Homélie du 25e dimanche du Temps Ordinaire

23 septembre 2024

« Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »

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Texte de l’homélie

Frères et sœurs bien-aimés, pour comprendre un passage d’Évangile, il est toujours bien de le resituer dans son contexte. Lorsque le Christ s’adresse aux douze, nous avons des apôtres qui ont vécu un certain nombre d’événements forts avec Lui : il y a eu les différentes guérisons, la Transfiguration, les deux annonces de la Passion, la profession de Pierre, et aujourd’hui, nous nous situons à Capharnaüm, « à la maison », il s’agit là de la maison de Saint Pierre.
Ils ont vécu des guérisons en terre païenne, celle de la Syro-phénicienne, cette femme qui a poursuivi Jésus de ses cris. Ils L’ont vu marcher sur la mer, multiplier les pains, ils ont écouté les paraboles, ils ont vu les foules qui se ruaient vers Lui.

C’est important de resituer ce passage d’Évangile pour comprendre le raisonnement des apôtres. On est face à une personne publique, une personne qui a du succès même si Lui-même S’en défend puisqu’Il annonce Sa passion. Mais, comme le dit l’Écriture :

« Eux-mêmes ne comprenaient pas. »

Au fond, est-ce que le Seigneur ne nous invite pas nous aussi à avoir une lecture différente des événements ? Nous qui sommes ici, nous n’assistons pas à notre première messe et nous savons forcément un bon nombre de choses : ce n’est pas la première fois que nous entendons l’Évangile, peut-être même celui-là, nous avons participé à beaucoup de célébrations…
Et lorsque le Seigneur s’adresse aux douze, Il s’adresse aussi à nous, religieux, qui avons étudié et qui scrutons la Parole de Dieu, qui fréquentons les Écritures et les choses sacrées.

Et pourtant, Jésus leur conseille d’être attentifs à ne pas s’emparer de ce qu’ils connaissent pour une vaine gloire : être le plus grand.

Vous vous rappelez de ce passage avec les fils de Zébédée et leur mère qui demandait à Jésus qu’ils soient assis l’un à Sa droite et l’autre à Sa gauche… C’est une tentation car Il est devenu une personne publique.

Toute proportion gardée, vous seriez le meilleur ami de Léon Marchand, par exemple, lui qui a battu des records formidables : c’est un peu ce sentiment d’être une personne importante car on est proche de quelqu’un de connu…
Ainsi les disciples voulaient être pleins de cette vaine gloire, car ils ont assisté de près à la manifestation de la gloire du Christ et ils se posent cette question de savoir lequel d’entre eux est le plus grand… Et Jésus leur rappelle que l’Évangile ne fonctionne pas de cette façon.

Vous savez peut-être qu’il y a une manière de faire de la théologie qui s’appelle la « théologie négative". En effet, si l’on connaît des choses sur Dieu, on ne peut jamais vraiment décrire qui Il est. On sait que Dieu est amour et bonté, mais Il ne l’est pas à la façon de la personne humaine. Ainsi, cette notion s’est développée que c’est par la négative que l’on peut approcher Dieu. Tu ne connais rien de Dieu. Celui qui

Il est intéressant de voir que Jésus Lui-même approche un enfant. Ne t’empare pas des choses que tu connais, Dieu n’est pas au bout de tes concepts bien huilés.

Comme nous l’avons entendu dimanche dernier :

« Celui qui ne renonce pas à lui-même n’est pas digne de me suivre. »

Celui qui n’est pas digne de renoncer à la vision qu’il a de Dieu n’est pas digne d’être Son disciple. Qui a vu quelqu’un marcher sur l’eau, ou quelqu’un multiplier la nourriture ? Eux l’ont vu mais si Jésus leur présente un enfant c’est précisément pour leur rappeler que, même s’ils ont vu des choses extraordinaires, c’est dans la pauvreté et l’humilité qu’Il appelle et qu’Il nous rejoint. Et ce n’est pas de savoir qui d’entre eux est le plus grand, qui est le plus proche de Jésus qui permet de se rapprocher de Lui.

C’est notre cas nous, les religieux, qui avons étudié, scruté les Écritures. Et j’aime bien cette phrase de Saint Thomas d’Aquin, grand théologien de l’Église que l’on appelle le "Docteur Commun figure – qui, à la fin de sa vie, face à son œuvre monumentale a dit :

« Ce n’est rien, ce n’est que paille par rapport à Dieu. »

Ainsi, je trouve que cette attitude de Jésus est une pédagogie pour nous. Au milieu de Ses disciples, au milieu de nous, Il met un enfant pour expliquer que celui qui accueille un enfant en Son nom, celui qui rentre dans une logique de pauvreté, L’accueille non pas Lui, mais accueille le Père :

« Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »

Prenons garde à ne jamais nous emparer de ce que l’on a pu percevoir de Dieu. Nous qui participons à cette assemblée dominicale, nous avons des fulgurances, des vraies intuitions spirituelles, des vrais cœur à cœur avec le Seigneur, et pourtant, ce n’est que paille.

Et en disant cela, Jésus invite à l’humilité. C’est pour la troisième fois qu’Il fait l’annonce de Sa passion, et pourtant, la Parole nous le rapporte :

« Ils ne comprenaient pas ces paroles, ils avaient peur de l’interroger. »

Au fond, c’est seulement dans la Passion, dans cette manière tout à fait inédite de dire Dieu qu’Il l’est vraiment. Tous sont issus du peuple israélite et ce n’est pas comme ça qu’ils voyaient le Messie. Et pourtant, c’est de cette manière que le Seigneur veut les sortir de leur zone de confort.

C’est comme cela que je comprends l’Écriture : ne nous installons pas dans nos certitudes sur Dieu, parce qu’elles sont toujours en dessous de la réalité de l’être divin. Au contraire, soyons dans une quête. Et il est bon de dire que Dieu est bon, mais pas comme la personne humaine est bonne, Il est saint, mais pas comme la personne humaine l’est. Je resterai toujours en creux, comme quelque chose qui me dépasse, qui va au-delà même de ce que je peux dire.

Vous le savez peut-être : le verbe être n’existe pas en Hébreux, et cela signifie que l’on ne peut pas coller nos images et nos concepts sur Dieu, nos manières de l’appréhender. Quand on est disciple de Jésus, on peut être tenté de se dire que l’on sait. Et Jésus dit, face à un enfant, celui qui ne sait pas parler : « c’est comme cela que tu dois être. Sois toujours dans une très grande humilité face aux réalités divines. »

Nous ne savons rien. Nous savons dans le sens où nous avons étudié, nous avons écouté la Parole de Dieu et scruté les Écritures, mais à la fin, Dieu est tellement plus grand que tout ce que nous pouvons imaginer.

Alors, je trouve que cette manière de voir le Seigneur et cette invitation à l’humilité est pour chacun d’entre nous une pédagogie. On peut parfois s’enorgueillir de notre science, ou même se sentir supérieur aux autres qui ne connaissent pas, qui ne savent pas. Mais au fond, ne sommes-nous pas tous comme des enfants, ceux qui ne savent pas parler, comme le dit le psaume pour décrire notre position :

« Comme un enfant contre le sein de sa mère… »

Soyons dans un accueil, dans une confiance, dans un dépassement, dans une disproportion. Frères et sœurs bien-aimés, nous sommes la religion de la disproportion, celle du vertige : il n’y a pas de commune mesure entre ce que nous pouvons dire de Dieu - nous disons des choses - et ce qu’Il est Lui-même. Il n’y a pas de commune mesure entre un peu de pain, un peu de vin, et le corps et le sang du Christ qui est là, présent sur l’autel. Nous sommes débordés de toutes parts car tout est disproportion dans le Christianisme.
Et parce que nous sommes la religion du vertige, nous affirmons que nous ne sommes capables de prononcer seulement quelques mots comme un enfant, nous gazouillons comme un nouveau né lorsqu’on parle du Seigneur, et c’est bien comme ça. Nous ne prétendons pas avoir les premiers rangs, les premières places, ce n’est pas ce que nous dit Jésus.

Nous sommes dans cette période de l’Évangile de Saint Marc - l’évangéliste de Pierre – et c’est à Capharnaüm, la maison de Pierre, c’est à dire l’Église. L’Église sait des choses sur Dieu, elle a des siècles de Sainteté, mais tout cela n’est que paille pour suivre l’exemple de Thomas d’Aquin.

Frères et sœurs bien-aimés, à travers ce passage d’Évangile, nous sommes invités à une très grande humilité, à nous remettre complètement dans le Seigneur, à être dans cette confiance et cette simplicité. Oui, nous avons certainement à scruter les Écritures, que notre intelligence soit au service de notre Foi, mais Dieu n’est jamais au bout de notre intelligence. Il est le Tout-Autre, Il est Celui qui est indicible, Celui que nous ne pouvons pas nommer, et à la fois nous croyons en Jésus vrai Dieu et vrai homme. Ce sont les deux choses qu’il faut tenir et c’est dans une zone d’inconfort que nous sommes.

Demandons au Seigneur cette attitude d’humilité de l’enfant. Demandons au Seigneur cette grâce de nous sentir dépassés de toutes parts et à la fois rejoints de toutes parts. A la fois d’être très proches mais d’un Dieu qui est le Tout-Autre.

Puissions-nous, dans cette attitude, devenir les témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Sagesse 2,12.17-20.
  • Psaume 54(53),3-4.5.6.8.
  • Lettre de saint Jacques 3,16-18.4,1-3.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 9,30-37 :

En ce temps-là, Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu’on le sache, car il enseignait ses disciples en leur disant : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. »
Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger.

Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demanda : « De quoi discutiez-vous en chemin ? »
Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand.
S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. »
Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa, et leur dit :
« Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »