Homélie de la solennité du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ

20 juin 2017

« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. »

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Texte de l’homélie :

Bien chers frères et sœurs,
Permettez que nous remontions en arrière, dans les années 80, un film avait eu la Palme d’or à Cannes : « Mission » de Rolland Joffé. La dernière image était magnifique.
Ce film décrivait les missions jésuites au Paraguay et dans cette région du monde, en Amériques du Sud. Ces pères jésuites, après bien des sacrifices, des souffrances, des luttes, étaient parvenus à édifier ces magnifiques bâtiments, à donner une instruction profondément chrétienne à ce peuple guarani, à produire même ces liturgies somptueuses et ces musiques qui sont venues jusqu’à nous encore aujourd’hui et qui nous émerveillent, cette synthèse admirable entre l’ancien monde et le nouveau monde.
Puis au XVIIIe siècle un traité désastreux va faire que les missions que protégeaient les Espagnols vont être livrées aux portugais, les portugais esclavagistes. Les Jésuites sont sommés de quitter ces missions, mais ils ne veulent pas abandonner ces Indiens guaranis à qui ils ont donné leur vie. Ils décident de rester jusqu’à ce qu’arrivent ces Portugais, qui attaquent la mission, incendient les maisons, l’église.
Alors le père de la mission, le père Gabriel, sort à la tête de son peuple au milieu des flammes, les Guaranis rassemblés autour de lui. Il porte une chose, il porte un objet, il porte une personne : le Saint Sacrement, l’ostensoir. Les Guaranis touchés par les balles tombent un à un autour de lui, une autre détonation, une tâche rouge sur son surplis blanc, le père Gabriel s’effondre, l’ostensoir est par terre.
Aussitôt, un enfant se saisit du Saint Sacrement et continue sa route.

Quelle signification à tout cela ?

En se saisissant de la monstrance, de l’ostensoir, l’Indien sait cela : ce qu’il emporte, ce qu’il relève, c’est le cœur même de la mission. Ce qui a donné vie à cette mission :

« Le pain que je donnerai, c’est ma chair donnée pour la vie du monde »

Ce pain est donné pour la vie de cette mission. Il a permis que, sur ce territoire la chasse aux esclaves puisse cesser, que les mœurs des indiens s’élèvent, que les hommes soient instruits et que l’âme guarani puisse ainsi connaître le Dieu vivant.
Le centre de ce miracle que furent les réductions guaranis, c’était l’Eucharistie.

Chers frères et sœurs, tant que nous avons l’Eucharistie, il nous est permis d’espérer.
Notre société bien sûr ce n’est pas la forêt équatoriale, ce n’est pas un village attaqué par des soldats incendiaires, mais de combien de façons est-elle néanmoins attaquée ? On ne le sait que trop, bien des secteurs de notre société souffrent. Mais demeure au cœur de notre monde quelque chose qui résiste à toute mort, à tout processus destruction, quelque chose qui s’oppose au tsunami de la dégradation et de la décadence, une digue imparable qui s’oppose à cette lame géante qui veut tout détruire. Ce quelque chose, c’est quelqu’un, c’est l’Eucharistie :

C’est la vie divine à laquelle notre monde peut avoir part.
Il n’y a là rien de magique, l’Eucharistie ce n’est pas comme un talisman qui préserve des malheurs comme dans certaines régions de France où on garde ses dents pour les enterrer dans son jardin et être préservé des orages ! L’Eucharistie ce n’est pas cela.

Revenons à ce film, l’ostensoir tombe, il s’abîme dans le sable, il manque d’être piétiné mais un enfant le relève. Ce corps du Christ donne la vie au monde mais jamais Il ne la donnera sans nous, sans que nous le relevions, sans que nous l’aimions, sans que nous le recevions.
Quelle est la première condition pour que cette Eucharistie porte son fruit ? c’est d’abord que nous en ayons faim !
Ces hommes indiens ont connu l’esclavage, la terreur devant les marchands d’esclaves, mais ils ont connu aussi le changement apporté par ces missionnaires, le rayonnement qu’a produit le corps du Christ qui a fait sa demeure parmi eux. Ils l’ont aimé, ils en ont eu faim et ils veulent que ce corps demeure avec eux.

C’est qu’ainsi que nous pouvons comprendre cette magnifique parole de la première lecture :

« Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait connaître même l’esclavage, il t’a fait sentir la faim et t’a donné la manne à manger. »

Le Seigneur, nous ne savons que trop, nous fait passer par la faim, par des déserts, pour qu’enfin nous désirions cette nourriture. Désert du cœur, où nous expérimentons la solitude, désert de la tentation où nous sommes prêts à tomber, désert aussi de la fatigue en cette fin d’année, désert de la maladie…

Dans Ton corps, dans Ton sang, car ils viennent nourrir le point le plus intime de mon âme et m’apportent la paix.

L’Eucharistie, c’est une nourriture, chers frères et sœurs, Elle exige de nous cette faim, mais elle exige aussi un programme. À quoi sert de nous nourrir si nous n’agissons pas ? On devient obèse. Autrement dit, la nourriture se retourne contre nous.

Ainsi en est-il de l’Eucharistie. Le premier point de ce programme de vie, c’est l’entente. La deuxième lecture nous le dit :

« Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps. Si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, avant d’aller à l’autel, va d’abord te réconcilier avec lui. »

Sinon l’Eucharistie nous sert de rien, Elle se retourne contre nous.
Alors regardons dans notre cœur si nous avons quelque rancœur contre quelqu’un, un manque de pardon, ou si nous n’avons nous-même pas pardonné à quelqu’un, si nous n’avons pas demandé pardon, c’est la pierre fondamentale.

Cette Eucharistie est un programme pour la mission et pour la charité.
Nous n’avons pas à recevoir ce corps sans qu’il s’épanouisse en geste de charité de sollicitude et d’attention pour ceux qui nous entourent.
Trop vite nous sommes comme Lazare, plutôt comme ce riche qui laisse Lazare à sa porte et qui ne le voit pas. Et je le dis d’abord pour moi. Nos sociétés riches et repues sont des sociétés aveugles. Aveugles au drame de la misère dans le monde, simplement de l’essence à notre cœur s’endurcir.
Jean-Paul II le disait avec ô combien de force :

« Ne l’oubliez jamais, le Christ qui vient à nous sous les espèces consacrées est le même qui vient à notre rencontre dans les événements de la vie quotidienne.
Il est dans le pauvre qui tend la main, dans celui qui souffre et implore de l’aide, il est dans le frère qui nous demande d’être disponible et attend notre accueil.
Il est dans l’homme le plus petit, le plus vulnérable.

Évangéliser, c’est reconnaître le Christ sous les espèces du frère, de la sœur, et le traiter avec le respect que nous portons au Saint-Sacrement. »

Il faut reconnaître, chers frères et sœurs, bien souvent nous avons perdu cette connexion entre ce double visage du Christ, celui de son corps sacramentel et celui du frère, notamment du pauvre.
Le roi Saint-Louis se découvrait seulement devant le Saint-Sacrement, mais aussi devant le pauvre qu’il allait nourrir à Royaumont. Devant le pauvre et le malade dont il lavait les plaies. Le pauvre pour lui c’était le Christ immédiatement perçu.
Avons-nous un contact avec le Christ sous les espèces du pauvre ? Plus largement, l’Eucharistie est-Elle vraiment devenue pour nous un programme de vie ?

Chers frères et sœurs, que ces questions fassent leur chemin dans notre cœur. Marie est là pour nous accompagner, Celle qui a parfaitement accueilli ce corps du Christ, cette personne du Sauveur qui L’a transformée en profondeur dans les fibres les plus intimes de Son cœur.
Qu’elle nous enseigne aujourd’hui chaque jour de notre vie à nous laisser transfigurer par le pain du ciel,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre du Deutéronome 8,2-3.14b-16a.
  • Psaume 147,12-13.14-15.19-20.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 10,16-17.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 6,51-58 :

En ce temps-là, Jésus disait à la foule :
« Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
Jésus leur dit alors :
« Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous.
Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson.
Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui.
De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi.
Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »