Homélie du 32e dimanche du temps ordinaire

10 novembre 2020

« Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

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Texte de l’homélie :

Chers frères et sœurs

Dans l’Antiquité, les hommes recherchaient la sagesse, et avec une humilité qui pourrait nous surprendre de la part de païens, ils refusaient de s’appeler sages. Seul Dieu étant sage. Mais ils se dénommaient « amants de la sagesse », philosophes. Toute leur vie consistait en cette quête de la sagesse. Et elle était informée par cette quête. L’ascèse affinait la maîtrise de leur sens, le célibat les prémunissait contre les emportements de la passion.

Alors que peuvent apporter de plus les sages de l’Ancien Testament, dont la première lecture se fait l’écho ? qu’avaient-ils de mieux, leur perfection morale était-elle supérieure à celle des Grecs, ou des Égyptiens ? Non, on ne peut dire ça.
Et pourtant, d’une certaine façon, ils n’avaient plus rien à voir avec ces philosophes, ces amants de la sagesse, qui partaient à sa quête.

La sagesse se laisse trouver

Et ça, c’est la merveille de cette lecture du jour : ce n’est plus l’homme qui poursuit la sagesse, c’est la sagesse qui vient chercher l’homme.

« Elle devance leur désir en se montrant la première…
Elle va et vient pour rechercher ceux qui sont dignes d’elles…
Au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant… »

Ce texte admirable qui, en quelques mots et sans rien disqualifier de la sagesse antique, dit toute la nouveauté du Dieu de Jésus Christ qui vient nous chercher.

Et dans ce texte, tout est grâce, tout semble facile :

« Elle se laisse contempler… Celui qui la cherche ne se fatigue pas ! »

L’ascèse du sage, ses efforts sont totalement estompés…

Ce texte nous oriente vers une nouvelle conception de la quête de Dieu : et si elle était plus facile qu’il n’y paraît ? Si l’héroïsme n’était pas forcément là où on l’attendait ?…

Nous parlons souvent de l’héroïcité des vertus des Saints. Dans les martyrologes anciens, les exploits ascétiques, les résistances farouches aux assauts du mal devaient nous faire pousser des « ô » et des « ah » d’admiration… C’était la chance d’un christianisme difficile, héroïque. Le désir des choses difficiles à réaliser, les exploits pouvait jouer pour embrasser la vie chrétienne. Les fresques dans les séminaires des missions représentaient souvent les supplices à quoi on se préparait. On avait le désir de se dépasser, de montrer ce qu’il y a meilleur dans l’homme et ainsi, le christianisme devient chemin d’héroïsme.
C’est tout à fait légitime, mais pas suffisant.

Car l’essentiel n’était pas là. Si le christianisme était plus facile qu’il n’y paraît ? s’il fallait courir le risque de la facilité ? le Christ ne dit-il pas :

« Mon joug est facile est mon fardeau léger ? »

Et notre fondateur reprenant François de Sales lorsqu’il disait :

« Quand on aime, rien ne paraît dur »

Les amateurs d’héroïsme en sont-ils pour leurs frais ? Reconnaissons-le : parfois, nous voyons bien ce que cela produit quand l’irascible, ce désir d’accomplir des choses difficiles avec bravoure n’est pas satisfait : Naaman le syrien est lépreux, et son lui recommande pour guérir de se baigner dans le fleuve Jourdain. Devant la facilité de la démarche, il s’énerve, pense qu’on se moque de lui…

Parce que débarrassé de la difficulté, nous sommes comme reconduits à notre cœur, au principe de notre désir. Comme si nous étions Adam dans le paradis, et que Dieu nous reposait la question, au milieu de cette harmonie générale : « me fais tu confiance » « Veux-tu vivre avec moi ? »

Attendre l’époux avec sagesse et patience

C’est le sens de cette parabole des Vierges folles et des Vierges sages. Toutes sont vierges, c’est à dire qu’elles vivent toutes selon un ordre, conformément à une pureté qui peut coûter bien des efforts, nécessiter bien de la vigilance. Le Seigneur nous dit bien : « Ce n’est pas cette virginité qui m’intéresse. »

Certaines ont prévu de l’huile, d’autres non. Qu’est ce que cela signifie ? certaines aiment l’époux, et parce qu’elles aiment elles prévoient : cette huile est le signe de leur désir, de leur désir que l’époux arrive jusqu’à la salle des noces.
C’est tout le sens du psaume qui chante la soif de Dieu :

« Après toi languit ma chair… »

Et parce ces jeunes femmes aiment, elles peuvent attendre. Car ce qui rend possible l’attente, c’est de faire en sorte que vive en moi l’image de ceux que j’aime et dont je suis loin.
C’est « l’impression de la réalité aimée » dira saint Thomas.

D’autres n’ont rien prévu et c’est leur folie. Qui est fou, dans la Bible si ce n’est celui qui dit dans son cœur : « Dieu n’existe pas. »

Au cœur de ces vierges folles, l’époux est déjà mort. Il ne vit plus en leur cœur. Alors elles n’attendent pas vraiment, elles font « comme si », elles font la comédie humaine, la comédie de la religion. Elles ont perdu la vigilance du cœur. Elles ont perdu la foi.
Devant tous ces gens qui disaient « j’ai perdu la foi », un écrivain catholique demandait s’il ne serait pas opportun de créer le bureau des foies perdues, comme il y a le bureau des objets perdus ! On arriverait au guichet et on dirait : « Monsieur, voilà j’ai perdu la foi. »
On nous poserait alors la question : « Vous souvenez vous la dernière fois que vous l’avez utilisée ? »…

Chers frères et sœurs, il y a un enjeu terrible, à chaque étape de notre vie : c’est de rencontrer Dieu, sans excuse, le cœur à nu et L’entendre nous dire : « veux-tu ? », Le rencontrer dans Sa douceur et Son infini respect, Lui qui ne veut pas faire vibrer en nous les cordes de l’affectif, ni celle du désir d’héroïsme, pour que nous nous attachions à Lui.
Oui « ce n’est pas la toute-puissance de Dieu qui nous menace, mais Sa douceur »
Il ne nous dit plus : « as-tu besoin de moi ? ou « veux-tu me servir ? mais « veux-tu être mon ami ? ». La réponse que nous ferons donnera tout son poids à nos existences, toute la qualité à notre vie.
Nous basculerons ou non dans Son camp selon cette réponse. Et elle est à donner à chaque moment de notre vie.

Alors, si nous Le suivons, si nous L’acceptons, c’est vraiment le martyre du cœur, mais non pas le martyre à reprendre au sens premier, le cœur transpercé de flèches, mais dans le sens du témoignage, le témoignage d’un cœur qui a fait alliance avec Son Dieu. Ce cœur restera dans la paix.

Pour terminer, j’aimerais vous parler de Polycarpe. C’est un martyre des premiers siècles qui avait connu Saint Jean. Et au moment de son procès, on demande à Polycarpe – devenu vieux : « vas-tu enfin renier ton dieu qui n’existe pas ? » et lui de répondre tout simplement : « Comment pourrai-je faire du mal à Celui qui m’a fait du bien depuis que je suis tout enfant ? »
Il n’y a pas de prétention d’héroïsme là dedans, mais pourtant, il sera ce grand héros, ce grand martyre que nous connaissons.

La Vierge Marie l’a ô combien compris : extérieurement, il n’y a peut-être rien de difficile, mais intérieurement, en chaque instant, un cœur uni à Son Fils, dans la gloire et dans la croix, un cœur infiniment heureux de se savoir lié pour l’éternité à Celui qui est tout pour Elle,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Sagesse 6,12-16.
  • Psaume 63(62),2.3-4.5-6.7-8.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 4,13-18.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 25,1-13 :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole :
« Le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux.
Cinq d’entre elles étaient insouciantes, et cinq étaient prévoyantes : les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile, tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes, des flacons d’huile.
Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent.
Au milieu de la nuit, il y eut un cri : “Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.”
Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et se mirent à préparer leur lampe.
— Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes : “Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.”
Les prévoyantes leur répondirent :
— “Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous, allez plutôt chez les marchands vous en acheter.”
Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva. Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée.
Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent :
— “Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !”
Il leur répondit :
— “Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.”
Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »