Marie Reine de Cîteaux - Le tableau de la Grande Chapelle

Commentaire du Père Stéphane-Marie

Tableau du Maître Autel de la Grande Chapelle, Marie Reine de Cîteaux, Abbaye d’Ourscamp
"Marie Reine de Cîteaux"
Peint par Gaspard de Crayer, 1640 (de l’école de Rubens )


Présentation du tableau.

Au centre de ce tableau, nous pouvons voir la Vierge Marie. Marie, Reine de Cîteaux. Elle présente l’Enfant Jésus. Elle est aidée de deux anges, l’un soutenant le linge sur lequel repose l’enfant Jésus qui a les bras levés, l’autre soutenant son manteau.

En haut du tableau, nous avons une scène avec le Père et L’Esprit-Saint. De petits anges sont présents un peu partout, les uns soutenant le Père, (comme on peut le voir à la chapelle Sixtine) et d’autres présentant les instruments de la Passion.

En bas, sont représentés les abbés de Cîteaux, les fondateurs - les trois fondateurs comme on dit à l’Abbaye : saint Benoît sur le côté gauche, saint Bernard au milieu en blanc et saint Robert de Molesme à droite.

Saint Robert de Molesme fonda l’abbaye de Cîteaux avec vingt et un compagnons, en 1098. Avec l’arrivée de saint Bernard de Clairvaux, cette abbaye connu un essor considérable et devint la pierre angulaire du nouvel Ordre cistercien appuyé sur la règle de Saint Benoît.

Pour saint Bernard, la vie monastique est une école de charité, vertu que l’on peut méditer en regardant ce tableau.

Les lignes de force du tableau

« La ligne de la Charité »
  • La ligne de la Charité

Nous pouvons remarquer une ligne verticale partant du Père, passant par l’Esprit-Saint, l’Enfant Jésus et descendant jusqu’à la main de Robert de Molesme.

Il y a là une représentation de la Trinité : le Père, l’Esprit-Saint représenté traditionnellement par la colombe, et puis l’Enfant Jésus.

Le Père regarde vers le bas, le Fils regarde vers le haut, leurs mains se correspondent, embrassant l’Esprit-Saint. Dans cet échange l’Esprit-Saint jailli au milieu d’eux. C’est l’image de la Charité : de la façon dont on aime en Dieu : « le Fils est tourné vers le Père et l’Esprit-Saint repose sur Lui. » nous dit Saint Jean.

La vie monastique est une école de charité : l’Amour descend du Père, il passe par Jésus et il aboutit dans la main de Robert de Molesme. Cette main tient un anneau qui porte une pierre précieuse, qui ressemble plus à un anneau de fiançailles qu’à un anneau abbatial. Il est le signe de cet amour de Dieu qui est donné, et dans ce don de la charité, c’est Dieu et l’Homme qui se fiancent.

C’est vraiment cet Amour qui est donné et qui va descendre jusqu’au premier fondateur de l’ordre cistercien. La main de Robert de Molesme est centrale.

« Le cercle de l’Eglise »
  • Le cercle de l’Église

A côté de cette ligne droite, on est surpris par un autre mouvement formé par les différentes têtes : la tête de saint Benoît, la tête de l’ange de la Passion, la tête de Jésus, la tête de la Vierge. Tout cela forme un cercle. On est descendu du Ciel, on est sur la terre. C’est le cercle de la communion, le cercle de l’Eglise.

L’Église qui va incarner cet Amour qui descend. On voit que cette circulation réunit les différents personnages : Jésus, personnage central dans son humanité, avec sa mère, avec les anges, et avec les trois hommes qui sont appelés à vivre cet Amour.

Les regards, les mains, les couleurs

Nous pouvons découvrir la façon dont chacun reçoit cet Amour en nous arrêtant plus particulièrement sur le jeu des regards, le jeu des mains et le jeu des couleurs.

  • Le jeu des regards :

L’Ange de la Passion : dans quelle direction regarde-t-il ? Il regarde vers le Ciel, et son regard tombe sur les anges qui portent les instruments de la Passion : la croix, la lance et les clous.

Notons que la Passion est située dans le Ciel, signifiant que le mystère de la Rédemption est inscrit dans le cœur, dans la pensée de Dieu.

L’ange soutien l’Enfant Jésus, il soutient le pied de Jésus. A travers le regard de l’ange, nous avons la proposition de vivre la Charité. La Charité va nous venir par le mystère de la Rédemption, par Jésus qui a les bras ouverts comme les bas en croix. Si nous remontons des mains de Jésus vers la croix, nous remarquons que les paumes de Jésus sont toutes prêtes à être mises sur cette Croix.

La Charité, nous allons la recevoir par le don de Jésus sur la Croix.

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L’Enfant Jésus est prêt à être mis sur la Croix mais Il a une attitude étonnante. Il est représenté comme triomphant, comme le Christ sortant du tombeau. Impression renforcée par la blancheur du lange qui nous rappelle le linceul.

Jésus est représenté enfant, mais - et c’est typique de la pensée spirituelle du 17e siècle - dans cette enfance, dans cette humanité est contenu déjà tout le mystère de la présence de Dieu, de la Rédemption, de notre sanctification.

L’Eglise est prise dans le cercle ou va circuler la communion, l’école de la charité par la Passion.

Si nous observons les regards des personnes de ce cercle, nous pouvons noter que tous les personnages regardent l’Enfant Jésus à l’exception de deux d’entre eux : saint Benoît et la Vierge Marie. Ainsi, tous regardent vers l’Enfant Jésus, sauf ceux qui dans ce cercle représentent une paternité :

Saint Benoît est ici comme fondateur, il regarde vers les deux autres moines. Il est représenté comme la paternité qui engendre, il couve ses fils à distance. Il a ses attributs qui le caractérisent : la crosse abbatiale avec le livre de la règle de Saint Benoît et la coupe brisée (allusion à l’épisode de sa vie où des frères, agacés par l’extrême rigueur de sa Règle, ont voulu l’empoissonner en versant dans son verre un poison, et lorsqu’il a bénit le repas, le verre s’est brisé).

La Vierge Marie regarde le Père, la Trinité, le mystère de Dieu. La maternité de Marie élève, elle est médiatrice. Marie Reine de Cîteaux nous emmène dans le sein de la Trinité. Elle est représentée en reine. Sur sa robe, ses manches, on peut voir des pierres précieuses, sa cape est cousue dans un damassé très riche, d’un bleu qui symbolise de manière traditionnelle la royauté dans l’empire byzantin.

Quant aux deux moines, ils regardent vers le mystère du Christ présenté par Marie, mais ont tous les deux une attitude très différente.

Saint Robert paraît « planté » à genoux sur le sol. Il incarne ces fiançailles de l’humanité avec Dieu, cette réception de la charité. Il les célèbre en présentant cet anneau et en le mettant en correspondance avec la divinité, avec un regard franc, paisible, dans une attitude de calme, … portrait magnifique.

Saint Bernard, lui, semble être dans une attitude bien peu confortable : il est prêt de tomber. Remarquer le geste des mains, signes d’humilité, avec une main gauche qui se tourne vers nous, et la main droite qui est un peu en arrêt.

Avec saint Robert de Molesme nous avons la vérité théologique des fiançailles de l’humanité avec la divinité.

Avec saint Bernard, nous en avons comme la promesse avec la tension qui l’habite : le moine est tout tendu vers le mystère, et vers Marie. Ne pas oublier que saint Bernard, dans ses écrits, apparaît comme un homme de désir, comme cette âme du Cantique des Cantiques qui tend de toutes ses forces vers Dieu. C’est cette école monastique de Saint Bernard qui va, avec fougue, avec une force terrible, se tendre vers Dieu, lui consacrer toutes ses forces à la fois dans l’humilité et dans un désir profond.

  • Les mains de l’ange et de Marie

Cet enfant à qui est proposé la Croix et qui accompli le Salut, est supporté par un ange. L’ange soutient le pied de l’Enfant Jésus.

Marie, elle, ne porte pas Jésus, elle l’effleure de se mains. Marie semble présenter Jésus, et aussi le soutenir dans la mission qui l’attend, elle ne le retient pas.
Le rôle de Marie est de montrer Jésus, qui est lui-même dans une attitude très sacerdotale. Il est prêt pour le sacrifice de la Croix où il est à la fois immolé et ressuscité. Le linceul duquel semble surgir l’Enfant Jésus est d’un blanc éclatant, il se retrouve au centre du cercle de l’Eglise, ce qui en fait presque une ostension eucharistique, illustrée par cette phrase de Benoît XVI : « l’Eucharistie, source et sommet de la vie de l’Eglise ».
Par son attitude,Marie, qui touche à peine l’Enfant, va nous conduire vers la divinité de la Trinité.

  • Les couleurs

Nous avons un vêtement rouge autour du haut de l’Enfant Jésus et le lange blanc qui symbolisent l’humanité et la divinité de Jésus, ainsi que le corps et le sang de Jésus.

Le manteau du Père est dans un rouge marron, et cette bande de tissu vient comme un fleuve de vie, il descend vers le cercle de l’Eglise, jusque vers Robert de Molesme dans le manteau duquel nous retrouvons cette même couleur. C’est le mouvement de cet amour de Dieu qui descend et qui enveloppe.

Saint Bernard est illuminé dans son habit blanc de la lumière qui vient de Jésus.

De l’autre côté nous avons quelque chose de beaucoup plus léger, un halo gris-bleuté, dans lequel se réfléchit le manteau de Marie qui teinte le ciel de ce bleu.

Nous pouvons remarquer une chose étonnante : ce grand trou noir presque au centre du tableau qui donne l’impression d’un grand vide. Il fait penser à la grotte de la Nativité et la grotte de la Résurrection d’où jailli l’Enfant avec ce tissu blanc qui est à la fois un lange et un linceul.

L’ange Gabriel, servant la Vierge Marie

L’ange Gabriel

Dernier personnage dont nous n’avons pas parlé : l’ange de droite. Nous pouvons supposer que c’est l’ange Gabriel puisqu’il sert la Vierge Marie un peu dans le sens du Père Lamy : c’est l’ange gardien de la Vierge Marie.

Nous pouvons faire un parallèle dans les attitudes de saint Bernard et de cet ange : saint Bernard habité par cette tension qui le tourne vers la Trinité et la Vierge Marie, et l’ange qui est complètement tendu vers le mystère de Marie.
C’est l’ange de l’Annonciation qui s’étonne de ce qui s’accomplit en Marie (chant Acathiste). Cet ange de l’Annonciation qui est au service, qui soutien et qui est dans cette même tension que celle de Bernard, (peut-être un peu moins déséquilibrante !). Leurs deux regards convergent vers le mystère de la divinité qui se donne mais aussi d’une manière particulière sur le mystère de Marie.

Dans la continuité de cette ligne de la charité qui descend, il y a les fiançailles des Hommes avec Dieu qui se fondent par la Croix.
Robert de Molesme porte une croix à la ceinture. Cette croix que le chrétien a prise sur lui, qu’il a intégrée et qui est sa marque d’honneur. Si le Christ est le serviteur qui s’est humilié avec la mort de la Croix, le disciple a assumé cette croix, il en vit et il est aussi crucifié avec Lui.
Et c’est là aussi que vient se planter la charité.



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