Texte de l’homélie :
« Jette ton pain sur l’eau et il te reviendra. »
Ce premier verset du chapitre 11 de l’Ecclésiaste nous donne, d’une manière très appropriée, très juste, le sens de l’Évangile d’aujourd’hui et de la première lecture.
Il ne s’agit pas de nourrir les canards, mais de ne pas garder le petit quignon de pain que l’on a pour le manger tout seul et d’investir, de faire du commerce, de le mettre sur des bateaux, d’aller et de venir et de pouvoir faire fructifier le don que nous avons, le potentiel que nous avons.
Ici Jésus raconte cette parabole, il faut en faire quelques petites adaptations parce que la traduction nous enferme dans une vision de Dieu comme un maître qui est tout puissant, qui règle ses comptes et qui décide de tout. Or ce n’est pas exactement ce que dit le texte.
« Un homme partit au loin. »
Il part pour une grande période, alors il confie à ses serviteurs des talents. C’est une somme d’argent, un capital. Rien qu’un seul talent représente 26 kg d’or, soit à peu près 17 années de salaire d’un ouvrier à l’époque.
Ici on nous parle du Royaume : le Seigneur nous donne et il s’en va. Il donne à chacun de son propre bien et à chacun selon sa propre force. Son don est vraiment adapté.
Aussitôt, sans attendre le premier qui a 5 talents s’en va et les fait fructifier, il en gagne 5 autres. Même chose pour le deuxième. Il se passe quelque chose d’extraordinaire, il avait 5 talents et il en fait fructifier 5, c’est à dire qu’il a égalé son maître ! Il n’est plus serviteur, il est devenu maître.
Celui qui a 2 talents, c’est la même chose. Et même s’ils ont reçu des grâces différentes, des capacités différentes, ils sont égaux avec le maître et aussi entre eux.
Le maître vient et fait le compte-rendu, il ne vient pas récupérer son bien. Le serviteur ne montre pas les 5 anciens talents, mais juste le s5 nouveaux. L’expression du maître le montre encore plus, puisqu’il dit :
« Très bien, serviteur bon et fidèle. »
On peut faire confiance à ce serviteur, comme à la femme vaillante qui fait fructifier le bien de la maison.
« Entre dans la joie de ton Seigneur. »
Le mot employé pour la joie peut se traduire aussi par « grâce », « charisme ». Entre dans la grâce de ton maître. Voilà le projet de Dieu avec l’homme. On se croirait au début du livre de la Genèse. « Tout ce qui est là, c’est à toi ». Il y a juste une petite interdiction, une petite limite, mais tout est à toi. Le désir de Dieu est de nous donner sa vie divine.
« Dieu se fait homme pour que l’homme devienne Dieu. »
Non pas pour que nous nous prenions pour des dieux, mais pour que cette vie, cet amour, cette capacité de communion, cette aspiration au bonheur trouve son épanouissement dans notre vie.
Mais il y le 3e serviteur.
Il ne fait pas comme les autres, il n’a pas compris, il n’a pas crut que Dieu était vraiment le donateur. Il n’a pas crut qu’il était le destinataire, il n’a pas crut au don. Il ne comprend tellement pas ce don, qu’il dit au Seigneur :
« Je sais que tu est un homme dur, tu moissonne là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. »
C’est étonnant, pourtant le maître vient de lui donner sa fortune ! Mais il n’y a pas crut, il a eu peur et il est allé cacher ce talent.
Cela nous rappelle Adam, alors qu’il a mangé avec Ève le fruit de l’arbre, Dieu le cherche dans le jardin, mais il a peur et il se cache.
Il y a quelque chose qui cloche.
« Je savais que tu es un homme dur. »
En général quand quelqu’un dit : « je te connais », viennent des choses négatives.
On a enfermé l’autre dans ce qu’on pense de lui, dans un acte, dans une parole, dans des opinions, dans une réaction. Nous mesurons avec notre mesure et non pas avec la mesure du Seigneur, avec la mesure de la foi.
Si je réduit l’autre à ce que je connais, je suis entrain de faire la même chose qu’Adam. Ne réduisons pas l’autre à ma dimension. Apprendre à aimer sans manger l’autre, faire qu’il devienne moi, qu’il pense comme moi, qu’il fasse comme moi, qu’il serve mon intérêt…
Si je suis juste avec ce que je connais de l’autre, je vais être exactement comme ce serviteur : paresseux, mauvais, peureux, pusillanime. Alors que je suis amené à croire, à faire confiance, à rentrer dans ce dialogue de confiance dans lequel nous sommes appelés à vivre.
Dans la remarque de réponse que lui fait le Seigneur, le Seigneur lui dit : « tu aurais pu au moins porter l’argent à la banque ».
Quelque fois il y a des circonstances où nous ne nous sentons pas capables, nous n’avons pas dépassé les ténèbres qui nous entourent ou qui nous envahissent. Le Seigneur lui suggère de demander l’aide d’un tiers. Combien de fois nous réfugions-nous en nous disant que nous pouvons tout régler tout seul. En demandant l’aide d’un tiers, tu serais quand même rentré dans ce mouvement de faire fructifier ce que tu as reçu.
La parabole se termine d’une manière qui choque un peu :
« Enlevez-lui ce qu’il a. »
Cela reprend tout simplement le texte de la Genèse où l’on voit Adam et Ève expulsés du paradis. C’est à dire expulsés de cette condition divine dans le quel le Seigneur veut nous établir, cette communion divine dans la quelle il veut nous faire vivre. Il est livré aux ténèbres extérieures, il y a là déjà un progrès : les ténèbres sont désormais à l’extérieur de lui alors qu’avant elles étaient en lui et le mangeaient. C’est déjà un chemin, un peu plus long, mais pour retourner au Seigneur.
Dans ces ténèbres, nous retombons dans la leçon de la deuxième lecture où, grâce à la venue de Jésus, au don de Jésus qui est rentré dans notre monde, qui a pris sur lui notre humanité, avec tous ses défauts, jusqu’à porter les douleurs et le péché de l’homme sur la croix, le Seigneur nous dit que nous sommes dans les ténèbres, mais nous n’appartenons pas aux ténèbres. Il faut redire et rechanter cet admirable chant de Taizé : « Jésus, lumière intérieure, ne laisse pas les ténèbres me parler ». Ne me laisse pas séduire par ces ténèbres. Comme va le dire la dernière traduction de l’avant dernier verset du Notre Père, ne me laisse pas « entrer » dans le jeu de la séduction, de l’épreuve, des ténèbres de la tentation.
Durant la semaine, nous avions un texte de l’Évangile de Saint Luc, qui rappelait la parole de Jésus qui dit :
« Comme cela s’est passé dans les jours de Noé, ainsi en sera-t-il dans les jours du Fils de l’homme. On mangeait, on buvait, on prenait femme, on prenait mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche et où survint le déluge qui les fit tous périr.
On se mariait, on faisait des affaires, et puis est venu un temps de catastrophe, le déluge, et tout s’est cassé la figure. Au temps de Lot, c’était parfait, on mangeait, on buvait, on consommait, on achetait, on vendait, et puis est venu le feu du ciel et plus rien. »
Saint Paul et Jésus nous disent : « Veillez ! », soyez attentifs, ne vous laissez pas prendre simplement dans le quotidien, dans le monde, dans cette nuit, dans ces ténèbres, mais soyez vigilants. parce que le Seigneur vient comme un voleur, il vient le jour où on ne s’y attend pas.
Dans notre vie chrétienne, c’est quelque chose d’étonnant, cette profondeur du cœur, cette capacité, cette confiance que nous fait le Seigneur, très souvent nous n’en avons pas conscience, mis il suffit quelque fois d’un évènement, d’une rencontre, d’une maladie, de quelque chose qui nous remette dans l’essentiel et apparaît cette flamme, cette lumière intérieure que le Seigneur a mis dans notre cœur. Jésus nous dit : « poursuis-la, avance, jette ton pain sur l’eau et il te reviendra, et tu pourras porter du fruit en abondance ».
C’est ce que Jésus ne cesse de nous rappeler dans l’Évangile de saint Jean, par ce que nous sommes faits pour porter du fruit abondant.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre des Proverbes 31,10-13.19-20.30-31.
- Psaume 128(127),1-2.3.4-5c.6a.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 5,1-6.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 25,14-30 :
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « Un homme qui partait en voyage appela ses serviteurs et leur confia ses biens.
À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités. Puis il partit. Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla pour les faire valoir et en gagna cinq autres.
De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser la terre et cacha l’argent de son maître.
Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et il leur demanda des comptes.
Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, présenta cinq autres talents et dit :
“Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.”
Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.”
Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi et dit : “Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres.”
Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.”
Celui qui avait reçu un seul talent s’approcha aussi et dit : “Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain.
J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.”
Son maître lui répliqua : “Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu.
Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts.
Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix.
À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a.
Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !” »