Homélie de la solennité du Christ Roi de l’Univers

27 novembre 2017

« Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde.
Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli. »

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Texte de l’homélie :

Chers frères et sœurs,

Faut-il donner le permis de conduire à tout le monde, que l’on sache conduire ou non ? Il suffit d’un peu de bon sens pour répondre « non ». Si, pour certaines personnes, il y a trop de risques qu’elles causent des accidents, mieux vaut qu’elles n’aient pas leur permis !
Pour le ciel, il y a aussi un examen de passage. Ce n’est pas un concours car Dieu aimerait que tous soient reçus. Cependant, il faut un minimum d’aptitudes pour la conduite du ciel qui est une conduite d’amour.

Pour conclure cette année liturgique, l’Église met sous nos yeux la scène évangélique du jugement dernier.
À une certaine époque l’iconographie a développé davantage l’aspect menaçant et lugubre du jugement. Il suffit de penser à la scène du jugement dernier dans la chapelle Sixtine ou à la pesée des âmes sur le tympan de nombreuses églises : cela avait de quoi frapper l’imagination. Par réaction, ces derniers siècles, « l’au-delà, et donc le jugement, est devenu une plaisanterie, une exigence tellement incertaine que l’on se divertit même à la pensée qu’à une époque cette idée transformait la vie humaine tout entière » (Kierkegaard).
Il y a quelques années, la fresque du jugement dernier de Michel-Ange a été restaurée, mais plus nécessaire encore est de redonner quelques couleurs à cette vérité de notre foi qui figure dans notre credo : « Il ressuscita le troisième jour, conformément aux Écritures, et il monta au ciel ; il est assis à la droite du Père. Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts ; et son règne n’aura pas de fin. »

Nous pourrions retenir au moins trois choses de cette scène du jugement :

  • Il y aura un jugement.
  • L’attitude que nous avons eue envers les pauvres sera déterminante lors du jugement.
  • Faut-il avoir peur du jugement ? Oui et non.

Il y aura un jugement.

Préféreriez-vous qu’il n’y ait pas de jugement ?
D’un certain côté, nous préférerions qu’il n’y ait pas du jugement. Nous n’avons pas tellement envie de nous trouver au tribunal. Nous avons toujours une appréhension d’être jugé par quelqu’un. Mais ce qui peut nous consoler, c’est la bienveillance de celui qui nous juge. Son intention n’est pas de nous condamner mais de nous sauver. Il fera tout ce qu’il pourra pour nous sauver.

D’un autre côté, Benoît XVI, dans l’encyclique qu’il a dédiée à l’espérance, a cette phrase très forte :

« L’image du Jugement final est en premier lieu non pas une image terrifiante, mais une image d’espérance ; pour nous peut-être même l’image décisive de l’espérance. » (Spe Salvi n° 44)

Pourquoi ?

Il y a une justice.

Faire le mal n’est pas équivalent à faire le bien. Ce n’est pas la même chose de se comporter comme Hitler ou comme Mère Térésa. Répandre la désolation ou le chaos ou diffuser l’amour autour de soi n’est pas la même chose.

La question de la justice constitue l’argument essentiel, en tout cas l’argument le plus fort, en faveur de la foi dans la vie éternelle.
Le jugement répond à l’espérance humaine la plus universelle. Sans la foi et sans un jugement dernier, le mal et l’injustice apparaissent infiniment plus absurdes et plus tragiques encore. L’homme continue à ressentir l’injustice comme une chose intolérable.

La fête du Christ Roi, avec l’évangile du jugement dernier, répond à l’espérance humaine la plus universelle. Elle nous assure que l’injustice et le mal n’auront pas le dernier mot. À la fin, au banquet éternel, les méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s’était passé, car en effet :

« Il peut y avoir des personnes qui ont détruit totalement en elles le désir de la vérité et la disponibilité à l’amour. Des personnes en qui tout est devenu mensonge ; des personnes qui ont vécu pour la haine et qui en elles-mêmes ont piétiné l’amour. C’est une perspective terrible, mais certains personnages de notre histoire laissent distinguer de façon effroyable des profils de ce genre. Dans de semblables individus, il n’y aurait plus rien de remédiable et la destruction du bien serait irrévocable : c’est cela qu’on indique par le mot « enfer ». » (Spe Salvi 45)

Il y a un juge

Le fait qu’il y ait un jugement nous assure que le monde ne vient pas du hasard et ne finira pas au hasard. La bonne nouvelle du jugement, c’est que nous ne sommes pas plongés dans une zone de non-droit. Déjà au niveau de la société civile, nous préférons ne pas habiter dans une zone de non-droit où la délinquance peut fleurir sans être inquiétée : il est très angoissant de ne pas voir de limite au mal, à la méchanceté des hommes.

C’est encore plus vrai au niveau de notre destinée éternelle : nous ne sommes pas dans une zone de non-droit. Il y a un juge. Cette fête du Christ-Roi nous rappelle que la royauté est entre ses mains. Notre destinée éternelle est dans les mains du Christ, pas dans les mains des puissants de ce monde. Devant Dieu, tous seront jugés, du plus petit au plus grand. Personne n’échappera au jugement. Il n’y a pas d’immunité.

L’attitude que nous avons eue envers les pauvres sera déterminante lors du jugement.

Le critère retenu dans l’évangile de ce jour, c’est notre attitude à l’égard des plus petits, de ceux qui se trouvent dans une situation de besoin ou de précarité particulière. Dieu a une tendresse particulière à l’égard de ceux qui souffrent.

« Dans la parabole du riche bon vivant et du pauvre Lazare (cf. Lc 16, 19-31), Jésus nous a présenté en avertissement l’image d’une telle âme ravagée par l’arrogance et par l’opulence, qui a créé elle-même un fossé infranchissable entre elle et le pauvre ; le fossé de l’enfermement dans les plaisirs matériels ; le fossé de l’oubli de l’autre, de l’incapacité à aimer, qui se transforme maintenant en une soif ardente et désormais irrémédiable. » (Spe Salvi 44)

J’aime bien une réflexion de saint Augustin que nous rapporte le catéchisme de l’Église Catholique (1039) :

« Il se tournera vers les mauvais : "J’avais, leur dira-t-il, placé sur terre mes petits pauvres, pour vous. Moi, leur chef, je trônais dans le ciel à la droite de mon Père - mais sur la terre mes membres avaient faim. Si vous aviez donné à mes membres, ce que vous auriez donné serait parvenu jusqu’à la tête.
Quand j’ai placé mes petits pauvres sur la terre, je les ai institués vos commissionnaires pour porter vos bonnes œuvres dans mon trésor : vous n’avez rien déposé dans leurs mains, c’est pourquoi vous ne possédez rien auprès de moi." (Saint Augustin, sermons 18,4,4) »

Cette attitude traduit l’état de notre capacité d’aimer.
Comme le dit admirablement le Curé d’Ars à propos des damnés de l’enfer :

« Si un damné pouvait dire une seule fois :
« Mon Dieu, je vous aime ! » Il n’y aurait plus d’enfer pour lui…
Mais hélas ! Cette pauvre âme ! Elle a perdu le pouvoir d’aimer qu’elle avait reçu et dont elle n’a pas su se servir. Son cœur est desséché comme la grappe lorsqu’elle a passé sous le pressoir.
Plus de bonheur dans cette âme, plus de paix, parce qu’il n’y a plus d’amour. » (Curé d’Ars, Pensées p. 242)

Faut-il avoir peur du jugement ?

Faut-il avoir peur de ce juge et se laisser terroriser par ce jugement ? Non. Faut-il le prendre un peu à la légère ? Pas davantage. L’évangile de ce jour nous invite à la responsabilité.

On ne peut pas prendre les choses à la légère comme ceux qui ont promu une campagne publicitaire sur les bus anglais fin 2008. On pouvait lire le slogan suivant : « Dieu n’existe probablement pas : cesse de t’en faire et profite de la vie ». Mais cela vaut dans une culture hédoniste individualiste. Jésus nous invite à ne pas prendre les choses trop à la légère, avec insouciance et superficialité. Jésus nous dit qu’on ne peut profiter de la vie dans l’indifférence totale à l’égard de ceux qui souffrent.

L’évangile de ce jour est un appel à la responsabilité (cf. CEC 1036). Il nous exhorte à vivre de telle manière que le jugement ne soit pas pour nous un jugement de condamnation mais de salut et que nous puissions être de ceux à qui le Christ dira : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde ».

C’est un appel à la conversion. cf. CEC 1041. cf. Benoît XVI, Spe Salvi n° 41 :

« La perspective du Jugement a influencé les Chrétiens jusque dans leur vie quotidienne en tant que critère permettant d’ordonner la vie présente, comme appel à leur conscience et, en même temps, comme espérance dans la justice de Dieu.
La foi au Christ n’a jamais seulement regardé en arrière ni jamais seulement vers le haut, mais toujours aussi en avant vers l’heure de la justice que le Seigneur avait annoncé plusieurs fois. »

Non car Jésus ne nous invite pas à la peur. Son seul désir, c’est de nous sauver (cf. Jn 3,17). Il a donné sa vie pour nous (cf. Jn 5,26). Dans la première lecture, nous voyons à la fois la délicatesse du berger envers ses brebis, qu’elles soient égarées, blessées, faibles ou grasses et le fait qu’il va juger. Le bon pasteur fait tout ce qu’il peut pour sauver ses brebis égarées. L’image du roi-pasteur est empreinte de sollicitude et de tendresse. Tant que nous sommes sur terre, un temps de grâce nous est offert pour bien nous préparer au jugement.

« Dans le monde on cache le ciel et l’enfer : le ciel, parce que si on en connaissait la beauté, on voudrait y aller à tout prix ; l’enfer, parce que si on en connaissait les tourments qu’on y endure, on ferait tout pour ne pas y aller » (Curé d’Ars p 238-239).

Vous voulez aller au Ciel ?
Jésus nous indique un « truc » dans l’évangile de ce jour.

« J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ;
j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ;
j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ;
j’étais nu, et vous m’avez habillé ;
j’étais malade, et vous m’avez visité ;
j’étais en prison et vous êtes venus jusqu’à moi ! » (Mt 25, 35-36)

Que la perspective du Ciel où nous serons plongés dans l’Amour de Dieu nous stimule à vivre dès à présent de l’amour du Royaume. Nous avons de multiples occasions d’exercer la miséricorde :

« on vous mesurera avec la mesure dont vous vous serez servis. » (Lc 6, 38 ; cf. Mt 7, 2)

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Ézéchiel 34,11-12.15-17.
  • Psaume 23(22),1-2ab.2c-3.4.5.6.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 15,20-26.28.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 25,31-46 :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire.
Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs : il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde.
Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !”
Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?”
Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges.
Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.”
Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?”
Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.”
Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »