Homélie de la solennité du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ

15 juin 2020

« Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

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Texte de l’homélie :

Chers frères et sœurs,
Pour beaucoup d’entre nous, recevoir à nouveau le Corps sacramentel du Seigneur, c’est une grande joie. Nous en avons été privés pendant ces deux mois et demi et il est toujours bon de nous rappeler que les espèces du pain et du vin ne sont que les apparences. Mais, la réalité même c’est la chair du Christ qui est là présente devant nous, c’est Son sang !
Oui, nos yeux sont trompés, mais la Foi, elle, ne se trompe pas.

Et que va-t-il se passer aujourd’hui ? A la suite de la messe, nous allons processionner avec le Saint Sacrement, comme nous le faisons habituellement pour la Fête Dieu. Cette fête est très ancienne et la manière de la célébrer est fort intéressante, car elle nous dit beaucoup de ce qu’est l’Eucharistie.
On peut le décrire ainsi : sous les espèces eucharistiques, le Seigneur va parcourir les allées de notre abbaye, sous le dais, sous l’allée des saules, le petit jardin soigné par frère Jean-Pierre, devant l’Abbaye… Mais, nous ne sommes pas en train de faire faire une promenade à Jésus : Il n’en n’a pas besoin, Il va très bien. C’est autre chose que l’on veut dire par cette action : reprenons alors une peu l’histoire.

En Allemagne, lorsqu’il y avait une procession de la Fête Dieu, on rendait au Seigneur présent dans Son sacrement les mêmes hommages qu’à un roi victorieux, parce que le Seigneur avait vaincu cet ennemi qu’est la mort, le démon, le péché. C’était un honneur rendu à ce corps glorieux du Christ ressuscité présent sous les espèces du pain et du vin.
Autre manière de célébrer la Fête Dieu dans les temps moins anciens, on avait coutume de se tourner, au moment des quatre reposoirs principaux, vers les quatre points cardinaux, et reprenait le début de chacun des quatre évangiles. Cela voulait signifier que la parole de Dieu pénètre tout l’Univers, de même que Son corps le récapitule. C’est magnifique ! voilà la signification de la fête Dieu.

Plus particulièrement, nous pouvons nous demander ce qu’est l’hostie : que faut-il pour la fabriquer si ce n’est de la farine et de l’eau ? On utilise donc du blé, une multitude de grains de blé, et cela donne un rapport direct avec la terre dans laquelle il croît, le soleil qu’il reçoit, l’eau qui le nourrit. Il s’agit donc des quatre éléments. Il y a aussi le travail de l’homme, comme le rappellent les paroles de l’offertoire :

« Tu es béni, Dieu de l’Univers, Toi qui nous donnes ce pain,
Fruit de la terre et du travail des hommes… »

Voici une synthèse magnifique de tout le Cosmos, de toute l’Humanité – chacun des grains le représentant – synthèse de l’Homme et de Dieu. Dans cette petite hostie, voici un concentré de tout l’Univers : c’est extraordinaire !

Ainsi, nous allons recevoir tout à l’heure de corps eucharistique du Seigneur. Mais, est-ce « mon Jésus pour moi qui vient combler ma soif spirituelle », c’est vrai aussi. Mais n’est-ce pas aussi cette synthèse du Ciel et de la Terre, ce mélange de chair et de verbe, comme disait un père de l’Eglise. Je reçois tout l’Univers réconcilié en Lui, réuni en Lui, et si j’ose dire, c’est là que ça se corse, si je puis dire : recevoir Jésus, ça va très bien, mais recevoir tout l’Univers réconcilié en Lui, cela a bien des implications. Je vais recevoir non seulement Sa tête, mais aussi Son corps et Ses membres, mais aussi Son épouse, Qui est l’Eglise. Lorsque l’on invite des amis, on ne laisse pas leurs épouses à la porte, ce n’est pas l’usage. C’est la même chose lorsque l’on reçoit le Seigneur, Il vient dans mon cœur avec l’Eglise. Pas de Christ sans Son épouse.

Chers frères et sœurs, ceci est enraciné dans la plus ancienne théologie car c’est ce que nous dit Saint Paul comme nous l’avons entendu dans la première lecture :

« La multitude que nous sommes est un seul corps. … »

Et Saint Augustin va creuser cette pensée :

« Vous êtes le corps du Christ, vous êtes ses membres, et c’est votre propre mystère qui repose sur la table du Seigneur… »

C’est votre propre mystère que vous recevez : c’est prodigieux. Parfois, nous aimerions recevoir Dieu, et n’oublions pas qu’avec Lui, nous recevons l’Humanité, parce que les deux sont liés. Et si nous trouvons l’Église – l’épouse du Christ – un peu encombrante, malodorante, pas toujours très brillante, n’oublions pas qu’elle est infiniment sainte de la sainteté de Son Seigneur, même si sa sainteté n’est pas toujours exemplaire dans chacun de ses membres…

Allons plus loin. Tout là l’heure, vous allez vous avancer par l’allée centrale, puis, devant le prêtre qui vous présentera le corps du Christ, vous direz « Amen ! ». Qu’est-ce que cela signifie ? cela veut dire « Oui ! Je crois ! », « Oui ! J’accepte ! », « Oui ! J’affirme ! ».
« Oui à ce pain devenu la chair du Christ », « Oui à Son sang ! », « Oui à Sa divinité », « Oui à Son corps et à chacun de Ses membres »…
Chacun de Ses membres, car le Christ les a pris en Lui. Ainsi, en recevant le Christ, nous recevons chacun de Ses frères et de Ses sœurs. Nous leur laissons une place dans notre cœur.

Pour être concret, ce voisin avec lequel j’ai un problème de mur mitoyen, et qui me fait la vie dure pour les branches qui dépassent dans son jardin, si je dis « Amen ! » à Jésus, je dis « Amen ! » à mon voisin.
Tel membre de ma famille que j’ai du mal à supporter : ce « Amen ! » à Jésus implique alors « Amen ! » à cette personne qui est membre de Jésus également.
« Amen ! » à tous les casse-pieds de la terre, « Amen ! » à celui qui ne pense pas comme moi, à mon frère de communauté qui a d’autres idées, aux hommes de gauche et aux hommes de droite, au progressiste, à l’intégriste… quelle exigence ! je ne savais pas qu’en disant « Amen ! » au Seigneur, il y avait tant d’implications !
Ce ne sont pas du romantisme. Recevoir l’Eucharistie, c’est permettre de pénétrer mon cœur et de s’y faire une place.

Qu’est-ce que cela ? c’est tout simplement le mystère de l’Église. A propos de cela, Monseigneur Guardini disait :

« L’Eglise doit se réveiller dans notre cœur ! »

L’Eglise, c’est ce frère qui est à côté de moi et qui, comme membre du Christ, a toute sa place dans mon cœur parce que je le reçois en recevant l’Eucharistie. Comme chaque cellule du corps qui contient la totalité du corps dans les gènes.
C’est un grand mystère, c’est magnifique, mais ce n’est pas facile. Est-ce que j’y parviens ? Peut-être que non…

Simplement une dernière chose : quand je reçois le corps du Seigneur, je reçois plus fondamentalement que tout ce « Oui ! » de Jésus à Son Père, le « Oui ! » de Jésus à chacun d’entre vous, et ce « Oui ! », Il me le donne. S’il ne me donnait pas ce « Oui ! », je serais incapable d’aimer. Voici l’immense don de l’Eucharistie : je reçois la charité même du cœur du Christ, cette ouverture maximale du cœur dont je suis incapable. Son « Fiat », Son « Amen ! », Jésus le dit en moi. Alors, petit à petit, il doit prendre de plus en plus de place en moi, mais déjà, il est dit, et c’est cela la grâce sacramentelle, la présence de Jésus.

Alors, laissons-Le vivre Sa vie en nous, et la Grâce – soyons-en sûrs – ne sera pas vaine : elle produira du fruit, elle changera nos cœurs,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre du Deutéronome 8,2-3.14b-16a.
  • Psaume 147,12-13.14-15.19-20.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 10,16-17.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 6,51-58 :

En ce temps-là, Jésus disait à la foule : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi.
Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »