Homélie du 28e dimanche du Temps Ordinaire

16 octobre 2012

« Amen, je vous le dis : personne n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

Frères et sœurs,

on pourrait se dire que ce n’est pas facile de faire le lien entre cet évangile qui nous appelle à un certain dépouillement, à une certaine distance par rapport aux choses matérielles, et cette année de la Foi. Et pourtant, il me semble que c’est assez providentiel que, dans nombre de diocèses, les célébrations aient lieu précisément ce dimanche-là. Ce n’est pourtant pas un fait exprès : cela tombe juste après les cinquante ans de l’inauguration, de l’ouverture du Concile Vatican II. Le dimanche suivant les fidèles sont là, et on leur parle de l’année de la Foi, cela semble normal.

Au fond, quel est le lien entre les deux ? Qu’est-ce que dit Jésus à cette personne : cela m’a marqué. Comme quoi, on ne relit jamais assez la Parole de Dieu…

« Un homme accourant, se mit à genoux et Lui demanda… »

Ce geste est fort : cet homme est un homme de foi.

« Que faut-il pour avoir la vie éternelle ? »

Alors, Jésus vient toucher sa blessure, son idolâtrie :

« Vas, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et suis-moi »
Il s’en alla car il avait de grands biens.

Quel est notre rapport aux choses matérielles ?

Le Seigneur nous invite à revisiter au plan personnel – ainsi qu’au plan communautaire - quel est notre lien aux biens matériels. Surtout quand on vieillit, car je trouve que ça prend plus de place. Sans doutes du fait que l’on a moins de ressort pour accepter les manques de confort ; nous y sommes ainsi plus attachés tout comme à la sécurité que procurent les biens matériels.

Jésus ne nous dit pas de ne pas nous occuper, mais de ne pas nous préoccuper outre mesure des choses matérielles, ce qui n’est pas tout à fait pareil. Et aujourd’hui, avec les difficultés que nous connaissons dans notre société, l’Évangile résonne avec une force incroyable. Alors que, pour beaucoup, la réussite est synonyme d’accumulation des biens matériels, au contraire.

La réussite c’est d’être riche aux yeux du monde. Tout comme la réussite pour le juif au temps de Jésus : la richesse matérielle signe de la bénédiction de Dieu. On comprend alors le désarroi des disciples : « On nous avait enseigné que si nous étions riches, c’est que Dieu nous bénissait »… « Il vous a été dit, certes… mais Moi, je vous dis… » à la fois continuité et rupture.

L’Évangile vient à notre secours pour répondre à cette question

Le message évangélique sur les biens matériels est vraiment prophétique. Alors que le matérialisme, le capitalisme, le rapport aux biens matériels et à l’argent en général se traduit par : « c’est à moi et c’est pour moi », alors que le communisme dirait : « c’est à tous et c’est pour tous », nous, chrétiens, nous disons : « c’est à moi et c’est pour tous ». C’est la doctrine sociale de l’Église. A la fois la reconnaissance de la propriété individuelle, de la propriété privée, et à la fois, cette responsabilité des biens que nous avons face à la société : « c’est pour tous ».

Au fond, ce langage-là est prophétique et l’on voit qu’il perce de plus en plus : bon nombre de managers et d’investisseurs demandent à recevoir un certain nombre d’enseignements sur ces questions-là. Pour nous aussi, c’est une manière de s’interroger : est-ce que nous sommes dans une relation de dépendance, ou est-ce que nous sommes libres ?

Un éclairage concret sur ce sujet

Voici une mise en situation qui peut être intéressante :

Face aux contre-temps : il y a toujours des contre temps liés au matériel, ça « bug » à un moment donné : vous êtes prêt, mais le micro qui ne marche pas, la voiture ne démarre pas, le lave-vaisselle vous lâche alors que vous avez des invités… Demandons-nous comment nous réagissons face à ces contre-temps liés au matériel ?

Ainsi, on peut revisiter notre attitude : a t-on une certaine liberté par rapport à cela, ou est-on dans une certaine dépendance ? Et au plan personnel aussi, au plan communautaire ? Jésus nous appelle comme communauté paroissiale, communauté de vie, communauté religieuse : est-on vraiment libre, est-ce que l’on s’abandonne tout en étant responsable. L’abandon ne signifie pas vivre d’amour et d’eau fraîche, ce n’est pas ce que dit Jésus. Il parle de faire confiance.

Sur la question de l’idolâtrie

Il s’agit justement là d’idolâtrie, et c’est intéressant de voir cette opposition énoncée par Jésus : « on ne peut pas servir Dieu et l’argent ». Alors, qu’il y a les trois formes de tentation : l’amour lié au plaisir, l’amour de l’argent et l’amour du pouvoir. Mais, Jésus insiste là dessus parce qu’au fond, l’argent amène les deux autres. Sans argent, vous n’avez pas de pouvoir, sans argent, vous en pouvez pas accéder à grand chose en termes de plaisir désordonnés.

Je crois donc que le Seigneur nous invite à revisiter cela et voici le lien avec l’année de la Foi : c’est autant de choses qui peuvent nous encombrer. Adoptons une autre attitude intérieure, ne demandant pas au matériel, à l’argent et à toutes les formes de richesse que nous avons de nous combler.

Voyez comme le curseur est difficile à mettre : l’Église lutte pour qu’il y ait moins de pauvres, moins de miséreux, et c’est légitime ; cette communauté a bien besoin de maisons et d’infrastructures pour que vous puissiez faire une retraite, comme nous-même à l’Abbaye d’Ourscamp. Mais, y mettons-nous notre cœur ?

Une année de la Foi, une année pour se convertir

« Si vous amassez des richesses, n’y mettez pas votre cœur. »

Le Saint-Père a lancé l’année de la Foi, à quelques jours de l’anniversaire du Concile, avec ce désir de nous aider à voir ce qui nous alourdit dans ce chemin de la suite du Christ. C’est un peu comme un grand temps de carême, je le verrais un peu comme ça. Une conversion, en particulier pour notre société occidentale de vieille chrétienté. La foi catholique, chrétienne en général, étant du « déjà vu », ses valeurs étant déjà très assimilées par nos sociétés et c’est heureux. Puis, on aurait ainsi évacué la suite du Christ, pour ne retenir que les valeurs.. ;

Il est bon de nous demander ce qui nous alourdit dans notre vie de Foi. Car le rapport aux biens matériels n’est pas sans conséquences sur la vie de Foi, justement. Quelque part, c’est une forme de dépendance, un attachement, une sorte d’anxiété exagérée… bien évidemment, il faut payer les factures à la fin du mois, mais le point n’est pas là. Il est dans notre cœur : où en est-on ? si l’attachement est exagéré, c’est que c’est signe au plan spirituel d’un manque de confiance. On veut sécuriser. On veut dominer, ne pas lâcher prise. Et encore une fois avec l’âge, ça prend plus d’importance, avec les fragilités du corps. Quelque part, on a besoin d’assise, plus que dans la force de l’âge, parfois. Dormir par terre devient plus un problème.

Alors, je crois que le Seigneur nous invite à voir ce que nous possédons personnellement, communautairement : est-ce que c’est pour tous, est-ce que c’est dans une dimension, d’accueil, est-ce que c’est orienté vers une communion ? Et parfois, dans les circonstances de la vie, nous sommes dépossédés. Dans l’Église de France, en particulier, on voit bien comme il y a une dépossession : la Révolution française, 1905… Mais, au fond, n’est-ce pas autant de visites du Seigneur ?

Il y a tellement de tentation de s’embourgeoiser, d’être des repus… Mais alors, où est Dieu là dedans, si l’on ne laisse plus de place, plus de vide ? Nous pouvons donc demander au Seigneur de voir là où l’on en est dans nos communautés respectives : paroissiale, familiale aussi, au plan du couple et de la famille, et de voir ainsi comment l’on vit cette année de la Foi.

Comment allons-nous vivre cette année de la Foi ?

Quel axe donner ? Le Saint-Père l’a rappelé dans son homélie d’inauguration de l’année. Il y a donc :

  • la célébration de la Foi dans sa dimension liturgique,
  • l’annonce de la Foi : la dimension d’enseignement,
  • et le service du frère : la dimension d’une foi mise au service de la Charité, avec cette démarche Diaconia 2013 dans laquelle l’Église s’est lancée depuis quelques années.

Gardons ces trois piliers. Moi qui suis en contact avec les jeunes, j’ai conscience qu’il faut bien faire attention au troisième : le service du frère est parfois difficile d’ailleurs. On fait attention à la liturgie, avec de belles célébrations, avec de beaux chants, des instruments, le sens du sacré, et c’est bien ! on nous demande de solides enseignements, c’est très louable et on ne peut pas être contre ! mais quid du service du frère ?

Nous servons le frère et à la manière de Jésus-Christ. Tous servent le frère, la sœur, ce n’est heureusement pas réservé aux catholiques, et tant mieux. Mais nous le faisons d’une manière particulière, avec un regard qui nous est propre, et pour ça personne ne peut prendre notre place.

Alors, demandons au Seigneur, dans cette année de la Foi, parmi ces trois piliers, peut-être y en a t-il un, vous qui êtes diacres, qui vous tient le plus à cœur. Est-ce celui de la célébration (y mets-je assez de préparation, assez le sens du sacré), l’enseignement, la formation… Peut-être allez-vous être impliqués dans la préparation au mariage, dans la préparation au baptême, dans le catéchisme, que sais-je ? la transmission de la Foi est précieuse ne serait-ce qu’en famille, même si c’est souvent difficile… Le service du frère, qui est un acte de foi, qui est le cœur aussi de la diaconie…

Revisitons ces trois aspects sur le plan personnel, mais aussi sur le plan communautaire. Nous pouvons nous interroger, nous ressaisir, nous interroger comme nous le propose le Saint-Père, dans l’enracinement dans le Concile. A travers tous ces éléments-là, le Seigneur nous appelle à préférer la sagesse, comme disait la première lecture. La sagesse dans le sens sapere : c’est à dire goûter. Qu’est-ce qui nous empêche de goûter :

« Goûter et voyez comme le Seigneur est bon ! »

Qu’est-ce qui nous empêche, qu’est-ce qui nous empêche, qu’est-ce qui nous sature les papilles spirituelles, comme quand vous prenez une soupe trop salée ou un gâteau trop sucré : on est tout de suite saturé et on ne peut plus rien goûter. De même, il y a des choses matérielles qui nous saturent, il y en a aussi peut-être d’autres, qui nous empêchent d’ouvrir notre cœur. Alors, demandons au Seigneur dans cette année d’avoir l’intention d’une conversion intérieure pour Lui laisser la place et devenir des hommes et des femmes de Foi,

Amen.


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Sagesse 7,7-11.
  • Psaume 90(89),12-13.14-15.16-17cd.
  • Lettre aux Hébreux 4,12-13.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 10,17-30 :

Jésus se mettait en route quand un homme accourut vers lui, se mit à genoux et lui demanda :
— « Bon maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? »
Jésus lui dit :
— « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul.
Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. »
L’homme répondit :
— « Maître, j’ai observé tous ces commandements depuis ma jeunesse. »
Posant alors son regard sur lui, Jésus se mit à l’aimer. Il lui dit :
— « Une seule chose te manque : va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor au ciel ; puis viens et suis-moi. »
Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.

Alors Jésus regarde tout autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Mais Jésus reprend :
— « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu. Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. »
De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux :
— « Mais alors, qui peut être sauvé ? »
— Jésus les regarde et répond : « Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »
— Pierre se mit à dire à Jésus : « Voilà que nous avons tout quitté pour te suivre. »
— Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : personne n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »