Homélie du 25e dimanche du Temps Ordinaire

21 septembre 2020

« C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »

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Texte de l’homélie :

« Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver »

Mais quel Dieu cherchons-nous ?

Chers frères et sœurs, si nous sommes ici, c’est ce que nous cherchons Dieu… mais parfois ne cherchons-nous pas un Dieu mort… Notre recherche de Dieu, n’est-ce pas souvent celle de Marie-Madeleine ? elle va au tombeau, elle ne trouve pas le corps du Christ. Elle cherche, elle cherche, mais elle ne cherche que le corps sans vie…

Qu’est-ce que cela signifie : chercher un Dieu mort ? Nous sommes d’accord sans doute pour dire que Dieu existe, qu’il est peut-être une pièce importante du puzzle de l’univers, qu’il y a quelque chose quelque part, une présence… Mais quand nous regardons bien, ne sommes-nous pas souvent secrètement convaincus de son impuissance ? C’est-à-dire que nous avons gardé la Foi, souvent, mais que nous avons perdu l’Espérance. Sans toujours nous l’avouer, nous perdons l’espérance que Dieu peut agir dans l’histoire, qu’Il peut réveiller la joie dans notre occident, qu’Il peut changer le cours de choses.

Il m’arrive moi-même parfois de penser que notre Dieu serait devant notre monde comme un médecin devant un grand malade ; il voit que le mal a gagné, que poursuivre les traitements n’a pas de sens. On peut débrancher les appareils car il n’y a plus rien à faire…

Pourquoi ces pensées, ce regard ? Serait-ce que l’on s’est laissé fasciner par la force, la puissance, par la généralisation du mal, que l’on ne peut plus en détacher son regard ?
C’est exactement la réaction du peuple juif en exil. Sa grande tentation, c’est de se laisser fasciner par la puissance des grands empires, de Babylone à l’origine de destruction si massive. La tentation c’est donc de ne plus chercher le Seigneur, car on est convaincu de Son impuissance, ou qu’Il s’est détourné de Son peuple. Au chapitre 48 d’Isaïe, Sion élève cette plainte :

« Le Seigneur m’a abandonnée, le Seigneur m’a oubliée… »

Mais Isaïe dit à ces hommes qui pensent ainsi :

« Ce sont des pensées méchantes, perverses. »

La perversité n’est peut-être pas d’abord où on la croit. La perversité c’est tout simplement cette espèce de laisser aller, cet « à quoi bon ? », cette manière de corroder l’Espérance au plus secret de nous-mêmes.

Car, que produit cette espérance mise à mal si ce n’est un monde froid, un monde où pour se sentir exister, il faut entrer dans la compétition. Il faut être meilleur que l’autre, ou plus exactement, il faut que l’autre soit pire que moi, soit moins heureux. C’est le monde de l’envie, ce péché capital qu’on apprenait au catéchisme : s’attrister du bonheur de l’autre et se réjouir de son malheur.
Une comédie récente avec Florence Foresti donne en plein dedans. Le titre même est évocateur : « Le bonheur des uns… », on connaît la suite de l’expression. Qu’advient-il de l’amitié quand votre meilleure amie écrit un livre qui devient un bestseller ? Le vieux poète Lucrèce écrivait déjà ces vers terribles sous leur charme poétique :

« Quand l’Océan s’irrite, agité par l’orage,
Il est doux, sans péril, d’observer du rivage
Les efforts douloureux des tremblants matelots
Luttant contre la mort sur le gouffre des flots ;
On jouit en secret des malheurs qu’on évite. »

Secrète douceur de jouir des malheurs qu’on évite…

Et inversement, comment réagissons nous à l’annonce de la promotion professionnelle d’un ami ? de la nomination comme évêque d’un collègue de séminaire… ?

C’est très exactement ce que nous décrit la parabole des ouvriers de la onzième heure. Pourquoi les ouvriers de la première heure se rebiffent ? ils ne veulent pas davantage… ils veulent que les autres aient moins. Ils sont dans la comparaison, la compétition….

Quel est donc le remède à cette jalousie, à cette envie ? N’oublions pas qu’elle a à voir avec le démon : c’est par envie, par haine de notre propre bonheur, de notre propre amitié avec Dieu que Satan est venu tenter Adam.
Quel est donc ce remède ? Il nous faut regarder ce que Dieu nous donne et le recevoir pleinement.
Qu’a-t-il donné à ces ouvriers, à tous ces ouvriers ? Il a donné un denier. Dans la Bible, le denier, ou la drachme, fait figure de code, car il a une caractéristique : il porte une effigie – rappelons-nous de l’épisode où Jésus montre un denier aux juifs en leur demandant de qui est cette effigie.
Et là, en donnant cette effigie, c’est Sa propre image, Sa propre présence que Dieu confie. Et s’Il donne un denier à chacun, c’est qu’Il ne peut donner ni moins ni plus que Sa propre image, la propre trace de Sa présence, Son propre être.

Il nous l’a donné en Christ qui S’est offert pour chacun, pour tous, comme le rappelle Paul, les premiers comme les derniers.

Nous sommes jaloux et envieux, parce qu’on a manqué une étape, celle de la réception : recevoir Dieu, recevoir les dons qu’Il nous fait. Adam et Eve n’auraient pas été tentés de la même façon si la conscience du don que Dieu leur faisait avait pénétré profondément leurs cœurs. Ils vont voir ailleurs, parce que le don de Dieu (ce paradis, cette amitié avec lui etc… ) a glissé sur eux comme l’eau sur les plumes d’un canard…
Saint Jean-Paul II fait cette magnifique remarque : L’Esprit Saint, c’est celui qui nous aide à nous donner. Mais il est d’abord celui qui nous aide à recevoir.

« Il restaure en l’homme le sentiment détruit dès le début d’avoir tout reçu. »

Cet homme handicapé qui s’est laissé façonner par l’Esprit de l’accueil va à l’inverse des ouvriers de la première heure lorsqu’il écrit cette prière dans son institut de réadaptation à New York :

« J’avais demandé à Dieu la force pour atteindre le succès ; il m’a rendu faible, afin que j’apprenne humblement à obéir.
J’avais demandé la santé, pour faire de grandes choses ; il m’a donné l’infirmité, pour que je fasse des choses meilleures.
J’avais demandé un compagnon, afin de ne pas vivre seul ; il m’a donné un cœur, afin que je puisse aimer tous mes frères.
J’avais demandé des choses qui puissent réjouir ma vie ; j’ai reçu la vie, afin que je puisse me réjouir de toutes choses.
Je n’ai rien eu de ce que j’avais demandé, mais j’ai reçu tout ce que j’avais espéré.
Presque en dépit de moi-même, mes prières informulées ont été exaucées.
Je suis, parmi tous les hommes, le plus richement comblé. »

Il ne nous faut pas moins que l’Esprit Saint, parfois pas moins que l’épreuve et le dépouillement, pour pouvoir nous convertir au don que nous sommes pour nous-mêmes, au don que Dieu est pour nous.
Alors seulement nous pouvons aimer, et nous nous réjouissons sincèrement des talents, du bonheur d’autrui. Nous le voyons, ce qui est terrible dans la parabole d’aujourd’hui, c’est l’absence d’amour de ces ouvriers de la première heure. Il n’y a qu’indifférence et dureté envers ceux de la onzième heure : « ils ne sont pas de la même race, ils n’ont pas droit à ce bonheur de recevoir le denier »…
Mais celui en qui s’est éveillée la charité sait que le bonheur de l’autre devient son bonheur. Le talent d’autrui devient le sien, car la charité met tout en commun.

Pour cela il nous faut redevenir des enfants. Que le Vierge Marie, notre mère, nous y aide,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 55,6-9.
  • Psaume 145(144),2-3.8-9.17-18.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens 1,20c-24.27a.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 20,1-16a :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « En effet, le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée : un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent, et il les envoya à sa vigne.
Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire. Et à ceux-là, il dit : “Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste.”
Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même.
Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit : “Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?” Ils lui répondirent : “Parce que personne ne nous a embauchés.” Il leur dit : “Allez à ma vigne, vous aussi.”

Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : “Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.”
Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’un denier.
Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier. En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : “Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !”
Mais le maître répondit à l’un d’entre eux : “Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ?
Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?”

C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »