La lettre de Saint Paul
Le Seigneur est venu mais pas de la manière que nous aurions imaginée : Il n’est pas venu par le haut et dans la force mais par le bas et dans la faiblesse ! Le Royaume n’est pas venu mais le Roi est là !
Qu’est-ce que l’Evangile ? Ce n’est pas d’abord un livre, mais la Parole de Dieu gravée dans notre cœur et cette Parole nous dit que « la puissance de Dieu se déploie dans notre faiblesse » (2 Corinthiens). Noël nous fait entrer dans cette pédagogie.
Cette phrase de St Paul (2 Corinthiens XII.10) que nous méditons aujourd’hui vient après un long raisonnement qui commence au chapitre X ; St Paul répond en montrant ce qui l’anime, ce qui est important alors qu’on lui reprochait d’être lâche quand il parlait et courageux dans ses écrits.
Le Seigneur lui a mis une difficulté dans son humanité mais on ne connaît pas son « écharde », ce qui permet à chacun de nous de la calquer sur sa propre difficulté.
Le Seigneur lui répond :
Ma grâce te suffit.
Parce qu’il est faible, alors la grâce du Seigneur peut se déployer en lui. Là se trouve le cœur de l’Évangile et le cœur de la vie de ceux qui suivent Jésus.
Au verset 11, St Paul vient nous mettre dans l’alliance avec Dieu, dans une vraie rencontre d’Amour avec Dieu.
Nous sommes chrétiens, baptisés dans une vie à la suite du Christ mais il nous est toujours difficile d’avancer dans la logique du Christ. Nous pouvons nous laisser pervertir par d’autres discours. En fait, il nous faut en permanence recevoir le salut et non vouloir se sauver soi-même : c’est la tentation qui reviendra toujours.
Maîtrise dans la douceur
Pour mieux comprendre, il nous faut retourner au livre de la Genèse et relire l’histoire de la perversion d’Eve : Le premier de tous les commandements donnés à l’Homme se trouve dans ce récit et dit : « soyez féconds et multipliez-vous, dominez la terre… », ainsi l’homme reçoit la bénédiction de Dieu et se réalise comme image de son Créateur en devenant créateur de ce monde. L’homme doit entrer dans cette vocation.
Au début, l’homme peut dominer les animaux sans faire violence, dans la maîtrise de la douceur, faisant place à l’autre.
En outre, les deux récits de la création accordent une grande importance à la nourriture et qui dit nourriture dit relation. En effet, dès qu’il faut partager la nourriture on se trouve face à un problème relationnel : il faut éviter de se jeter sur la nourriture, chacun pour soi !(D’où l’importance de bénir la table dès qu’on est deux ou trois…) C’est par la maîtrise que l’homme ressemble à Dieu, parce que c’est en cela que Dieu est tout puissant.
Au début de la Genèse c’était le chaos et Dieu va maîtriser les forces de l’eau par sa Parole en leur imposant une limite. Il ordonne le monde sans supprimer les éléments négatifs. Il met chaque chose à sa place et les éléments négatifs ne sont pas abolis mais sont maîtrisés par la douce puissance de la Parole divine. Chaque soir, Dieu s’arrête et regarde son œuvre et dit « que c’est Beau ! ». C’est ce regard émerveillé de Dieu qui fait exister ce qui est créé, ce qui est extérieur à Dieu et Dieu se réjouit de ce qui n’est pas Lui.
L’achèvement de la création consistera en un grand repos : c’est le jour du Sabbat, jour où Dieu regarde son œuvre et la fait exister en lui donnant son autonomie. Par son exemple, nous sommes appelés à dominer dans la douceur et non par la violence (cf. le livre de la Sagesse) : chacune des choses est bonne en son temps et à sa place.
Maîtrise veut dire douceur
Bienheureux les doux, ils possèderont la terre.
Acceptation de nos limites : loi de vie
Revenons à la perversion d’Eve (Genèse II 16-17) : nous y trouvons deux commandements dont l’un est positif (« de tous les arbres ») et l’autre, négatif (« sauf de l’arbre de la connaissance du bien et du mal »). Il faut comprendre par là que pour posséder ce « TOUS », Dieu met une limite ; or la perversion est de placer Dieu comme un rival et le serpent apparaît alors comme un sauveur. Ce dernier utilise le flou de la Parole pour en détourner le sens et faire penser que cette connaissance du Bien et du Mal est l’apanage de Dieu pour maintenir l’homme dans l’infériorité.
Satan part de la limite pour faire oublier le don (faiblesse de la psychologie humaine).
Dieu n’impose pas une loi qui le séparerait de l’Homme mais lui donne un conseil d’ami : « si tu as tout mais sans limite, tu vas mourir » ; on peut comprendre qu’en faisant cela on se ferme totalement à la relation et on anéantit tout !
Le Seigneur donne une loi qui est la sienne propre. Il y a une limite et cette limite est une chance de vie et de bonheur.
« Ils étaient nus et n’en avaient pas honte » ; dans ce sens, la nudité désigne la pauvreté. Ils faut comprendre : « ils étaient limités (fait de chair et de sang) mais n’en avaient pas honte ». C’est-à-dire qu’en voyant leur différence, ils perçoivent qu’ils ne sont pas tout.
La limite est alors une chance de rencontre, de réciprocité et de richesse. Les limites et les difficultés sont donc autre chose qu’une frustration mais engendrent au contraire une relation de communion.
Un fois entré le péché, on ne trouve que violence, disharmonie et compétition. La faute est triple ; elle consiste à :
- voir Dieu, auteur de la vie, comme un rival
- vouloir accaparer ce qui est donné
- céder à la peur de perdre, de ne pas avoir tout, de manquer. Et c’est le fondement de la parole de St Paul, notre phrase du jour.
Tentation de la toute-puissance
Comment rentrons-nous dans la transgression de cette loi de vie qui est d’accepter la réalité que tout ne nous obéit pas… que l’autre nous résiste ?
C’est avant tout parce que nous vivons dans une illusion de toute puissance qui est un refus de la loi de la condition humaine ; de fait, être limité est quelque chose de normal (quoiqu’on veuille nous faire croire le contraire dans notre société).
Et la première limite ontologique se trouve dans l’altérité sexuelle que notre société refuse d’admettre.
Ensuite, nous devons également reconnaître nos limites dans
– la maladie
– nos erreurs
– nos tâtonnements
– nos besoins de médiation : « je ne peux pas avancer tout seul »
– les événements (deuils, accidents…)
– nos réactions face aux agressions de toutes sortes, à nos difficultés relationnelles
– nos faiblesses psychologiques
– nos conditionnements (être toujours le premier…)
– nos difficultés de communication
– nos enfermements
– nos dépendances affectives
– la peur de la solitude….
Derrière tout cela, dans ce refus d’accepter nos limites, il y a la tentation de la toute puissance : « il faut, je dois tout maîtriser » ! Or, il faut savoir se faire aider. Il faut avouer que souvent nous poursuivons des buts irréalisables et que nous voulons toujours être parfaits en tout.
Nous pouvons tomber dans la tendance à idéaliser :
– son propre moi
– son couple : combler l’autre ou vouloir être comblé, vivre les manques…
– la relation : vouloir toujours être disponible, dire « oui » à tout, éviter tout conflit sans affrontement, n’avoir besoin de personne…
Or il faut savoir lâcher prise, ne pas rester dans le « faire par la force » ni tomber dans la dépréciation de soi qui est une manière de gommer l’œuvre de Dieu en nous ! C’est ce qu’on appelle en psychologie : « les croyances » qui nous empêchent de rejoindre Dieu, de rentrer en amitié avec Dieu qui nous dit « Je t’aime » (cf. Psaume 138).
Face à tout cela, nous devons nous rappeler toujours que le Seigneur vient nous chercher là où nous sommes. St François de Sales disait :
si nous ne partons pas de là où nous sommes, nous n’arriverons jamais nulle part".
Jésus vient nous chercher et il nous appartient d’accepter que la lumière entre dans nos ténèbres !
Choisir la liberté
Notre image de Dieu est souvent abîmée, voire même pervertie. Quand Dieu exerce sa toute puissance dans la douceur nous devons apprendre à entrer dans cette amitié avec Dieu. On peut penser à Job qui, sur 40 chapitres, appréhende le Seigneur comme un ennemi ; dans toute vie humaine, il y a toujours quelque chose qui est étranger à Dieu. « Ne rentre pas dans ce chemin de mort, choisis la vie » (cf. Deutéronome 30). Nous devons constamment re-choisir la liberté, et la vie chrétienne offre justement cette éducation à la liberté.
Une des premières expériences que l’on fait de Dieu dans la Bible réside dans le premier nom (cf. Genèse XXI.17) que Dieu donne de lui-même à Agar dans le désert : « Celui qui entend les cris du petit là où il est ».
« Partir de là où nous sommes », tel est le travail que nous avons à accomplir dans notre vie intérieure ; c’est un travail important qui est d’apprendre à mettre en lumière ce que nous vivons :
– découvrir la blessure petit à petit.
– Reconnaître les blocages
– Regarder les points où nous n’acceptons pas la vie pleinement ni la réalité parce qu’on voudrait que ce soit autrement.
Il faut donc apprendre à accueillir la réalité, c’est-à-dire « redevenir comme un enfant » qui ne voit pas les choses derrière le filtre de l’expérience qu’il n’a pas : en cela nous pouvons accueillir chaque matin les personnes, comme les événements, de manière nouvelle sans à priori.
Dieu, Lui, nous accepte sans discuter, comme nous sommes, et nous rejoint là où nous sommes ; Dieu nous dit « veux-tu » et à partir de là nous avançons. Le Seigneur nous conduit sur un chemin et ne nous laisse pas tomber. Nous ne sommes jamais irrémédiablement éloignés du Seigneur. « Là où nous sommes » est le point de départ pour le retour vers le Seigneur. Notre travail demandera un renoncement, nous avons à re-choisir le chemin de la Vie. « Est-ce que tu veux ? » La réponse demande un renoncement.
Tout l’art de l’éducation est d’accompagner l’enfant dans les renoncements qu’il y a à faire. Et ce renoncement demande de poser un acte décidé et vigoureux. Par ce renoncement il y a tout un travail de deuil à faire et la grande difficulté, dans un chemin spirituel, c’est que le renoncement est le début d’un grand chemin qui est celui de s’adapter à ce qu’on va perdre pour accueillir quelque chose de nouveau et avancer de manière nouvelle. C’est une démarche qui se fait par étapes. Ce travail de deuil va jusqu’à l’acceptation de cette vie nouvelle et de savoir que la vie va de nouveau couler en moi ; je peux recevoir de la vie en osant aller vers les autres : c’est un travail qui se fait petit à petit.
Dans le contexte de Noël, tout le chemin de la Bible nous enseigne ce chemin de retour vers le Seigneur (cf. Isaïe II/Isaïe XI) : l’aspiration des hommes à la paix et la fonction d’utopie qu’évoque la religion.
Faire exister l’autre
Isaïe, dans les quatre premiers chapitres, nous parle de la petite montagne de Sion que le Seigneur s’est choisie. Ce n’est pas un de ces hauts lieux d’où l’on domine, un de ces hauts lieux qui donnent la maîtrise sur les choses et qui sont en général choisis pour les cultes. Non, ce ne sont pas ces hauts lieux que le Seigneur a choisis, mais bien l’humble colline de Sion qui doit dépasser toutes les autres. Et c’est la Parole du Seigneur, Jésus, vers qui toutes les nations afflueront et qui va nous apprendre à construire la Paix en vivant dans la douce maîtrise ; c’est ce que fait Jésus à Noël.
Sa vie publique commence par les tentations au désert ; c’est là que se présente à Jésus sa mission ; comment va-t-il l’accomplir ? Par une action d’éclat ?
Non, Jésus renonce à la toute-puissance du point de vue du pouvoir spirituel et ne nous sauve pas plus par le pouvoir politique. Il renonce à cela et prend sa mission d’une autre manière. Il n’utilise pas les pouvoirs qu’il a pour s’imposer mais en servant, en faisant exister l’autre ! (cf. le lavement des pieds).
C’est à travers ce service que Jésus devient donateur de vie alors même qu’il tient bien sa vie en main par la douceur de sa parole, en consolant, en faisant exister. (cf. les Béatitudes « bienheureux êtes-vous »).
C’est la faille qui est en nous qui nous permet de nous lever pour aller vers le Seigneur ; nous allons apprendre à être des artisans de paix en se mettant vraiment au service de la personne et du bien total de la personne.
Ce sont les humbles, les petits qui auront la première place !
Au chapitre troisième le Seigneur enlève tout ce sur quoi ils prennent appui. Dans l’éducation du Seigneur nous apprenons à nous appuyer sur Lui, sur son Amour et non sur nos fausses sécurités pour permettre à notre cœur de jaillir, de s’établir, de s’approfondir. Dans ces situations difficiles le Seigneur a confiance : « tu peux ! »
Nous ne sommes plus étrangers au Seigneur depuis notre baptême, nous pouvons à chaque instant puiser à la source qui est en nous ; le Seigneur est là, à l’intérieur de nous-même (cf. St Augustin)
Au chapitre quatrième, Dieu va habiter au milieu de nous comme la nuée lumineuse au désert. Cela nous demande d’aller au bout de nous-même et ne se fait pas facilement ni rapidement.
En Isaïe XI, nous sommes en 716 av JC, à Jérusalem ; depuis quarante ans il y a la pression des Assyriens qui envahissent tout le pays. Un joug terrible s’abat sur le peuple hébreu puis des batailles… Tous les états tombent les uns après les autres et le Royaume d’Israël est envoyé en déportation. Sur Jérusalem la pression continue.
Au chapitre 38 nous sommes à la porte de la ville Sainte : « alors un rameau sortira… ». C’est une belle image que celle de l’arbre qui a par nature une force extraordinaire : une fois coupé, des « rejetons » en jaillissent ! Et cette prophétie arrive au moment du chaos. Ce rejeton nous apprend de nouveau la vraie connaissance du Seigneur qui est avec nous et nous communique son souffle.
La difficulté du péché originel c’est que nous ne nous comprenons plus ; mais par le baptême nous devenons prophète (celui qui dit la Vérité), Prêtre (lien entre le Ciel et la terre, l’Amour) et Roi (celui qui gouverne).
Jésus Christ vient nous apprendre tout cela à travers ce chemin de douceur, de petitesse !!
Revenons à la déclaration de St Paul :
Quand je suis faible, c’est alors que la puissance de Dieu se déploie en moi"
C’est en bougeant soi-même que les choses peuvent bouger et non en restant sur nos appuis. Pensons à Ste Thérèse de l’Enfant Jésus : par un travail de patience et une lutte avec nous-mêmes, et par étape, nous entendrons comme St Paul le Seigneur nous dire : « Ma Grâce te suffit » !
Le dernier chemin réside dans le fait de servir et d’approcher les plus petits et les plus pauvres. Cela doit se faire dans le vrai service, à l’écoute du plus petit. Je découvre alors la réalité de cette Parole : « c’est dans la faiblesse… » (cf. Matthieu XXV ou Luc XIV…)
C’est la loi du cœur de l’homme ; si je veux m’imposer, je risque de tout perdre !
Mais Dieu connaît notre cœur qu’Il a façonné à son image et si Dieu est tout-puissant, Il l’est dans la douceur.
Le Chrétien est en chemin, c’est une personne « appelée » et l’Église est faite de gens qui connaissent leur faiblesse et du sein de cette faiblesse sont appelés par Jésus Christ à faire ce chemin.