Passion et raison
La passion n’est ni bonne ni mauvaise. Simplement, quand elle nous pousse à faire des actes déraisonnables (pas simplement rouler à contresens sur l’autoroute pour épater sa petite amie…), alors elle est mauvaise. Déraisonnable, de manière concrète, cela signifie des actes qui nous détruisent.
La passion a donc besoin d’être régulée par la raison : il faut savoir raison garder ! Or Gertrude qui attend son petit ami pilote d’avion, en totale admiration, qui court après sa voiture, se laisse rabrouer violemment par lui, n’est plus dans la raison, parce qu’elle accepte d’être méprisée : en cela, elle délaisse cet amour sain qu’elle se doit à elle-même, bien plus elle n’aime pas Gontran : elle pèse sur lui, et s’accroche à lui comme une liane à l’arbre, elle ne recherche pas le bien de Gontran !
La passion est donc un risque : risque de se détruire, de n’être plus nous mêmes.
Certains, à cause de cela ont considéré que la passion était un mal : les stoïciens par exemple pour qui toute passion est une affection désordonnée qu’il faut supprimer.
Ce n’est pas si loin de nous. Car il y a aujourd’hui une philosophie ZEN qui veut évacuer toute passion, ne s’attacher à rien et qui croit qu’il y a là sagesse, voire amour de Dieu.
Péguy disait :
Il en est certains qui, parce qu’ils n’aiment rien, croient qu’ils aiment Dieu ”
C’est une illusion totale. C’est beaucoup plus difficile certes de régler ses attachements, mais c’est beaucoup plus intéressant, source d’un bonheur plus vrai. C’est aussi ce qui nous ramène aux limites de notre condition humaine.
La position chrétienne vraie
La passion est une force aveugle. Elle est un matériau, comme de l’eau : l’eau peut irriguer ou détruire comme un raz de marée. Ce qui compte c’est ce qu’on en fait. Il faut la canaliser, l’éduquer…
Mais on n’a pas de prise sur ses passions comme sur son bras : je ne commande pas à mes affections comme je commande à mon bras de se lever.
Pourtant, je ne suis pas sans prise, sans aucun pouvoir sur mes passions : ça c’est la position romantique, qui affirme que la passion est une force fatale, à laquelle on ne peut se dérober et qui conduit à la mort. Non j’ai un pouvoir, mais limité.
On dit qu’on a un pouvoir politique : je gouverne à mes passions, non comme à des choses mortes ou inertes mais comme à des éléments qui ont leur vie propre, comme à une meute d’animaux sauvages ; avec patience je parviens à les comprendre, les dresser, les orienter. Il faut du temps, de la patience, la conviction qu’on peut y arriver. Ainsi je peux guérir d’une passion amoureuse, soit mauvaise, soit malheureuse et qui ne mène à rien.
J’apprendrai par exemple à moins attacher d’importance au courrier que je reçois, à attendre un peu avant d’aller à la boîte aux lettres… ainsi peu à peu je serai plus libre par rapport aux témoignages d’amitié ou d’affection.
Je peux décider aussi de servir les plus pauvres pour moins me renfermer sur moi-même et mon petit malheur. Et peu à peu je remporte la victoire.
Mais il faut toujours garder un équilibre, cet équilibre pour ne pas devenir insensible par exemple. Cet équilibre, c’est celui de la vertu.
Et cette vertu ne consiste jamais dans l’absence de passion. Par exemple, être insensible n’est pas une vertu mais au contraire une forme de vice.
La vertu se situera entre deux extrêmes : absence de passion, ou excès de passion. Par exemple le courage est entre l’excès de peur qui produit la lâcheté, ou l’absence de peur qui produit la témérité et l’inconscience. L’ami authentique est entre le chicanier (qui fait des histoires pour tout et qui manifeste le moindre petit désaccord) et l’adulateur (qui trouve que son ami est toujours formidable.)
Un double mouvement
En d’autres termes la vie morale doit toujours épouser un double mouvement :
- Accueillir (féminin)
- Réguler (masculin)
Exemple, l’amour. Certains ne veulent pas accueillir l’amour (pour plusieurs raisons : par crainte de ne plus contrôler, par crainte d’être blessé…) mais certains aussi ne veulent plus réguler : on s’abandonne totalement à la passion (c’est trop bien…), à la tristesse : on regarde Titanic et on pleure… on s’abandonne à l’amour, même s’il détruit une famille unie, etc…On considère, à la limite, que c’est souiller la passion que d’y faire intervenir la raison. Il y a donc à se réconcilier avec ces deux pôles : affectivité et maîtrise de soi.
Jamais dans un seul pôle. C’est la ruine de l’humanité