Homélie du Jeudi Saint

10 avril 2020

Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.

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Texte de l’homélie :

La première lecture nous plonge dans le contexte des plaies d’Égypte. Sans vouloir identifier le coronavirus à une plaie d’Égypte, je voudrais seulement en retenir certains éléments qui résonnent d’une manière particulière dans la situation que nous vivons.
À l’occasion de la dernière plaie, le pharaon inflexible a accepté de changer ses plans : il laisse le peuple hébreux partir pour servir Dieu. Une certaine forme d’économie – qui sacrifie la personne humaine et l’asservit – nous semblait jusqu’alors complètement inflexible. Sous la pression du coronavirus, quelque chose s’est passé.
Comme l’écrivait très bien une religieuse italienne : « Voilà notre économie à genoux. À genoux au chevet des plus vieux et des plus vulnérables. »

Mesurons qu’il se passe quelque chose d’inédit, d’inimaginable il y a seulement quelques semaines. Nous ne savons pas encore ce qui sortira de tout cela. D’autant plus que Pharaon, qui a cédé pour un temps devant la plaie des premiers-nés, a ensuite changé d’avis.

« Pharaon et ses serviteurs changèrent de sentiment envers ce peuple. Ils dirent : ’Qu’avons-nous fait en laissant partir Israël : il ne sera plus à notre service !’ » (Ex 14, 5)

Et ils se lancèrent à leur poursuite pour les rattraper ! De même, le libéralisme économique a plié le genou, mais pour combien de temps ?
À la lumière des textes de la Parole de Dieu qui nous sont donnés pour célébrer la Cène du Seigneur, je désire attirer votre attention sur trois attitudes spirituelles que le Seigneur attend de nous en cette période de l’histoire : mettre sa confiance en Dieu, se laisser sauver par Jésus, se mettre au service.

Mettre sa confiance en Dieu

La Pâque n’est jamais un moment facile. Il faut quitter, un lieu difficile certes, mais que nous connaissons, vers la Terre Promise qui est bien mystérieuse. Il faut traverser le désert qui comporte une certaine austérité.
Assez vite, la communauté des fils d’Israël a commencé à récriminer contre Moïse et Aaron :

« Ah ! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé ! » (Ex 16, 3)

Il y a souvent des bénéfices secondaires auxquels nous sommes attachés !
Le désert, c’est aussi le lieu où Dieu éduque son peuple :

« Il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur. » (Dt 8, 2)

Dieu éduque son peuple à la confiance en particulier par le don de la manne qu’ils reçoivent au jour le jour, sans pouvoir faire de provisions (Ex 16, 17-30)

Dans la situation actuelle qui est une crise sans précédent à l’échelle de nos vies humaines, nous sommes aussi invités à une Pâque, à un passage ? Comme tout passage, cela peut nous faire peur. Les motifs d’inquiétude sont nombreux : attraper le méchant virus, contaminer les autres, et dans un futur proche les conséquences économiques sur les entreprises, les emplois, …
Ces motifs sont tout à fait légitimes. Mais en même temps Jésus nous appelle à la confiance :

« Ne vous souciez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni, pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ? (…)
Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. » (Mt 6, 25.33-34)

Ce soir, en instituant l’Eucharistie, le Seigneur nous promet de nous accompagner sur ce chemin de Pâque que nous avons à accomplir. Nous pouvons laisser résonner pour nous les paroles de l’ange au prophète Elie découragé :

« Lève-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste. » (1 R 19, 7)

L’Eucharistie est vraiment un repas où le Seigneur vient refaire nos forces.

Se laisser sauver par Jésus

Dans l’évangile, Pierre déclare :

« Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! »

Mais Jésus lui montre que ce n’est pas optionnel. Peut-être n’avons nous pas assez conscience du besoin que nous avons d’être sauvés par Jésus.
Comme beaucoup de nos contemporains, nous sommes plus dans une logique de développement personnel ou de psychologie positive que de demande de pardon. Ne voyez pas ici une condamnation du développement personnel ou de la psychologie positive, mais simplement une remise en perspective. L’évangile nous garde d’un optimisme naïf : le péché n’est pas seulement une hypothèse mais une réalité. Quel intérêt pour Jésus de mourir sur la Croix s’il n’y a pas de péchés à pardonner !

À certains moments, Pierre a tout à fait conscience de son péché. Lors de la pêche miraculeuse, il était tombé aux genoux de Jésus, en disant :

« Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » (Lc 5, 8)

Mais ici, il doit faire un pas de plus : reconnaître que son péché oblige Jésus à s’abaisser devant lui pour lui laver les pieds. Nous n’imaginons pas ce que notre purification coûte à Jésus.

De notre petit point de vue humain, nous avons tendance à minimiser la gravité de nos péchés. Dans notre vie spirituelle, une chose est de prendre conscience de nos fautes, autre chose est de prendre conscience de leur impact sur Jésus, de ce à quoi nos fautes ont conduit Jésus : la mort de la Croix. Ce moment capital que nous pouvons vivre est ce que vécut la foule le jour de la Pentecôte lorsque Pierre leur dit :

« Jésus… vous l’avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l’a ressuscité. » (Ac 2, 22-24) « D’entendre cela, ils eurent le cœur transpercé, et ils dirent à Pierre et aux apôtres : "Frères, que devons-nous faire ?" Pierre leur répondit : "Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint Esprit. » (Ac 2, 37-38)

Le but n’est pas de culpabiliser tout le monde mais que chacun reconnaisse sa part de responsabilité au lieu de se considérer comme une victime innocente.
La messe, que Jésus institue lors de la dernière Cène, est l’anticipation du sacrifice qu’Il offrira sur la Croix le lendemain, pour nous sauver de nos péchés. N’ayons pas peur de nous laisser rejoindre par cet amour qui ne nous condamne pas mais veut nous sauver.

Nous mettre au service

Dans l’évangile du jour, Jésus nous donne le commandement du service du frère :

« Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »

Si nous avons besoin d’être sauvés, c’est peut-être de notre difficulté à nous mettre au service. Il ne faut pas nous en étonner. C’était – semble-t-il le péché des anges : « non serviam » (je ne servirai pas). Il faut passer d’une vie où nous sommes centrés sur nous mêmes à une vie de service (lavement des pieds).
Beaucoup de psychologues nous encouragent à ne pas nous oublier, à prendre du temps pour nous, à nous bichonner. Il y a quelque chose de juste dans le sens où – par un oubli de soi mal compris, par lâcheté – on n’ose pas dire ses besoins. Mais à force d’encourager à prendre soin de soi, on peut aussi encourager un narcissisme qui n’a rien d’évangélique.

Il y a beaucoup de freins qui nous empêchent de nous mettre au service des autres. En ce qui concerne le coronavirus, cela peut être la peur d’attraper le virus. Dans d’autres situations, cela peut être simplement la peur de se faire avoir. De ce point de vue, la projection du concept marxiste de « lutte des classes » dans tous les rapports humains fait un dégât considérable. Elle en décourage plus d’un à se mettre au service des autres.
Je préfère l’optimisme de saint Paul qui déclare :

« Ne brisez pas l’élan de votre générosité, mais laissez jaillir l’Esprit ; soyez les serviteurs du Seigneur. » [(Rm 12, 11)

Pour décrire l’Exode, Georges AUZOU avait écrit un livre intitulé : « De la servitude au service ». Cela dit assez bien le passage que nous sommes invités à faire : passer d’un service accompli de mauvaise grâce à un service fait par amour. C’est le fruit par excellence du sacrement de l’Eucharistie : dilater notre cœur afin que nous soyons de vrais disciples de celui qui nous a tout donné.

En conclusion, je vous invite à contempler l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
Jésus est cet « Agneau docile qu’on mène à l’abattoir » (Jr 11, 19 ; cf. Is 53,7). Il fait confiance à son Père et nous invite à entrer dans une attitude de confiance. C’est l’Agneau à qui nous demandons de nous donner la paix.
Jésus est l’Agneau pascal qui nous libère du péché. Encore faut-il que nous lui donnions notre péché et lui donner la permission de nous sauver.
Cet Agneau de Dieu, c’est aussi ce Serviteur souffrant (Is 52,13-53,12) qui prend sur lui les péchés du peuple. Jésus nous invite à servir à sa suite.

Le matin de Pâques nous sera révélé l’agneau vainqueur dont parle l’Apocalypse (Ap 5,6) : l’agneau sacrifié deviendra alors l’agneau glorieux, vainqueur de la mort et du mal.
L’agneau revêt alors des attributs du trône, de la puissance et de la royauté. On pourra alors chanter l’hymne pour fêter les noces de l’agneau (Ap 19) symbole de la victoire du Christ.

Demandons à la Vierge Marie, que Jean-Paul II appelait la « femme eucharistique » de mieux apprécier ce don immense qui nous est donné dans l’Eucharistie et d’en vivre, Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Exode 12,1-8.11-14.
  • Psaume 116(115),12-13.15-16ac.17-18.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 11,23-26.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 13,1-15 :

Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ;
puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture.
Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit :
« C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? »
Jésus lui répondit :
« Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. »
Pierre lui dit :
« Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! »
Jésus lui répondit :
« Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. »
Simon-Pierre lui dit :
« Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »
Jésus lui dit :
« Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. »
Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit :
« Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ?
Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis.
Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »