Texte de l’homélie :
Chers frères et sœurs,
En nous appelant à être le sel de la terre et la lumière du monde, Jésus ne nous invite pas à nous prendre pour des lumières ou à mettre notre grain de sel partout. Alors que veut-il dire ?
Je vous propose de méditer quelques minutes sur les images du sel et de la lumière dans le contexte de ce passage d’évangile. Dans une deuxième partie, j’essaierai de voir – très brièvement – comment nous pouvons être sel de la terre et lumière du monde ici et aujourd’hui.
Les images du sel et de la lumière
Le sel et la lumière sont des révélateurs
Ce que le sel et la lumière ont en commun, c’est d’agir comme des révélateurs.
Le sel met en valeur la saveur des aliments. Il en va de même pour la lumière : la lumière est en quelque sorte une servante : normalement, nous ne regardons pas la lumière elle-même. Mais la lumière nous est utile pour voir d’autres choses, qu’on ne voit pas quand tout est dans l’obscurité. La lumière éclaire le chemin (vers Dieu).
La lumière fait connaître la beauté des êtres et du monde. Le sel paraît presque dérisoire, insignifiant. Et pourtant, c’est le petit plus qui fait la différence ; cela change tout : quelle différence entre nous réjouir de la chance que l’on a eue - où l’on voit cela comme un cadeau tombé d’un ciel anonyme - et le fait d’un voir le don de Dieu, de la part de quelqu’un qui nous aime !
Comme le dit le Catéchisme à la suite de Lumen Gentium 9 :
L’Eglise n’est pas à côté ou contre mais pour l’humanité
Je relève aussi ce que dit Jésus : cette lumière ne doit pas briller d’abord aux extrémités du monde, elle doit briller “pour tous ceux qui sont dans la maison”, c’est-à-dire avant tout dans les rapports familiaux.
Le sel n’est pas appelé à être à côté des aliments mais bien dans des aliments. Par cette image, Jésus nous montre bien que l’Eglise existe pour le monde, et non pas à côté et a fortiori contre le monde !
Cela n’aurait pas de sens d’être un communauté de purs dont l’obsession serait de ne pas se laisser contaminer par le monde ! De ce point de vue le pape François répète souvent :
Je répète ici pour toute l’Église ce que j’ai dit de nombreuses fois aux prêtres et laïcs de Buenos Aires : je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités.
Je ne veux pas une Église préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures. Si quelque chose doit saintement nous préoccuper et inquiéter notre conscience, c’est que tant de nos frères vivent sans la force, la lumière et la consolation de l’amitié de Jésus-Christ, sans une communauté de foi qui les accueille, sans un horizon de sens et de vie.
Plus que la peur de se tromper j’espère que nous anime la peur de nous renfermer dans les structures qui nous donnent une fausse protection, dans les normes qui nous transforment en juges implacables, dans les habitudes où nous nous sentons tranquilles, alors que, dehors, il y a une multitude affamée, et Jésus qui nous répète sans arrêt :« Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mc 6, 37) » (Evangelii Gaudium n° 49)
Ce que nous avons reçu, nous l’avons reçu pour le donner. Il faut renoncer à vivre pour soi, il faut partir de soi : s’exiler de soi-même, pour être tout aux autres.
Notre mission est de ne pas vivre pour nous, mais de vivre au service des autres.
Pas se pavaner mais pas non plus se cacher
Il est essentiel que le sel soit là mais l’important n’est pas de le voir. Vous ne prenez pas le sel à la petite cuillère !
Par ces images, Jésus ne nous invite certainement pas à nous proposer à l’admiration des gens. Il n’y a rien de prétentieux à obéir à cet ordre de Jésus d’être le sel de la terre et la lumière du monde. Nous ne faisons que refléter la lumière du Christ :
« Je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige de la parole ou de la sagesse. Non, je n’ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. »
Le but ce n’est pas de nous glorifier nous, mais de glorifier Dieu :
« Afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux. »
Il ne s’agit pas de se montrer soi. Mais il ne faut pas non plus cacher le bien que l’on fait (cf. discours sur les médias) :
« C’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit et deveniez mes disciple. » (Jn 15, 8)
Dieu n’est pas jaloux des fruits que nous portons, bien au contraire. D’ailleurs on peut quelquefois se méprendre. Le document fondamental du concile Vatican II concerne l’Eglise et il s’appelle « Lumen gentium », « Lumière des peuples ».
Mais c’est n’est pas d’abord l’Eglise qui est Lumière des peuples, c’est le Christ :
« Le Christ est la lumière des peuples. »
L’Eglise ne fait que refléter cette lumière, un peu comme la lune reflète la lumière du soleil. Sa mission est de répandre « répandre sur tous les hommes la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Église. (cf. Mc 16, 15. » (LG 1)
Notre plus grande tentation est peut-être d’être trop timorés pour rayonner autour de nous. Le respect humain est quelquefois ce boisseau qui tient souvent prisonnière la lumière de notre foi et l’empêche de se manifester. Il n’est sans doute pas inutile de mieux saisir quel rayonnement le Christ attend de ses disciples.
Quel rayonnement ? Quelle lumière, quelle saveur ?
Maintenant, je voudrais voir un peu plus précisément comment nous pouvons être sel de la terre et lumière du monde. J’aimerais me référer pour cela à un très beau document du pape Paul VI qui est toujours actuel, l’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi. Dans ce document, le saint Père montrait que nous pouvions être sel de la terre et lumière du monde de bien des façons.
J’en retiendrais trois.
Evangéliser les cultures
« L’Eglise évangélise lorsque, par la seule puissance divine du Message qu’elle proclame, Rm 1,16 ; 1Co 1,18 ; 1Co 2,4, elle cherche à convertir en même temps la conscience personnelle et collective des hommes, l’activité dans laquelle ils s’engagent, la vie et le milieu concrets qui sont les leurs. » (EN n° 18)
« Il s’agit d’atteindre et comme de bouleverser par la force de l’Evangile les critères de jugement, les valeurs déterminantes, les points d’intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de l’humanité, qui sont en contraste avec la Parole de Dieu et le dessein du salut. » (EN n° 19) « La rupture entre Evangile et culture est sans doute le drame de notre époque, comme ce fut aussi celui d’autres époques. Aussi faut-il faire tous les efforts en vue d’une généreuse évangélisation de la culture, plus exactement des cultures. Elles doivent être régénérées par l’impact de la Bonne Nouvelle. » (EN n° 20)
L’Evangile est appelé à imprégner les rapports dans la société, les structures, l’imaginaire, la communication, de sorte que les symboles et récits chrétiens n’apparaissent pas comme une vitrine de produits exotiques.
Le témoignage de vie
Voici que, en outre, ils rayonnent, d’une façon toute simple et spontanée, leur foi en des valeurs qui sont au-delà des valeurs courantes, et leur espérance en quelque chose qu’on ne voit pas, dont on n’oserait pas rêver. Par ce témoignage sans paroles, ces chrétiens font monter, dans le cœur de ceux qui les voient vivre, des questions irrésistibles : Pourquoi sont-ils ainsi ? Pourquoi vivent-ils de la sorte ? Qu’est-ce - ou qui est-ce - qui les inspire ? Pourquoi sont-ils au milieu de nous ?
Un tel témoignage est déjà proclamation silencieuse mais très forte et efficace de la Bonne Nouvelle. Il y a là un geste initial d’évangélisation. […] A ce témoignage, tous les chrétiens sont appelés. » (EN n° 21)
Pour nous aider à voir ce qui rend notre vie lumineuse, l’Eglise a choisi un passage d’Isaïe comme première lecture :
« Ta lumière éclatera comme l’aurore si tu partages ton pain avec l’affamé, si tu héberges chez toi les pauvres sans abri, … Si tu bannis de chez toi le joug, le geste menaçant et les paroles méchantes, si tu te prives pour l’affamé et si tu rassasies l’opprimé, ta lumière se lèvera dans les ténèbres, et l’obscurité sera pour toi comme le milieu du jour. »
On voit ici comme l’attitude envers les pauvres ainsi que la bonté et la justice sont essentielles. Ainsi, ce qui est lumineux, ce ne sont pas d’abord les belles paroles que nous disons mais des attitudes bien concrètes : l’amabilité, la miséricorde et la générosité.
Le témoignage de la bonté a une force particulière.
« Le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vérité. » (Eph 5, 9)
« Celui qui prétend être dans la lumière tout en haïssant son frère est encore dans les ténèbres.
Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et il n’y a en lui aucune occasion de chute. » (1 Jn 2, 9-10)
On pourrait aussi évoquer les deux passages de l’évangile où Jésus distingue les enfants de Dieu des païens : il s’agit de l’amour des ennemis (Mt 5) et de l’abandon (Mt 6, 25-34). Si nous le faisons pas, que faisons-nous d’“extraordinaire” ? Si les chrétiens ne vivent pas de ces choses extraordinaires, s’ils s’alignent sur les façons de faire et de penser de la société, ils n’ont plus leur raison d’être.
Le témoignage explicite
« Dans tous les cas, nous sommes tous appelés à offrir aux autres le témoignage explicite de l’amour salvifique du Seigneur, qui, bien au-delà de nos imperfections, nous donne sa proximité, sa Parole, sa force, et donne sens à notre vie. Ton cœur sait que la vie n’est pas la même sans lui, alors ce que tu as découvert, ce qui t’aide à vivre et te donne une espérance, c’est cela que tu dois communiquer aux autres. Notre imperfection ne doit pas être une excuse ; au contraire, la mission est un stimulant constant pour ne pas s’installer dans la médiocrité et pour continuer à grandir. Le témoignage de foi que tout chrétien est appelé à donner, implique d’affirmer, comme saint Paul : « Non que je sois déjà au but, ni déjà devenu parfait ; mais je poursuis ma course […] et je cours vers le but. » (Ph 3, 12-13) » (Evangelii gaudium n° 120)
Conclusion :
Il y a quelques jours, nous avons reçu à notre table un laïc qui avait des idées assez précises concernant les homélies. Pour lui, l’objectif premier des homélies du prêtre de sa paroisse devait être d’encourager les fidèles, de les rendre fiers de leur foi afin qu’ils ne se comportent pas ensuite comme des caméléons de peur d’être ridiculisés parce que chrétiens.
Peut-être aurais-je dû me limiter à cela : frères et sœurs soyez fiers de votre foi ; soyez fiers de Jésus. Notre foi est tellement belle. Nous ne sommes pas dans l’obscurité. Jésus est vraiment la lumière du monde.
Les plus anciens d’entre nous se souviennent peut-être du climat dans les rues et les métros de Paris lors des JMJ de 1997. Jean-Paul II nous avait rendu la fierté d’être chrétiens. Habituellement, les gens dans le métro ou les rues de Paris ne sont pas tellement communicatifs. Lors des JMJ, le climat avait complètement changé : les gens étaient heureux de se saluer. Les choses étaient inversées par rapport à l’habitude : les chrétiens étaient heureux et parfaitement à l’aise tandis que les non-chrétiens étaient plutôt envieux de ces chrétiens si rayonnants.
N’attendons pas les prochaines JMJ à Paris pour rayonner notre foi !
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Isaïe 58,7-10.
- Psaume 112(111),4-5.6-7.8a.9.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 2,1-5.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 5,13-16 :
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens.
Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée.
Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »