Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs, quand je lisais Pagnol, je me rappelle avoir été marqué par un passage de Topaze. A un moment donné, un instituteur, ne sachant plus quoi faire devant un de ses élèves particulièrement dissipé, et plutôt que de le punir, il lui déclare : « Je vous condamne à l’incertitude ! »
A quoi sommes-nous condamnés ?
C’était très bien vu, car c’est bien le pire qu’il puisse arriver : ne pas être fixé sur son sort et ne pas savoir ce que nous valons en vérité. C’est pourtant une soif viscérale du cœur humain.
Et ce qui est intéressant dans la deuxième lecture, c’est que le Seigneur nous dit : « Vous ne serez pas surpris, vous serez jugés. Vous n’êtes pas dans les ténèbres, ce jour là ne vous surprendra pas comme un voleur. »
Nous sommes dans cette lumière sachant qu’un jour nous subirons le jugement. Et le retour du Christ, auquel il est associé, assouvira cette soif de notre cœur.
Deuxième chose : devons-nous craindre ce jugement ? Vous savez très bien qu’il y a eu toute une période pendant laquelle on insistait sur la crainte de Dieu, on faisait sonner les orgues avec des roulements de tambours pendant les missions paroissiales pour manifester les affres des enfers et on chantait le Dies Irae non sans terreur…
Or, Benoît XVI nous l’a dit :
En effet, par le jugement, j’échappe à l’insignifiance. Ce que je fais, quelqu’un le reconnaît et le sanctionne au sens le plus noble, en voit la beauté ou l’indignité. En tous les cas, mes actes ont un poids. Et c’est l’honneur d’être homme que décrire aujourd’hui notre éternité dans le temps. « Soyons tout à Lui dans le temps pour être tout à Lui dans l’éternité » disait le Père Lamy, notre fondateur.
Sur quoi serons-nous jugés ? »
Vous le savez bien, le 33e dimanche et la fête du Christ-Roi forment comme un diptyque. Ce sont deux évangiles de jugement.
« J’avais faim et vous m’avez donné à manger.
J’avais soif et vous m’avez donné à boire.
J’étais nu et vous m’avez habillé.
J’étais en prison et vous m’avez visité. »
« Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim, soif, être dénudé ou en prison ? »
« A chaque fois que vous l’avez fait à un plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »
Mais ces gens qui sont jugés ne savent pas que c’est le Christ. Et l’Évangile dit bien qu’alors, ce sont les nations païennes qui seront jugées. Comme Saint Martin qui donne la moitié de son manteau à un pauvre à Amiens, et à qui Jésus apparaît pour lui expliquer après qu’il L’a reconnu dans le pauvre.
Ainsi, les païens seront jugés sur la charité. Il en sera aussi de même pour nous mais aujourd’hui, le Seigneur nous dit qu’il y a une autre exigence : à chacun d’entre nous est remis un talent. Les païens n’ont reçu d’autre talent que leur conscience. Mais nous, nous avons reçu l’Évangile, les prophètes et les sacrements. Nous sommes ainsi des privilégiés et nous serons jugés comme tels. A qui a plus reçu, il sera plus demandé, nous dit aussi l’Évangile.
Qu’est-ce que l’Évangile ?
Un autre point très important : qu’est-ce que l’Évangile que nous avons reçu ? Est-ce une espère ce gros livre qui attentant tranquillement dans notre bibliothèque à prendre la poussière, un objet dans un coin de sa maison ? Non ! l’Évangile est vivant !
Je vous rappelle ce très bel épisode de la vie de Saint Antoine de Padoue représenté dans toutes ses reproductions. On l’appelle le docteur évangélique, il en était pétri. Ainsi, il est dit que l’Enfant Jésus lui est apparu sur ce livre. Dans ce sens, on peut dire que l’Évangile est une personne. Mieux encore, c’est un enfant qui ne demande qu’à grandir. Or, si on ne nourrit pas un enfant, si on ne le désaltère pas, si on ne l’aime pas, il va mourir.
Il en est de même pour la semence de l’Évangile déposée dans notre cœur. Elle porte en elle un dynamisme te si celui-ci n’est pas honoré, il va s’éteindre. C’est pour cela qu’il y a un parallèle entre l’Évangile, ces talents et l’argent.
Lorsque j’étais enfant et que ma vieille tante m’avait envoyé un billet de cinquante francs, mes parents me conseillaient de le mettre à la caisse d’épargne pour qu’il fasse des petits. A travers cela, c’est l’Évangile qu’ils m’enseignaient.
Il est nécessaire de nous demander ce que nous mettons en œuvre pour permettre à cet évangile de grandir. Concrètement, la grâce de l’Évangile a été déposée par la grâce du baptême. C’est un principe de croissance. Alors, il faut en prendre acte : la grâce en moi n’a pas été vaine. Comme le dit Saint Paul :
« La grâce va mettre à mort en moi les œuvres de la chair. »
Et la théologie dit : elle va me surélever, elle va changer mes désirs. Bref, c’est tune révolution qui s’accomplit à travers moi. Comme un petit enfant dans une famille : c’est une révolution, tout tourne autour de lui ! Voilà ce qu’est la grâce : tout tourne autour d’elle.
Un appel à l’ouverture…
Un autre point important : si vous me permettez encore de citer mes parents, ils me disaient qu’heureusement qu’ils avaient eus des enfants car, en arrivant dans cette nouvelle ville, ils ne connaissaient personne et ont pu se faire des amis en allant nous chercher à l’école. C’est le principe de l’Évangile qui me force à sortir de moi-même et à aller vers les autres. Quand il est vécu, il est une puissance d’ouverture, un remède magnifique à l’individualisme.
Le pape François disait encore en citant l’Apocalypse :
« Le Christ est à la porte et Il frappe. »
Voilà le dynamisme que le Christ suscite en moi.
Un dernier point : l’Évangile de ce dimanche nous enseigne aussi un autre usage de la liberté. Qu’a fait le dernier homme qui a eu un seul talent, le dernier serviteur ? Il a parfaitement appliqué la loi des dépôts consigné dans les écritures : quand tu recevras un dépôt, tu le remettras intégralement à son propriétaire.
Et Jésus nous dit que l’on ne peut pas se contenter de légalisme. Il y a un temps nouveau, une semence nouvelle. Vous devez considérer votre liberté autrement aujourd’hui : c’est la liberté de l’initiative et du risque. Que fait Jésus au moment de S’en aller ? Il confie Son Église aux apôtres qui viennent de Le trahir… Cela aurait été beaucoup plus sûr qu’Il reste sur la terre et qu’Il garde le gouvernail. Non, ce n’est pas la logique de l’Évangile ni celle du Christ.
Le risque est l’initiative dans l’usage de notre liberté. Qu’elle soit audacieuse !
Le pape ne cesse de dire :
Audace et liberté !
Pensons à Jean-Paul II qui lance les JMJ parce que c’était l’année internationale de la Jeunesse, quelle audace ! Je pense à un Benoît XVI qui lance le Parvis des Gentils où il va inviter des hâtées, des agnostiques pour dialoguer avec des croyants : on aurait pu se demander si l’Église n’était pas en train de se paganiser et de rentrer dans l’agnosticisme…
Et chacun des saints de notre belle Église, malgré les difficultés et les péchés de ses membres, chacun d’eux a su utiliser sa liberté de manière créatrice. C’est le cas de Jésuites. Le seul mode de vie religieuse à l’époque c’était la vie monastique à prier l’office. Et Saint Ignace invite à aller enseigner et que l’apostolat soit la règle. L’office sera dit personnellement puisqu’ils seront sollicités par les besoins de la mission. Mu par l’Esprit, il va rompre avec une tradition multiséculaire, et sera donc en parfaite homogénéité avec l’histoire de l’Église.
Alors posons-nous la question : comment est-ce que j’utilise ma liberté ?
Pour conclure, chers frères et sœurs, la Vierge-Marie a reçu ce talent précieux qu’est l’Enfant Jésus. Elle l’a fait fructifier, Elle L’a nourri et a été attentive à Lui. Grâce à Elle, le Christ a atteint Sa taille adulte. Elle a grandi aussi dans Son cœur et Son cœur en a été élargi. Mais surtout, Elle L’a donné au monde. A nous, frères et sœurs, par l’Évangile et par l’Eucharistie que nous allons recevoir, le Christ est remis comme cet enfant. Qu’allons-nous en faire ? voulons-nous qu’Il remplisse l’Univers ?
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre des Proverbes 31,10-13.19-20.30-31.
- Psaume 128(127),1-2.3.4-5c.6a.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 5,1-6.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 25,14-30 :
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole :
« Un homme qui partait en voyage appela ses serviteurs et leur confia ses biens.
À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités. Puis il partit. Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla pour les faire valoir et en gagna cinq autres. De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres.
Mais celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser la terre et cacha l’argent de son maître.Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et il leur demanda des comptes.
Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, présenta cinq autres talents et dit : “Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.”
Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.”
Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi et dit : “Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres.”
Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.”
Celui qui avait reçu un seul talent s’approcha aussi et dit : “Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.”
Son maître lui répliqua : “Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu. Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts.
Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix.À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a.
Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !” »