Homélie du 25e dimanche du Temps Ordinaire

22 septembre 2020

« C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »

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Texte de l’homélie :

Il y a beaucoup d’angles sous lesquels aborder cette parabole, et j’aimerais méditer avec vous ce soir sur un aspect de la parabole qui n’est pas souvent mis en valeur. C’est la question de la colère. On comprend bien la situation : ceux qui sont payés pour la journée de travail ont la même sommes que ceux qui sont arrivés à la fin de la journée. C’est un travail physique : travailler sous le soleil de la terre sainte a du être pénible pour ceux qui l’ont enduré toute la journée, et l’on comprend bien la récrimination mue par un sentiment de colère rapportée dans cette parabole.

« Comment se fait-il que lui qui n’a travaillé qu’une heure touche autant que moi qui ai travaillé toute la journée ? »

Cette parabole nous invite à nous poser la question : que faire de notre colère ?

Que faire de sa colère ?

Pour la définir, la colère s’élève face à quelque chose de présent qui nous paraît mauvais. Face à un mal, je me mets en colère, face à une injustice. Dans le cas de cette parabole, il s’agit d’une injustice au regard humain. Cela peut aussi être face à une personne qui me manque de respect, en présence de quelque chose qui m’atteint. La colère fait partie des émotions, mais elle fait aussi un péché capital.

Les péchés capitaux sont ceux qui sont à la tête et qui en entraînent d’autres – du Latin capitus : la tête. Ce ne sont pas forcément des péchés très graves, mais ils en génèrent d’autres. La colère, par exemple, peut générer la violence, voire l’homicide ; elle peut générer le mensonge, le vol ou la vengeance.

Remarquons que la colère est souvent abordée d’un côté négatif, et il serait bon de donner un autre éclairage que ce côté peccamineux. Et s’il y avait dans nos colères quelque chose de positif ? Si elles agissaient comme des formes d’indignation ? Dans ce texte, l’homme s’indigne que le maître ne soit pas juste. Et l’on voit l’explication dans la suite de la parabole.

La bonne et la mauvaise colère

Il y a aussi un exemple de la colère de Jésus avec les marchands du Temple, nous nous rappelons tous de cet épisode :

« Vous faites de la maison de mon père une maison de commerce… »

C’est l’indignation qui est le premier sentiment et qui débouche sur la colère qui s’exprime.
On connaît aussi des situations dans lesquelles des personnes se sont mises en colère et cela a entraîné tout un mouvement de société : on pense bien sûr à l’Afrique du Sud avec l’Apartheid. C’est la colère d’un homme qui décide de s’opposer à ce système. Et c’est souvent comme cela face à des dictatures ou dans des situations injustes et compliquées – on entend notamment parler de la Biélorussie – et la colère naît et elle est source d’énergie. C’est une énergie qui veut s’opposer au mal qui est présent.

À l’inverse, quelqu’un qui ne se met jamais en colère, la question est : à quoi tient-il vraiment ? Qu’est-ce qui lui tient à cœur ?
On se met en colère parce que l’on veut défendre des personnes et des valeurs. Mais celui qui ne se met jamais en colère, à qui on peut tout dire, dont on peut piétiner les convictions, en a-t-il vraiment ?

Seulement, nos colères ne sont pas toujours le fruit d’une révolte idéaliste. Elles peuvent être le fruit de notre sensibilité, de notre susceptibilité, et il y a un discernement à faire : en me mettant en colère, est-ce un bien que je vise face à un mal présent, pour défendre un bien objectif pour tous ou est-ce juste ma propre sensibilité qui est froissée et je monte sur mes grands chevaux pour me défendre.
On rencontre parfois des personnes colériques et ce sont bien souvent des personnes très sensibles, et lorsque c’est lié à la susceptibilité, c’est une forme de fragilité.

Si la colère est mue par la susceptibilité, elle fragilise la personne, tandis que la colère venant de l’indignation et par l’amour du bien, elle rend plus fort.

Ainsi, il y a un discernement dans nos colères entre indignation et susceptibilité. En tous les cas, c’est bien de pouvoir l’exprimer. Et parfois, on n’a pas l’occasion d’exprimer sa colère dans notre culture, car c’est souvent vu comme quelque chose de mauvais.

Parfois, cette colère se retourne contre nous. Quand elle n’est pas exprimée, elle peut générer des maladies psychosomatiques comme des ulcères, et cela peut aller très loin… C’est le corps qui se retourne contre lui-même.
Prêtons donc attention à cela, et ayons un certain discernement, une nouvelle manière de voir.

Remettre toute sa colère au Seigneur

Dans cette parabole, il s’agit cependant d’autre chose… Le salarié se met en colère contre Dieu à cause de Sa bonté. Mais, peut-on se mettre en colère contre Dieu ? Et c’est pourtant très fréquent. Mais, n’est-Il pas le seul à savoir écouter nos rages, nos violences. Dans la prière, l’espace que nous avons pour nous exprimer face à Lui, n’est-Il pas là pour subir nos coups de grisou ?

Et dans l’Écriture, il est dit :

« La colère des hommes te rend gloire quand les survivants te font cortège. »

N’est-ce pas surprenant ? C’est dans les psaumes que l’on chante à l’office.

Le Seigneur n’est-il pas Celui qui peut accueillir toute forme de colère, toute forme de violence ? Évidemment, on pense à la Passion…

Selon les tempéraments, on peut avoir ce côté colérique plus fortement exprimé, et certaines personnes ne contrôlent pas bien leur colère. On ne choisir pas toujours, mais on peu toujours choisir de demander pardon. Si le premier geste nous a échappé, il reste le deuxième qui permet de demander pardon, et que celui-ci ne vous échappe pas !

Et en méditant sur ce texte, je me suis demandé s’il s’agissait vraiment de plusieurs personnes, ou d’une seule et même personne aux différents stades de sa vie. Et c’est une interprétation que je propose : dans sa jeunesse, dans la vie d’adulte – qui peut travailler toute une journée – dans l’âge de la maturité, puis à la fin de sa vie, quand la lumière baisse…

Le Seigneur nous accompagne dans toutes les étapes de notre vie

Il est intéressant de voir ces états de l’âme : bien souvent dans la jeunesse, on peut avoir ce côté colérique plus fortement exprimé, et cela arrive chez les jeunes. Et si c’est la même personne, c’est intéressant de la voir évoluer progressivement : il y a un appel qui est fait à d’autres choses dans nos vies et il est dit : « Je te donnerai ce qui est juste. » A celui qui s’est levé tôt le matin, on a convenu une certaine somme. A celui qui a été appelé à la troisième heure puis à la sixième heure, on donnera ce qui est juste.
Et celui qui est appelé en dernier ne demande rien. Et voici l’évolution d’une âme : au début, on a besoin d’un marché donnant-donnant, de faire valoir ses droits auprès du Seigneur, en pointant les injustices et en manifestant sa colère, puis qui s’apaise progressivement avec l’âge, et qui, au soir de sa vie, ne met plus de conditions, et qui prononce les mots de la très belle prière de Saint Ignace de Loyola : « Donne-moi seulement de t’aimer ». Il offre sa vie sans savoir ce dont il retournera, ce qui lui reviendra.

« Prends, Seigneur, et reçois toute ma liberté,
Ma mémoire, mon intelligence, toute ma volonté,
Donne-moi seulement de t’aimer.

Reçois tout ce que j’ai, tout ce que je possède,
C’est toi qui m’as tout donné,
À toi, Seigneur, je le rends, donne-moi seulement de t’aimer…

Tout est à toi, disposes-en selon ton entière volonté.
Donne-moi ta grâce, elle seule me suffit. »

Et c’est certainement avec cette prière que la personne qui a été appelée en dernier, ou ce qui en nous a répondu en dernier à l’appel du Seigneur – car on se donne au Seigneur progressivement. On ne dit pas d’entrée de jeu au Seigneur : « Tout est à toi, disposes-en ! » car il y a encore en nous une peur de Dieu.
Mais quand l’âme a été travaillée par la grâce, dans le cœur de celui qui s’est rapproché du Seigneur et a répondu aux différents appels selon les différents étapes de la vie - que ce soit à l’aube, en plein midi, ou au soir – il y a un moment de lâcher prise, comme une remise de nous-mêmes, comme un apaisement.

Ainsi, je trouve que cette parabole est riche d’enseignements. Elle nous fait penser que la colère a parfois quelque chose de bon parce qu’elle produit un bon fruit et qu’elle est là pour défendre un bien, mais on ne peut pas vivre et traverser son existence dans la colère. Et le premier signe qui montre que votre colère est apaisée, c’est que vous renoncez à vous venger. C’est le premier signe ; il y en a d’autres qui mènent à la réconciliation, et que progressivement, mon cœur s’appaise et que l’on peut penser à l’autre en restant dans la paix. Vous ne lui souhaitez pas du mal, et au contraire, vous vous attristez quand il subit une injustice, et vous vous réjouissez quand quelque chose de bien lui arrive. Ce sont des signes que le pardon est en route et que la réconciliation est possible.

Certes, l’indignation peut être une étape de notre vie, mais il y a un effort à faire pour apprivoiser sa colère, pour l’apaiser. Et comment faire ? C’est en la remettant au Seigneur. C’est ce que fait ce serviteur à sa manière : il dit et il remet au Seigneur sa colère. Parce que je remets cette colère là, le Seigneur, par Sa grâce et par mon travail spirituel et par ma confiance en lui, peut me donner cette paix à laquelle j’aspire.

« Prends Seigneur et reçois toute ma liberté,
Ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté. »

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 55,6-9.
  • Psaume 145(144),2-3.8-9.17-18.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens 1,20c-24.27a.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 20,1-16a :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « En effet, le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée : un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent, et il les envoya à sa vigne.
Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire. Et à ceux-là, il dit : “Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste.”
Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même.
Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit : “Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?” Ils lui répondirent : “Parce que personne ne nous a embauchés.” Il leur dit : “Allez à ma vigne, vous aussi.”

Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : “Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.”
Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’un denier.
Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier. En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : “Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !”
Mais le maître répondit à l’un d’entre eux : “Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ?
Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?”

C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »