait subir toutes sortes d’atrocités. Et l’on comprend que, dans son imaginaire, il y avait déjà en puissance ce crime qu’il a commis.
Aujourd’hui, on voit – et à juste titre – les gens s’insurger sur la question de l’inceste. Comme cela touche des personnes connues, c’est comme si les journalistes redécouvraient l’inceste alors que cela fait partie d’un des premiers interdits de la Bible…
Mais, qui va dénoncer la pornographie de masse ? qui va pointer ces images pathologiques qui viennent peupler notre imaginaire et qui, déjà, nous induisent à passer à l’acte ?
Donc, nous sommes responsables de notre imagination. En soi, elle n’est ni bonne ni mauvaise : elle fait partie de notre vie intérieure, avec la mémoire et la cogitative.
Aristote dit :
« Pour les jeunes, l’imagination remplace l’expérience. »
Il est vrai que l’imagination peut aussi servir de façons très positive. Ne serait-ce que pour préparer cette homélie, j’ai fait fonctionner mon imagination en partant de la question : « que vais-je dire aux fidèles qui seront devant moi dimanche ? »
C’est aussi le cas de la recherche : qu’est-ce qui fait la différence entre le chercheur et le trouveur, si ce n’est l’imagination ?
Nous avons ici une trentaine d’étudiants qui viennent réviser leur concours aux grandes écoles ,pour la plupart scientifiques. Cela peut parler plus concrètement : le trouveur, c’est celui qui cherche ce qu’il a déjà trouvé dans son imaginaire.
C’est donc bien le signe que le Seigneur peut aussi nous conduire à travers notre imagination. L’esprit de Dieu peut aussi s’adresser à notre imaginaire, et c’est important que notre intelligence dispose d’un certain nombre d’images pour pouvoir travailler. Il ne s’agit bien entendu pas de fustiger l’imagination, mais d’apprendre à voir quel rapport nous avons par rapport à l’imaginaire.
Certains d’entre nous ont un imaginaire extrêmement fleuri, une sorte de film couleur en trois dimensions qui tourne en permanence, et pourquoi pas ? certes il y a ce danger de rester dans ce monde qui n’est pas le monde réel. Et il est bon de leur conseiller de revenir à la réalité. Il y a des méthodes qui existent pour travailler dans ce sens.
En tous les cas, l’imagination peut être mise au service du bien, et il y a un combat spirituel à mener dans notre regard et dans ce qu’on laisse rentrer en nous par ce biais. Et nous ne sommes pas démunis pour mener cette lutte intérieure. Lorsque le démon s’adresse à notre imaginaire pour nous faire apparaître quelque chose comme bon alors que ça ne l’est pas, que c’est plutôt source de souffrance, l’Esprit de Dieu le fait également. Et dans le combat spirituel que nous avons à mener, nous pouvons nous demander où est l’esprit de Dieu et où est l’esprit de Satan : « Où est l’esprit qui me mène à la communion, où est l’esprit qui me conduit à l’éloignement de l’autre et à l’enfermement sur moi-même ? »
Les deux sont en nous, nous sommes comme assiégés dans ce combat spirituel. Nous sommes au cœur même de quelque chose qui va au-delà de nous.
La parole de ce jour, qui n’est que dans l’Évangile de Saint Matthieu et de Saint Luc, nous donne un certain nombre d’indications qui reprennent toujours trois grands pôles de tentations :
- la tentation liée à la chair, avec boisson, nourriture, sexualité et drogue,
- la tentation liée à l’argent et à la possession,
- la tentation liée à la toute puissance, celle de l’esprit, qui pousse à évincer la présence du Seigneur de notre vie, c’est la plus grande
Que faire avec la tentation ?
Et en face de ces trois tentations, il y a les trois conseils évangéliques :
- chasteté
- pauvreté
- obéissance.
Et chacune recommande un travail particulier :
- pour la chasteté : un juste rapport avec mon corps et avec celui de l’autre,
- pour l’obéissance : une humilité par rapport à la parole de Dieu, ainsi que les uns en face des autres,
- pour la pauvreté : une modestie dans l’usage des biens matériels.
Remarquez que tous ces conseils évangéliques sont valables pour toutes celles et ceux qui veulent suivre l’Évangile… Les religieux que nous sommes, nous en faisons profession, c’est à dire que nous organisons notre vie autour de ces conseils évangéliques car nous avons voulu répondre à l’appel du Seigneur :
« Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ! »
Et parmi ces trois grands pôles de tentation qui se déclinent à l’infini, il est important de repérer quel est le point où je suis le plus fragile, là où mon imaginaire me joue des tour, là où j’ai pu manquer de prudence là dans ce que j’ai pu voir, entendre ou expérimenter…
D’une certaine manière, on a toujours un pôle principal. Déjà la toute puissance et l’orgueil de l’esprit nous touche tous : on a ce point aveugle, cet angle mort dans notre vie qui nous empêche de voir là où l’on est orgueilleux, d’où l’importance de se faire aider. Pour ceux qui sont en couple, on peut s’entraider l’un l’autre pour débusquer la part d’orgueil qu’il y a en nous. En communauté, c’est pareil, on s’aide.
Je me souviens d’un homme qui venait se confesser et avouait ne pas savoir quoi dire. Suivant le conseil de parle avec son épouse, il est revenu avec une encyclopédie ! car justement, on a un point aveugle qui nous empêche de trouver seul.
Et avec l’âge de la vie, ce pôle principal peut évoluer. Ainsi il est bon de s’interroger sur là où on en est par rapport à ces trois grandes tentations, de cette pratique de l’Évangile qui sont valable pour tous ceux qui veulent suivre l’Évangile.
Débusquer nos désirs de toute puissance
Il s’agit notamment d’accueillir une certaine limite, car ces trois grandes tentations ont un rapport avec la toute puissance : la toute puissance de la chair, la toute puissance de l’esprit, la toute puissance de l’argent. Oui, nous sommes touchés, nous portons en nous les conséquences du péché originel et il faut en prendre conscience. Quelque chose en nous est fragilisé, comme une faille. Soyons attentifs à ne pas nourrir, alimenter ce qui pourrait nous faire chuter.
Mais, nous ne sommes pas dépourvus dans ce combat intérieur, car nous avons plusieurs moyens de lutter contre, c’est ce que les textes nous montrent :
La présence du Saint Esprit
« Aussitôt, l’esprit le pousse au désert… »
« Ne savez-vous pas que vous êtes le temple du Saint Esprit ? »
Par le baptême, nous sommes habités par l’Esprit du Seigneur. Nous ne sommes pas livrés à nous-mêmes et à nos tentations, à nos imaginations débordantes et parfois polluées. Nous sommes comme soutenus par l’Esprit du Seigneur et ce temps de Carême est sans doutes le moment d’aller plus avant avec l’Esprit-Saint, Lui qui parle à notre esprit, qui s’adresse à notre imaginaire, qui mène Jésus au désert…
Le silence et la solitude
Cela me fait penser à la dimension contemplative de nos vies. Il n’y a pas que les religieux et les moines qui sont contemplatifs : tous nous sommes amenés à avoir une vie intérieure, une vie contemplative.
Où est la part de désert, la part de vie contemplative, la part de silence et de solitude dans nos vies ? c’est sans doutes le moyen de prendre plus conscience de son combat intérieur à mener et de lutter spirituellement.
La présence des anges
Dans les trois récits de tentation, les évangélistes parlent de la présence des anges. Ils s’adressent aussi à notre imaginaire. Si on leur demande secours, ils soutiennent notre vie spirituelle. Notre ange gardien, cette créature céleste que le Seigneur nous a donnée pour soutenir notre combat intérieur.
Dans le désert, avec cette lutte contre la tentation, on voit la présence des anges. C’est aussi le cas au moment de l’agonie de Jésus. En Grec, agonie veut dire combat. Et c’est un moment où notre ange gardien peut nous soutenir.
Où en êtes-vous de la présence des anges gardiens dans votre vie ?
Notre fondateur le Père Lamy - un mystique qui voyait le Bon Dieu, la Sainte Vierge et les anges comme je vous vois – insistait beaucoup sur ce rôles des anges.
L’aide du sacrement de la miséricorde
Il y a aussi la question de la confession. Si la tentation est antérieure au péché et à la chute – on est tenté de critiquer, d’être violent, d’être malhonnête, et parfois l’on tombe - nous avons dans l’Église catholique cette grâce de pouvoir accueillir la miséricorde de Dieu dans le sacrement de la réconciliation.
Reconnaître nos fragilités et nos mauvais choix
Ce n’est pas facile de se confesser, car on se dit que le prêtre est un homme comme un autre, ce qui est juste - le prêtre aussi se confesse parce qu’il chute aussi, par ce qu’il est en fragilité, nous sommes de la même pâtes humaine – mais Dieu nous donne des médiateurs pour ne pas désespérer de nous-mêmes. Et j’aime cette parole de Saint Benoît qui dit :
« Se confesser, c’est fracasser la tentation contre le Christ… »
C’est à dire que l’on peut ainsi confier au Seigneur notre combat. Et si l’on a l’impression de confesser toujours les mêmes choses, rappelons-nous qu’il n’est pas attendu de nous de faire preuve d’originalité. Ce n’est pas un divertissement pour le prêtre ! Nous sommes là pour confier nos points faibles, ces fragilités qui entraînent notre chute.
Ainsi qu’on se lave les mains, particulièrement en ce moment et même plusieurs fois par jour, pourquoi n’y aurait-il pas une hygiène pour l’âme ?
La grande difficulté de la confession est qu’elle concerne des actes libres. Par exemple : « J’avais la tentation de calomnier quelqu’un et n’ayant pas mis une garde à mes lèvres, j’ai été amené à dire quelque chose de faux sur quelqu’un ». C’est intéressant d’analyser le moment où votre liberté a été engagée : à un moment donné, j’ai eu le choix, et ça a basculé du mauvais côté.
On le voit aussi dans le sujet de la dépendance. Par exemple, la personne alcoolique le choix entre deux chemins en sortant de chez elle : celui du bistrot et un autre qui n’y passe pas. Et au moment de choisir le chemin à parcourir, elle est plus libre que face à son verre, évidemment.
Ce sont des actes libres que l’on confesse, là où nous avons ployé et abandonné la lutte, alors que l’on avait encore le choix…
La pédagogie de la pénitence
Comme prêtre, il est parfois difficile de donner une pénitence. Souvent, on donne deux Pater et trois Ave ce qui est intéressant car la prière est précisément le moyen de nous mettre en face de la grande altérité de Dieu pour en accueillir toutes les limites que les tentations veulent nous faire franchir, et nous permettre d’accepter notre humanité dans le manque.
Je me demande souvent comment être intelligent avec la pénitence, quelle est celle qui va aider l’autre à gagner en liberté et en responsabilité, à être plus connecté à sa vie intérieure et à la source de vie qu’est l’Esprit de Dieu en nous ?
La pénitence est intéressante car elle a deux buts dans la dimension spirituelle : réparer et guérir.
- Réparer : si vous avez été malhonnête en volant, ce sera bien entendu plus facile à rattraper qu’une calomnie, car on ne peut plus récupérer une parole une fois qu’elle a traversé nos lèvres.
- Guérir : qu’est-ce qui va guérir cette blessure de notre nature humaine, ce côté fragile, ce pôle de tentation vers lequel je suis le plus entraîné ? Ainsi, la prochaine fois que vous vous confessez, demandez au prêtre quelque chose qui puisse vous guérir.
Soyons assurés qu’il y a quelque chose de la guérison qui poursuit le sacrement au delà du moment de l’échange, qu’il y a un prolongement par des actes concrets qui vont vous permettre de vous corriger. On dit d’une voiture qu’elle « tire à droite » et lorsqu’on lâche le volant, la voiture est emportée vers la droite, et il faut se ressaisir du volant pour redresser la trajectoire.
Ainsi, on peut se demander quelle pénitence va vous aider à gagner en liberté ?
Nous ne sommes pas sans défense. Le plus grand danger est de ne pas prendre conscience du combat spirituel qu’il y a à mener. Cet aveuglement qui nous ferait dire que tout va bien pour nous est le plus à craindre et nous empêche de nous méfier des images que l’on regarde et de voir notre responsabilité dans les expériences que nous faisons.
Le corps a une mémoire, et toute expérience nous traverse et impacte notre manière d’agir.
En ce dimanche de la tentation, que l’on pourrait aussi appeler « le dimanche de l’imagination », demandons donc au Seigneur Sa grâce pour repérer le combat. Pendant ce temps de Carême, quel combat suis-je amené à vivre ? A quoi vais-je être le plus attentif ?
Quels sont les moyens que le Seigneur va nous donner pour triompher de la tentation et gagner dans cette alliance qu’Il veut faire avec chacun,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de la Genèse 9,8-15.
- Psaume 25(24),4bc-5ab.6-7bc.8-9.
- Première lettre de saint Pierre Apôtre 3,18-22.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 1,12-15 :
Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; Il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »