Homélie du 25e dimanche du Temps Ordinaire

25 septembre 2023

« “Mon ami, je veux donner au dernier venu autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?” »

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Texte de l’homélie

« Mes pensées ne sont pas vos pensées ; mes lois ne sont pas vos lois. »

En prononçant cet oracle au nom du Seigneur, le prophète Isaïe ne pouvait pas mieux dire pour nous faire comprendre cet évangile. Si nous sommes les premiers, nous recevons tous l’évangile de ce jour comme un choc. Et si tel est le Royaume des Cieux, contrevenant à notre propre justice distributive, il n’y a rien de plus choquant ! Je suis alors tenté de m’inscrire à un syndicat et à fomenter la révolution pour avoir un peu plus de justice dans ce monde…

Mais c’est pourtant l’Évangile. N’y a-t-il pas méprise ? n’avons-nous pas compris de travers ?
Que me révèle cette parabole ? Car ma pensée sur le Royaume de Dieu, sur Sa justice n’est peut-être pas la pensée de Dieu… Il faut peut-être que je réforme et que j’ajuste ma manière de voir.

Nous, sur la terre – et nous l’appliquons souvent aussi au Ciel – nous sommes dans un logique comptable. Il faut mériter, il faut fait être à hauteur, ce sont les bons qui sont récompensés et les mauvais qui sont châtiés. Et, ainsi que c’est sur la terre, nous pensons qu’il en est de même au Ciel, mais d’une manière parfaite, bien sûr…

Pourtant, la Vierge-Marie ne nous avait-Elle pas prévenus dans Son cantique du Magnificat ?

« Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides,
Il élève les humbles… »

Ce royaume de Dieu est justement une révolution pour nous, comme Elle l’avait compris dès l’aurore de l’Évangile. Car le Royaume de Dieu n’est à pas à conquérir par nos efforts, mais il est à accueillir. Il est un don gratuit, ouvert à tous, à tout moment !

Et nous le trouvons très bien dans l’Évangile de Saint Jean le péché est de ne pas accueillir le Salut qui nous est donné par Jésus. Ce n’est pas par nos efforts, par nos sacrifices et par nos souffrances que nous pouvons comptabiliser que nous pouvons obtenir le Royaume de Dieu, mais du sein de notre pauvreté, de notre impuissance, d’accueillir la grâce de Dieu.

Si je pratique la charité, ce n’est pas par bonne éducation ou par politesse. C’est simplement parce que j’accueille l’amour du Christ et que je Le laisse passer à travers moi. Comme nous chantions dans le chant d’entrée, Il vient nous transformer si nous Le laissons mettre Son esprit, Son cœur dans notre cœur.

Et toute la Bible est là pour nous montrer combien les hommes, par leurs efforts et leurs inventions sont toujours en échec pour accomplir la Parole de Dieu. Il n’y a qu’en ayant ce cœur ouvert et nouveau que l’on peut y parvenir.

Mais alors, comment se comporter ? comment vivre ? C’est l’ascèse de la vie chrétienne, car ascèse il y a. Saint Paul nous donne la clef avec ce dernier petit verset :

« Ayez un comportement digne de l’évangile du Christ ! »

Ayez un comportement ajusté à Lui. Vous le retrouverez dans la lettre aux Romains et dans celle aux Éphésiens : la conversion, c’est d’accueillir, de rentrer dans ces mœurs de Dieu.

Dans la lecture de ce jour, Saint Paul va nous donner une clef pour pouvoir pratiquer cette vie suivant l’Évangile, pour discerner et avancer dans notre quotidien, sur ce qu’il faut faire. Lorsqu’il écrit aux Philippiens, Paul est en prison, sans doutes à Éphèse. La situation est grave, et il ne sait pas comment il va s’en sortir : libre ou mort. Alors, il va pratiquer ce que Saint Ignace nous enseignera plus tard au sujet du discernement : il va faire l’expérience de la sainte indifférence. Il est dans un dilemme : est-ce que je choisis de mourir ou est-ce que je choisis de vivre ? où dois-je aller ? Mais il se recentre : au lieu de se projeter dans les deux côtés du dilemme avec ces mots :

« Pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage.
Mais si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. »

Autrement dit, si je meurs, je vais au Christ et si je vis en continuant à prêcher l’Évangile, c’est mener la vie que le Christ selon Son appel. Il est donc dans cette sainte indifférence : ce qui est important pour lui, c’est de vivre de cette vie nouvelle et de la communiquer.

C’est cette sainte indifférence qu’il met de côté pour un temps, car il faut avoir laissé monter nos peurs, nos craintes, nos désirs et nos ambitions. Et même s’il y a une contradiction entre ces deux choix possibles, c’est à la racine d’une chose très mal comprise que le Pape François veut établir pour nous la faire vivre : la Synodalité. Après avoir bien pris conscience du contexte et des enjeux, puis les mettre de côté, abandonner l’élan de défendre nos idées pour parvenir à nous décentrer.
Et c’est ainsi, dans la Sainte indifférence, que pourra jaillir une solution nouvelle, la volonté de Dieu dans la clarté.

Si l’on reprend le verset 25 du texte, il est intéressant de voir qu’il nous montre comment le Seigneur nous accompagne dans cette manière de discerner. Il dit :

« Demeurer ici bas m’est plus nécessaire à cause de vous. »
« Je suis convaincu, je sais que je demeurerai près de vous tous. »

C’est par ce processus que la grâce nous accompagne. Il faut passer par cette sainte indifférence pour acquérir cette certitude intérieure qui s’installe : il a la solution et il peut se disposer à la vivre.

Demandons donc au Seigneur d’apprendre cette logique du Royaume qui n’est pas à notre mesure, en nous mettant au centre - que nos projets soient personnels ou communautaires – d’apprendre à découvrir cette volonté de Dieu qui est cet accueil, qui est au cœur de l’Eucharistie, le Salut de tous, de nous et de la multitude.

Il n’y a pas de barrière pour le Christ, et Son appel peut retentir à n’importe quel moment, à n’importe quel lieu. Et c’est important pour nous de pouvoir relayer cet amour du Christ : si nous le recevons, c’est pour nous transformer. Que nous soyons nous-mêmes Royaume de Dieu pour ceux que nous rencontrons.

Aussi, demandons au Seigneur de laisser de côté notre manière humaine de voir le Royaume de Dieu, d’écouter la Parole :

« Mes chemins ne sont pas vos chemins. Mes pensées ne sont pas vos pensées. »

Seigneur, que mes pensées, que mes chemins soient les tiens,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 55,6-9.
  • Psaume 145(144),2-3.8-9.17-18.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens 1,20c-24.27a.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 20,1-16a :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « En effet, le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée : un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent, et il les envoya à sa vigne.
Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire. Et à ceux-là, il dit : “Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste.” Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même.
Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit :
— “Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?”
Ils lui répondirent :
— “Parce que personne ne nous a embauchés.”
Il leur dit :
— “Allez à ma vigne, vous aussi.”

Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : “Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.”
Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’un denier.
Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier. En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine :
— “Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !”
Mais le maître répondit à l’un d’entre eux :
— “Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ? Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?”

C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »