Homélie du 28e dimanche du Temps Ordinaire

11 octobre 2021

« Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. »

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Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs,

Vous n’êtes pas sans avoir entendu parler de la remise du rapport de la CIASE à Monseigneur de Moulins-Beaufort et toute la couverture médiatique que nous en avons fait. A travers tout ce que cela révèle, je me disais mais comment puis-je encore vous parler aujourd’hui, comment l’église aujourd’hui peut encore vous parler… C’était une vraie question pour moi.

Après la deuxième guerre mondiale, vous le savez peut-être, certains S était dit qu’on ne pouvait plus parler de Dieu comme avant. Après les camps de concentration et d’extermination, le discours traditionnel sur un dieu bon et tout-puissant nécessitait d’être repensé, car il semblait faux.
Et donc qu’un philosophe juif, Hans Jonas, a réfléchi et a élaboré une théologie vraiment belle et profonde. A ce sujet, il a écrit un petit livre remarquable : Le concept de Dieu après Auschwitz.

Or, aujourd’hui dans l’Église en général, et dans l’église de France en particulier, le problème n’est pas tant comment ré-élaborer nos concepts de Dieu, un dieu qui laisse se perpétrer les horreurs qui ont eu lieu pendant la deuxième guerre mondiale, mais peut-être la question est un peu différente, plus grave même :

« Comment ceux qui ont fait de Dieu leur part et leur héritage l’ont à ce point trahi ?
Comment des hommes ont dévoyé l’Église, dévoyé l’institution, en se servant de son prestige, de son nom honorabilité pour arriver à des fins si funestes et si terribles ?
Comment ont-ils pu détruire des vies et causé le scandale ? »

Retrouvons le sens du mot scandale, même s’il nous fait mal… Dans ce contexte, le scandale serait de désespérer de la bonté de dieu à cause de la malice des hommes. Cela est vrai pour bien des personnes.
Voici donc le visage de Dieu à nouveau abîmé, flétri, défiguré.

Je me disais pour vous, frères et sœurs, et pour moi aussi, il faut aller jusqu’au bout des sentiments que cela peut générer en nous, en les accueillant sans pour autant les ratifier.

  • Nous pouvons ressentir de la colère face à ce désaveu profond de ce qu’il s’est passé. Cela s’inscrit dans les fibres de notre affectivité.
  • Nous pouvons également ressentir un abattement et il faut lui laisser de la place. Nous sommes terrassés mais pas anéantis, c’est certain.
  • Nous pouvons également nous sentir en deuil, un renoncement à cette image de l’Église que l’on pouvait avoir…

Il faut aller au bout de tout cela. Et, même si l’on sait que plus grande partie des abus ont eu lieu entre les années cinquante et les années soixante-dix, la périodisation a été faite, il reste encore aujourd’hui des situations scandaleuses.

Ce scandale est si grand parce que, malheureusement, des ministres de l’Église ont justifié ce que le Seigneur disait à propos des Pharisiens :

« Ils disent mais ne font pas. »

Ils proclament une morale très élevée, très haute, et leur vie est toute au rebours…
Et pire encore, quand il aurait fallu parler, beaucoup ont été des chiens muets, pour reprendre l’expression d’Ézéchiel.

En définitive, il y a un soupçon légitime que je m’adresse à moi-même sur la validité de notre parole, nous hommes d’Église. Toute parole de prêtre n’est-elle pas qu’une parole de Pharisien ? Et si on élargit, toute parle de Chrétiens ne recèle t’elle pas de l’hypocrisie ?

Bref, je reprends cette parole : « Comment vous parler encore aujourd’hui ? »
Le pape François disait : « C’est le moment de la honte ». Et quand on a honte, on se tait.

Si néanmoins, frères et sœurs, je continue à vous parler, les hommes d’église continuent à vous parler en tremblant, c’est que l’église ne doit jamais cesser de montrer quelqu’un, de montrer Celui qui est à la hauteur de ce drame : le Christ. Cesser de parler, ce serait prolonger une trahison car, le Christ est bien le seul qui soit vraiment du côté des victimes. Quand nous disons, et nous avons raison de le dire, que nous sommes solidaires de ces victimes, nous savons bien qu’il y a un abîme entre ce qu’elles ont vécu et la résonance que cela produit en nous…
Il est précieux qu’elle puissent rencontrer des oreilles, des cœurs et des intelligences attentives, mais l’abîme demeure.

Frères et sœurs, le Christ est le seul suffisamment dépouillé de lui-même, suffisamment dépossédé de son « moi » humain pour pouvoir recevoir intégralement dans sa sensibilité, dans son cœur tout ce que ces personnes ont vécu. Il est vraiment Celui qui est venu pour cela, pour ne faire plus qu’un avec ces personnes brisées.
Ne l’oublions pas, ce qui est plus terrible que tout, c’est la solitude dans laquelle nous plonge le malheur. En Sa passion, le Christ a visité toute détresse. C’est ce Christ aux outrages, ce Christ qui brise toute solitude, tout enfermement.

Ce Jésus-là, il faut continuer à l’annoncer à le proclamer. Mais plus difficile encore, si je puis dire, c’est que nous aimerions nous a en arrêter là. Pourtant, le Christ a choisi une autre identification : Il prend sur Lui le mal commis par les bourreaux. Il refuse que le bourreau soit écrasé et broyé par le mal qu’il a commis comme cela devrait être s’Il n’était pas venu. Car le Christ a donné Sa vie pour tous, y compris pour les plus grands criminels.

Dès Son baptême, le Christ Se met dans la file des pêcheurs en attendant d’être baptisé par Jean, entre un Romain qui brutalise la population et une prostituée qui vient implorer le pardon de ses péchés. Le Christ est là, et Il est toujours au milieu des pécheurs. C’est cela le mystère de notre Foi. Même si c’est parfois dur à maintenir, c’est ce qu’il faut absolument garder : notre Seigneur assume cette solidarité avec les pécheurs. Si l’on peut dire, Il est le premier à avoir vécu, illustré et honoré cette phrase d’Ethy Illesum qui disait devant toute cette horreur des camp concentration dans lesquels elle est morte en 1943 :

« Ce qu’il y a de laideur dans l’autre est aussi en moi, car, qui est innocent du mal commis ? »

Peut-être vous souvenez-vous de cet épisode qui relate un fait profond ? En 1946, au sortir de la guerre, le Père Breault, ce grand prédicateur de Notre-Dame de Paris, était maître des novices. Et, devant les films qui sortaient montrant l’horreur des camps nazis, ces novices dominicains se scandalisait et étaient horrifiés, disant que cela était monstrueux. Ils avaient raison, mais leur indignation leur permettait de s’acheter une bonne conscience à bon compte. Le Père Breault leur disait :

« Si vous ne savez pas que vous êtes tous capables de cela, vous n’avez rien compris au Christianisme… »

Un auteur titrait dernièrement :

« Rien de ce qui est inhumain ne m’est étranger. Si nous n’allons non pas jusqu’au bout de cette solidarité dans le mal, nous n’irons pas vers le Salut car quelque part nous nous sentirons encore des « justes », sans besoin d’un Sauveur.
Mais au milieu de tout cela, qui que nous soyons, nous avons besoin enfin de regarder le Christ d’une autre façon. Regardez le Christ parce qu’Il est l’Innocent ! »

Ces derniers temps, plusieurs grandes figures de l’Église sont tombés de leur piédestal, se sont écrasées dans la poussière quand on a compris la face obscure et révélé la face obscure de leur vie. Que de deuil ! Et de nos cœurs peut être se levait cette interrogation : « qui est-ce ? »
C’est pourquoi le Christ est bien l’Innocent, parce qu’Il est Celui qui, au sens premier du terme, ne nuit ne nuit à personne. Qui d’entre nous peut dire qu’Il est parfois source de destruction des âmes autour de lui, de nos relations ?

Prendre le temps de poser longuement nos regards sur le Christ Innocent, voilà qui nous répare, voilà qui nous restaure, voilà qui nous fait à nouveau espérer. Nous avons besoin de Le contempler longuement parce que notre âme a soif de cette pureté, de cette innocence qu’Il veut en définitive nous communiquer. Contemplons-Le, supplions-Le et disons Lui :

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Sagesse 7,7-11.
  • Psaume 90(89),12-13.14-15.16-17.
  • Lettre aux Hébreux 4,12-13.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 10,17-30 :

En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda :
— « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »
Jésus lui dit :
— « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul.
Tu connais les commandements : ‘Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère.’ »
L’homme répondit :
— « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. »
Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit :
— « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. »
Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.

Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! »
Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? »
Jésus les regarde et dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »
Pierre se mit à dire à Jésus :
— « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. »
Jésus déclara :
— « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »