Texte de l’homélie
« Sachant que le Père a tout remis entre Ses mains, qu’Il est sorti de Dieu et qu’Il s’en va vers Dieu… »
Chers frères et sœurs,
L’évangile de ce jour est tout de même troublant : il commence lorsque le diable a déjà mis dans le cœur de Judas l’intention de livrer Jésus. L’évangile commence donc avec Judas, autrement dit, sur le chemin du Christ se dresse le mal, cette pierre de scandale.
Et nous savons très bien quelle est notre réaction face à ce constat : c’est exactement ce que fait Pierre, un peu plus loin dans le texte. Il sort sont épée, il se révolte et va vouloir éliminer le mal, le supprimer de son paysage. C’est notre désir spontané.
Ce que produit le mal sur Pierre, sur tous les disciples et en nous, c’est le trouble. Et c’est ce qui est le plus à craindre du mal. Et c’est le moment où ne savons plus où nous en sommes.
Certes, le Christ Lui-même a connu ce trouble. Et Il le dit :
« Mon âme est troublée. »
Ce trouble est connu de Lui, mais aussitôt passé, car le Christ ne s’y attarde pas. Il ajoute :
« Et que dirai-je ?… Père, délivre-moi de cette heure ?… Mais c’est pour cela que je suis venu jusqu’à cette heure. Père, glorifie Ton nom ! »
Et alors, en réponse à cet acte de confiance, une voix vient du Ciel :
« Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
Le Christ est ainsi assuré dans Sa démarche, dans Son chemin de Croix. Le trouble est dissipé.
Vivre la Passion dans le trouble n’aurait eu aucun sens pour le Christ. Et l’acte qu’Il pose aujourd’hui avec l’Eucharistie, c’est redire non seulement par les paroles mais aussi par cette liturgie :
« Ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne. »
Et cela prend la forme de ce repas. Voilà comment réagit Jésus.
Quant à nous, nous nous complaisons bien souvent dans le trouble. Nous ne nous hâtons pas d’en sortir comme d’un sable mouvant périlleux. Pourtant, le trouble est grave quand on y reste, parce qu’il nous fait oublier la puissance du Père. Il instille en nous ces questions : « et si Dieu n’était pas le plus fort ? », « et si la Foi était finalement une bêtise pour les faibles ? », « et pourquoi l’existence de Dieu semble ne rien changer ? , » « et si le mal l’emportait en définitive ? »… voilà les pensées qui accouchent du trouble.
Souvenons-nous de Maximilien Kholbe. En pleine guerre, il a été fait prisonnier une première fois en 1939 et il va rester captif plus de trois mois. Il noue d’ailleurs une belle amitié avec un des officiers allemands. Puis libéré le 8 décembre. Durant ces trois mois, la Pologne est à feu et à sang. Il se remet à travailler à Niepokalanow, cette immense cité monastique dévastée par les nazis. Son matériel d’imprimerie a été détruit mais il remet aussitôt en état les rotatives. Il a l’audace de publier un autre nouveau numéro de son journal « Chevalier de l’Immaculée » dans ce contexte de ténèbres, et il continue cette œuvre d’apostolat en accueillant des milliers de Juifs dans ce couvent
Et plus l’enfer va s’épaissir, plus les ténèbres vont être profondes : il sait que cette liberté provisoire ne va pas durer. Sachant qu’il sera bientôt arrêté, il convoque ses frères et il leur parle avec la tendresse et la fermeté qui le caractérisait en leur disant :
« N’oubliez pas l’amour. »
C’est le testament qu’il leur livre. Il leur conseille de ne pas se troubler. Quand le mal prolifère, nous oublions notre horizon et on fait n’importe quoi pour tâcher de survivre.
Oui le démon pêche en eaux troubles : il profite de notre désarroi, de nos fautes d’espérance et de nos hésitations Et il veut nous entraîner à sa suite. L’œil de notre âme s’obscurcit alors…
Et Jésus veut nous arracher à ce trouble, Il nous dit que s’Il est passé par là avant, c’est pour nous arracher au trouble qui mène au mal. Pour procéder à notre libération, Il nous donne d’abord Sa Parole. Il nous rappelle inlassablement ce mot qu’Isaïe disait à ses contemporains terrorisés par l’approche de l’invasion babylonienne :
« C’est dans la tranquillité et le repos que sera votre salut. C’est dans le calme et la confiance que sera votre force. Sois tranquille, ne crains rien. Que ton cœur ne s’alarme pas. »
Voilà ce que nous dit le Christ à Sa façon.
Pourquoi la parole nous fait-elle échapper au trouble ? Elle nous révèle l’immense plan de Dieu, où tout prend sens. C’est parce qu’à travers les prophéties, tout le scénario de la Passion peut être décrit. Ce défilé dans les gorges obscures aboutit à la lumière. Le Christ sait notamment que chacune des étapes de la Passion fait partie du dessein bienveillant de Dieu :
- Durant la Cène, la trahison de Juda : l’ami qui partageait mon pain m’a livré à la mort, comme l’annonce le psaume 40.
- Puis tout le psaume 22 va détailler à l’avance chacun des moments de la Passion : les vêtements tirés au sort, les mains et les pieds cloués, le vinaigre donné à boire etc… Bref tout cela fait partie de l’histoire du salut. Rien n’est absurde
Ce n’est pourtant pas une espèce de fatalité qui s’accomplit. Ces prophéties nous sont données pour nous indiquer que tout se déroule dans l’ordre, tout fait partie de cet immense dessein de salut, rien n’est laissé au hasard. L’immense sagesse de Dieu a tout assumé, d’où l’importance de cette parole, et de ce que nous la pratiquions pour ne pas nous désespérer. A nous aussi de nous pénétrer de la Bible, qui seule peut préparer, armer notre intelligence devant les folies et les fureurs de notre monde.
Plus que jamais nous avons besoin de ce regard biblique pour ne pas sombrer.
De ce fait, le Christ n’est pas obnubilé par la figure de Juda, par les blessures et par les souffrances. Il suit Son chemin en gardant le Salut des hommes et la gloire du Père constamment sous les yeux.
Mais allons plus loin : Pourquoi Jésus a-t-il pu traverser cette Passion sans se laisser troubler ? C’est parce qu’Il était totalement détaché de Sa vie, de Ses aises, et même de Sa peur de souffrir. Ce fut un combat certes terrible à l’Agonie, mais qui aboutit à cette absolue liberté intérieure.
Que cette phrase du patriarche Athénagoras nous serve de Boussole. A nous aussi de vivre ces détachements à la suite du Christ ?. Et j’insisterai peut-être plus aujourd’hui sur un détachement qu’il nous faut consentir plus particulièrement aujourd’hui : être détaché des circonstances dans lesquels nous vivons. Combien regrettent une époque révolue où la chrétienté pourrait sembler avoir été idéale : nous cela nous freine, nous arrête et risque de nous rendre maussades et amers, nous trouble vraiment.
Nous avons à vivre le temps à où nous sommes. Nous avons à l’aimer de charité et ne pas en rêver d’un autre, sinon, nous serons terrassés et nous ne servirons de rien pour le Royaume.
Une dernière chose : le Christ nous reste aujourd’hui Ses propres sentiments, Sa propre vision du monde à travers l’Eucharistie. Recevoir l’Eucharistie, c’est recevoir l’âme du Christ, Son Esprit. Il faut reconnaître qu’elle est instituée en temps de crise. Si vous avez prêté attention à la première lecture, vous savez que l’agneau pascal lui-même est consommé en temps de crise : les Hébreux sont poursuivis, la mer est devant eux pour les bloquer. Ils prennent cet agneau comme pour anticiper la victoire du Seigneur sur toutes les circonstances et ils peuvent partir, ils ont ce viatique.
C’est un terme qui caractérise aussi l’Eucharistie : elle est ce viatique qui nous aide à franchir le chemin de notre vie. Elle nous aide à traverser les ravins de la mort, à traverser ces lois sociétales qui sont en train de se préparer et qui nous blessent profondément, mais aussi à traverser cet immense déséquilibre entre le Nord et le Sud et cette misère humaine si bouleversante qui est à nos portes.
L’Eucharistie nous garantit que nous seront forts avec elle, et que nous ne nous laisserons pas troubler. Oui, si nous avons l’Eucharistie au cœur, le Christ sera avec nous. Nous serons dans la Paix parce qu’un bout du Ciel habitera notre cœur. Alors nous pourrons recevoir cette même paix que le Christ nous souhaitera au matin de Sa Résurrection.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de l’Exode 12,1-8.11-14.
- Psaume 116(115),12-13.15-16ac.17-18.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 11,23-26.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 13,1-15 :
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture.
Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit :
— « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? »
Jésus lui répondit :
— « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. »
Pierre lui dit :
— « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! »
Jésus lui répondit :
— « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. »
Simon-Pierre lui dit :
— « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »
Jésus lui dit :
— « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. »
Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait :
— « Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit :
— « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ?
Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »