Homélie du 28e dimanche du Temps Ordinaire

15 octobre 2024

« Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »

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Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs,

Le moins que l’on puisse dire est que le monde qui nous entoure peut nous inquiéter. Les temps sont troublés, et nous avons parfois le sentiment que nous ne sommes pas à notre place, que nous sommes bien démunis devant toutes ces réalités qui pourraient peut-être nous broyer. Il y a comme une disproportion entre ce que nous sommes et ce monde qui nous entoure, ces réalités qui sont autour de nous.

Alors, je voudrais revenir à cette petite histoire que nous avons entendu dans notre enfance : vous vous souvenez tous de la fable du petit Poucet ? ce brave enfant sème des petits cailloux pour pouvoir retrouver son chemin dans une forêt profonde où il risque de s’égarer.
Souvenez-vous aussi du fil d’Ariane ? Thésée, pour libérer le pays des ravages d’un monstre qui réclame son tribut de jeunes vies humaines, doit pénétrer au plus profond du Labyrinthe pour pouvoir tuer le Minotaure… Mais ce labyrinthe est un piège terrible dont il risque de ne pouvoir sortir : aussi prend-il soin de dérouler ce fil à mesure qu’il avance vers le cœur de ce palais aux mil méandres pour ne pas s’y retrouver piéger. Ainsi peut il retrouver son chemin.

Une aide pour ne pas se perdre dans ce monde immense

La sagesse populaire de nos contes, ou de nos légendes antiques nous dit ceci : il nous faut une aide pour nous avancer dans la forêt de ce monde, quelqu’un qui nous prenne la main pour nous aventurer dans les dédales de notre monde. Nous risquons de nous y perdre, le monde risque de nous broyer comme cette forêt du petit Poucet, ou ce labyrinthe de Thésée.
La Bible a bien sûr sa version pour nous dire quelle est cette aide, quel est notre fil d’Ariane à nous Chrétiens, ou ces pierres blanches du conte. C’est la Sagesse. Cette Sagesse qui parcourt tout l’Ancien Testament, c’est ce guide sûr qui nous vient d’en haut, et qui nous permet de traverser le monde sans nous y perdre.

Nous savons combien il est complexe, difficile et dangereux, de combien de pièges il est doté et combien il risque de m’anéantir. Et dans l’Ancien Testament, la Sagesse est d’abord un guide de survie. On est frappé de voir combien les considérations les plus triviales y côtoient les recommandations morales les plus élevées. Ainsi dans cet écrit de Sagesse qu’est le livre des Proverbes, on va louer l’époque idéale, mélange d’habileté, de sagesse, de bonté :

« Sa bouche s’exprime avec sagesse et sa langue enseigne la bonté.
Ses doigts s’ouvrent en faveur du pauvre, elle tend la main au malheureux. »

Mais, c’est quelqu’un d’astucieux, car elle sait aussi faire face à l’hostilité du monde, au froid, à la famine :

« Elle ne craint pas la neige pour sa maisonnée, car tous les siens ont des vêtements doublés. Elle est comme les navires marchands, faisant venir ses vivres de très loin. »

Et dans le texte de ce jour est vrai pour de ce point de vue aussi : c’est cette prière que l’on attribue à Salomon qui est devenu Roi, c’est un tout jeune homme. Il se rend à Gabaon, non pas pour y demander la richesse et le pouvoir, mais il y demande un cœur qui sache écouter, un cœur sage. Il fait cette magnifique prière que l’on retrouve dans le Livre de Rois pour demander :

« Donne-moi la sagesse qui vient d’auprès de toi »

En effet, sa tâche est difficile : il a entre ses mains un Royaume avec des alliés à se concilier, des situations délicates à régler, un pays à faire prospérer, des ennemis à combattre et à transformer en alliés, autant de tâches qui le dépassent et il lui faut cette force d’en haut, cette lumière de Ciel qui lui permettra de s’en sortir.

Frères et sœurs, ce texte fait donc état de la manière dont la Bible nous aide à dépasser cette première disproportion : nous voyons comme il est difficile pour nous aussi de trouver notre juste place dans le monde sans nous laisser ni séduire, ni détruire par lui. Or nous avons à en être les rois, c’est notre vocation de baptisés que de le diriger, le ramener à Dieu. Cela nous dépasse ! Alors, à chaque moment, il nous faut cette vigilance qui nous vienne du Très Haut, cet esprit éveillé pour pouvoir faire les bons choix, prendre les bonnes décisions. Effectivement, il faut demander conseil, il faut se cultiver, mais il faut aussi se laisser éclairer par cette sagesse d’En Haut.

Ne pas s’égarer dans les méandres infinis de notre cœur

Une deuxième disproportion dont fait état la deuxième lecture, c’est celle de notre propre cœur ! Pourtant, il nous échappe. Il y a en nous un gouffre que nous ne pouvons pas sonder…

« Le cœur de l’homme est compliqué et malade ! Qui peut le connaître ? Moi, le Seigneur, qui pénètre les cœurs et qui scrute les reins, afin de rendre à chacun selon ses actes, selon les fruits qu’il porte. » (Jérémie 17,5-10)

Oui, notre cœur nous échappe. Nous ne savons pas « ce qu’il y a dans l’homme » pour reprendre l’expression de l’évangile. Mais, pour sonder cet abîme, Dieu nous donne Sa Parole.

« Pas une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, soumis à son regard. Elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles. »

Frères et sœurs, nous désirons tous cette connaissance intime de nous-mêmes. Vous le savez bien, c’était le mot d’ordre des philosophes en Grèce… « connais-toi toi-même ! »

A l’inverse, ne pas se connaître, c’est comme avoir en soi une bombe à retardement dont on ne sait quand elle éclatera. Je lisais dernièrement ce livre d’Emmanuel Carrère qui s’appelle L’adversaire qui raconte l’histoire de ce père de famille bien sous tous rapports et qui finalement tue un jour toute sa famille. Il ne se connaissait pas lui-même.

Mais vous l’avez bien compris, impossible de se connaître par soi-même seul : il faut le regard de celui qui nous a créés. Nous ne pouvons être analphabètes de nous-mêmes, de nos émotions, ce qu’elles signifient, d’ignorer ses sentiments. Ils peuvent nous amener n’importe où si nous n’avons pas un minimum d’initiation à cette connaissance de nous-mêmes.
Et la Parole est là pour nous démasquer, et c’est salutaire !

Je me souviens que la Parole a joué ce rôle de manière très concrète il y a quelques années alors que j’effectuais goum, ces randonnées ascétiques où on ne mange pas beaucoup. Et alors, la faim me tenaillait. Je tâchai de continuer à jouer le rôle du garçon serviable, prêt à tous les services, mais je ronchonnais intérieurement - de manière plus ou moins apparente d’ailleurs. Puis, un des participants m’a simplement dit cette petite phrase, « entre la poire le fromage si je puis dire » :

« Dieu aime qui donne avec joie ! »

Et alors là, j’ai ouvert les yeux sur moi-même qui ne cessais de râler, et celle mascarade de générosité a été éliminée !
Voilà pour cette deuxième disproportion : celle d’un cœur qui nous échappe. Nous avons besoin de ces phrases qui nous réveillent, de cette Parole qui nous juge ! Comme le dit Saint Paul dans son épître aux Hébreux :

« Nous aurons à lui rendre des comptes. »

Il faut aussi que notre prière soit le moment du jugement où nous passons à nu devant Dieu.

J’aimerais évoquer une troisième disproportion : celle de notre propre vie… Beaucoup d’entre vous êtes au moment du choix de vie, de la vocation… Nous ne savons pas très bien quoi en faire : tant d’années à vivre, comment les orienter, quel métier ? quel choix de vie, quel choix d’état de vie ? Suffit-il de travailler, dormir, manger et avec avoir quelque amis ? Est-ce que ça suffit d’accomplir la loi comme le fait le Jeune homme riche dans l’évangile ?

Nous sentons que notre vie est un bien très précieux, mais aussi un bien qui est trop grand pour nous, si je puis dire. Voyez, la première vraie richesse de ce jeune hommes, c’est sa propre vie : que va-t-il faire de cette richesse ? Et s’il suit le Christ, le Christ va lui révéler la valeur et la noblesse de cette vie.

Si on ne suit pas le Christ, devant cette vie, nous sommes un peu comme cet homme que j’ai croisé un jour : un homme très sympathique, mais simple d’esprit et c’était compliqué pour lui. Et voilà qu’un jour, il gagne à la loterie, une somme énorme. Et gain a été pour lui comme une malédiction, car il ne savait pas quoi en faire. Personne pour le conseiller, l’orienter…

Quelle belle parabole cela peut être par rapport à cette richesse de notre vie dont nous ne saurions pas quoi faire. Voilà pourquoi rencontrer le Christ est une vraie bénédiction dans ces cas là. C’est une bénédiction que le Jeune homme riche laisse passer, cela a été une bénédiction pour cet autre jeune homme riche qu’est Matthieu…

« Aussitôt, il se leva et il le suivit. »

C’est cette devise que le Saint Père a choisie :

« Il se leva et lui fit miséricorde. »

En effet, l’appel est une miséricorde qui me révèle toutes les forces vives qui sont en moi, ce trésor de dignité que j’abrite, je sais enfin où l’orienter. Ma vie me dépasse, mais le Seigneur envoie Son Christ pour me servir de modèle, pour m’appeler à Sa suite, pour que mon cœur puisse être orienté et, s’étant orienté, puisse s’apaiser.

Oui, le Christ passe dans nos vies. Il ne nous donne rien d’abord, mais Il nous donne de pouvoir nous donner, et c’est là la paix et la joie !

En ces temps incertains, nous avons ce qu’il faut pour traverser le monde, pour affronter notre cœur, pour orienter notre vie.

François de Sales aimait beaucoup dire à ses religieuses :

« Vous avez tout ce qu’il vous faut, confiance, le monde n’est pas un piège, notre cœur et notre vie non plus. »

Marie a entendu cette appel par la parole de la part de l’Ange, cette parole qui l’a mise en route, et depuis ce moment, la grâce L’a travaillée, L’a fait grandir. Sa vie a pris tout son essor, Sa charité nous a tous embrassés. Qu’Elle continue à le faire, qu’Elle continue d’embrasser le monde,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Sagesse 7,7-11.
  • Psaume 90(89),12-13.14-15.16-17.
  • Lettre aux Hébreux 4,12-13.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 10,17-30 :

En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda :
— « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »
Jésus lui dit :
— « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul.
Tu connais les commandements : ‘Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère.’ »
L’homme répondit :
— « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. »
Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit :
— « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. »
Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples :
— « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. »
De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux :
— « Mais alors, qui peut être sauvé ? »
Jésus les regarde et dit :
— « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »

Pierre se mit à dire à Jésus :
— « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. »
Jésus déclara :
— « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »