Texte de l’homélie
Il y a une vingtaine d’années, ayant le dos bloqué, je suis allé voir un médecin rhumatologue. Je m’attendais à ce qu’il fasse des manipulations et me donne des médicaments pour ne plus avoir mal et retrouver la forme le plus vite possible. Mais ce n’est pas ainsi qu’il procédait. Il commençait par prendre le temps de poser des questions pour comprendre pourquoi je m’étais bloqué le dos. Il essayait de nous faire prendre conscience des postures qui n’étaient pas bonnes pour le dos et donnait des conseils pour éviter certains gestes.
J’étais venu avec le désir d’avoir une solution immédiate, presque magique, pour ne plus souffrir. Lui regardait les choses à plus long terme. Il y avait un vrai décalage !
Ma réaction aurait pu être d’aller chercher un autre médecin plus efficace. Heureusement j’ai accepté ses indications et je m’en suis trouvé bien.
De manière analogue, il peut y avoir un décalage entre ce que nous attendons de Jésus et ce qu’Il vient nous donner.
Ce soir, les anges viennent de nous « annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : « Aujourd’hui vous est né un Sauveur ».
Pour accueillir cette bonne nouvelle, je vous propose de regarder trois décalages possibles entre le Salut que nous attendons et celui que Jésus vient nous donner, entre la grâce que nous désirons et celle que Dieu veut nous donner :
- la grâce n’est pas un coup de baguette magique ;
- la grâce va de pair avec une relation avec Dieu ;
- la grâce ne nous laisse pas statiques.
La grâce ne fonctionne pas à la manière d’un coup de baguette magique
Cela signifie au moins deux choses : la grâce opère dans la faiblesse ; la grâce se déploie dans le temps.
La grâce opère dans la faiblesse
D’abord, Jésus ne vient pas à la manière de Superman. C’est une grande différence avec César Auguste que Saint Luc mentionne dans l’évangile. Il se faisait appeler “sauveur et prince de la paix” ! Mais cela se faisait par la force. Quel contraste avec Jésus !
Jésus entre dans le monde sous la forme d’un petit bébé ! Saint Jean dit que :“le Verbe de Dieu s’est fait chair”, pour insister sur le caractère de faiblesse, de fragilité, de vulnérabilité qu’évoque le mot “chair” :
« Toute chair est comme l’herbe… l’herbe se dessèche… » (Is 40, 6-8)
La grâce de Dieu fait bon ménage avec la faiblesse.
Ce faisant, Jésus veut aussi nous réconcilier avec notre faiblesse. Si le Verbe de Dieu épouse l’humanité avec toute Sa faiblesse, c’est bien pour nous assurer que nos faiblesses ne sont pas un obstacle à l’union avec Dieu. La paix de Noël promise par les anges consiste précisément à ne plus fuir nos faiblesses mais à les vivre avec Jésus. Dieu est venu nous rejoindre dans nos faiblesses pour nous sauver. Jésus est l’Emmanuel, « Dieu avec nous ».
Comme le dit Jésus à saint Paul :
« Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » (2 Co 12, 9)
La grâce se déploie dans le temps
Notre Sauveur vient au monde sous la forme d’un « nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire ». Ce n’est pas un adulte ; il lui faudra encore des années pour grandir. La grâce est donnée davantage comme une semence qui demande du temps pour grandir et se développer.
C’est vrai par exemple de la grâce du baptême : il y a un effet instantané, le fait d’être purifié du péché et de devenir enfant de Dieu. Mais il y a un effet dans la durée où nous sommes appelés à devenir ce que nous sommes. Bien sûr, Dieu peut faire des miracles mais ce n’est pas le régime habituel. De notre côté, cela suppose d’apprendre la patience pour cheminer au rythme du temps.
La grâce ne consiste pas en une solution magique et instantanée. La manière de faire de Dieu n’est pas d’en mettre plein la vue avec des coups d’éclat sans lendemain. Dieu ne nous sauve pas sans nous et encore moins malgré nous. Il souhaite notre coopération.
La grâce va de pair avec une relation avec Dieu, avec la proximité de Dieu (Emmanuel : Dieu avec nous)
Le pape François met souvent en garde contre deux grandes tentations actuelles par rapport à la grâce :
Une forme de gnose où l’on réduit la foi chrétienne à une philosophie de la vie
Bien sûr notre foi chrétienne comporte une sagesse de vie mais la grâce ne se réduit pas à une illumination de notre intelligence. Elle opère dans toute notre humanité.
Si Jésus a assumé notre humanité dans sa totalité, c’est bien pour nous sauver intégralement, corps et âme.
À l’époque où certains mettaient en doute la vérité de l’humanité du Christ, le grand principe qui a guidé les Pères de l’Église a été de dire :
Notre foi chrétienne n’est pas une sagesse de vie intemporelle. Comme nous le voyons dans l’évangile, il y a des repères historiques précis : « lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie ».
Notre religion n’est pas une philosophie mais la rencontre d’une personne. Dans la connaissance, on reste un peu à distance ; dans la grâce on entre en communion avec Dieu, on entre dans le mystère de la vie d’amour de Dieu.
La deuxième tentation est celle d’une forme de pélagianisme
Les sciences humaines ont fait beaucoup de progrès et on ne peut que s’en réjouir. Une tentation très actuelle est de chercher notre salut dans le développement personnel. Mon but n’est pas de jeter l’anathème sur le développement personnel mais de le remettre à sa place. Il peut beaucoup nous aider à déployer les talents que Dieu nous a donnés et faciliter les relations interpersonnelles. On ne peut que féliciter ceux qui s’appliquent à progresser, à s’améliorer.
Le risque est cependant de minimiser la place du péché et la nécessité impérieuse de la grâce. On peut imaginer arriver à s’en sortir tout seuls avec de la bonne volonté et des efforts.
Pourtant il y a des choses qui crèvent les yeux : le monde ne va pas bien. La communication non-violente, même si elle a de grands mérites, ne suffit pas à éviter toutes les guerres. Déjà, il faut commencer par vouloir la pratiquer ! Nous avons tendance à minimiser le péché qui est à l’origine des guerres.
Comme le dit la deuxième lecture en parlant de Jésus :
« Il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien. »
Le cantique de Zacharie dit que nous allons « connaître le salut par la rémission des péchés ».
La grâce comme une synergie avec Dieu
La grâce n’est pas un coup de pouce extérieur pour nous aider. Une tentation constante est de désirer la grâce comme une aide un peu extérieure qui nous aide à passer les moments difficiles et dont on se passe le plus tôt possible. Mais ce n’est pas ainsi que Dieu procède : Il désire entrer en relation avec nous. Car finalement, notre besoin le plus profond est d’être aimé. Et Il est la source de l’amour.
En venant sous la forme d’un petit enfant, avec toute sa vulnérabilité, Jésus vient avec douceur pour nouer une relation. Il ne s’impose pas ; il sollicite notre amour libre. De ce fait, cela nous provoque à purifier nos motivations lorsque nous venons à la crèche.
Que cherchons-nous : la grâce de Dieu ou le Dieu de la grâce ? Une solution à nos problèmes ou l’union à Dieu ?
Nous préférons nous débrouiller tout seuls. Se laisser aider est toujours un peu mortifiant pour notre amour propre et notre soif d’indépendance. Mais la vulnérabilité et la faiblesse sont un chemin pour entrer en communion.
La grâce : nous associer à l’œuvre de salut
N’imaginons pas que Jésus vient nous infantiliser ou nous rabaisser ! S’Il nous appelle à être réceptifs, Il nous appelle aussi à être actifs. La grâce ne fait pas de nous des assistés. La grâce nous remet debout et nous appelle au don de nous-mêmes.
Dans le désert, Dieu a éduqué Son peuple en lui donnant la manne. Ils ne pouvaient pas en faire de provision sinon elle pourrissait :
« Le surplus fut infesté de vers et se mit à sentir mauvais » (Ex 16, 20)
De même pour la grâce : on ne peut pas en faire de provision, si je puis dire…
Nous ne sommes pas appelés à être comme des étendues d’eau fermées (étangs, mares…) où l’eau finit par croupir. Nous sommes appelés à être plutôt comme ces torrents ou ces rivières qui viennent irriguer et donner la vie sur leur passage. La grâce nous met en mouvement. Elle ne cultive jamais notre égocentrisme.
Le nouveau-né de la crèche nous recentre sur l’essentiel : l’amour. droite
Le nouveau-né de la crèche a besoin de soins. Le Sauveur se manifeste sous la forme d’un petit enfant pour solliciter notre aide. Il nous invite ainsi à nous décentrer de nous-mêmes, à ne pas regarder seulement nos besoins et nécessités mais le bien que nous pouvons faire. Il nous recentre sur l’essentiel : l’amour.
Comme nous le verrons dans l’évangile de la messe de l’aurore :
« Après avoir découvert Marie et Joseph, avec le nouveau-né couché dans la mangeoire », « les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été annoncé. » (Lc 2, 20)
Jamais la grâce ne nous enferme en nous-mêmes. Elle nous invite à redonner d’une manière ou d’une autre ce que nous avons reçu. Elle nous invite à mettre notre humanité à sa disposition pour continuer son œuvre de Salut.
Conclusion :
Frères et sœurs bien-aimés, la grâce de Dieu nous est accordée d’une façon particulière quand nous célébrons les grandes fêtes liturgiques comme cette nuit de Noël.
La première grâce que nous pouvons demander est peut-être de laisser tomber nos résistances devant Jésus. Devant les bébés, les gens sont quelquefois un peu « gaga » ; ils n’ont rien à prouver ; ils ne se sentent pas jugés. La simplicité est une belle porte d’entrée pour la grâce.
« Ne laissez pas sans effet la grâce reçue de Dieu. » (2 Co 6, 1)
Pour suivre cette invitation de l’Écriture, appliquons-nous à cette attitude d’enfance spirituelle où – confiants dans le cœur de Dieu – nous pouvons nous permettre aux autres de faire cette expérience de simplicité qui est source d’une grande paix.
Que la Vierge Marie, si proche du nouveau-né de la crèche, nous aide sur ce chemin !
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Isaïe 9,1-6.
- Psaume 96(95),1-2a.2b-3.11-12a.12b-13.
- Lettre de saint Paul Apôtre à Tite 2,11-14.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 2,1-14 :
En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre – ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine.
Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David.
Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli.
Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux.
L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte.
Alors l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur.
Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. »
Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »