« Lamy de la Vierge Marie »

Portrait du Père Lamy par Luc Adrian

Le pèlerinage de Notre-Dame des Bois, sanctuaire caché dans une forêt de Haute Marne, a célébré ses cent ans ces 31 mai et 1er juin 2014.
Qui était son fondateur, Jean-Édouard Lamy (1853-1931), curé des loubards de l’époque, prêtre de la Courneuve, personnage original et loufoque que la Vierge visitait, et qui fonda les Serviteurs de Jésus et de Marie ?


« Pour vivre heureux, vivons caché », semble dire Notre-Dame des Bois en son sanctuaire forestier de Chalindrey - cherchez (sur la carte) et vous trouverez, mais pas immédiatement. L’un des plus petits et discrets sanctuaires de France. La maison de Blanche Neige, plus oblongue, cachée dans une clairière du bois Guyotte. A l’intérieur, un autel nu ; une statue de Marie, taille réduite, qui ne paie pas de mine ; quelques bancs de bois ; six vitraux colorés ; une cinquantaine d’ex votos ; c’est tout. L’un des lieux préférés de la Vierge, qui a fêté son centenaire au joli mois de mai.

On atteint Notre-Dame des Bois en grimpant depuis le village de Violot, par un sentier herbeux de cinq cent mètres. Il ne serpente pas, non, il escalade la colline, droit dans ses bottes de fleurs des champs, entre des murailles tendres de chênes, de hêtres et de pins qui semblent courber le chef devant leur Reine et ses pèlerins. Cet « escalier », ponctué des stations du Chemin de croix, pourrait être un cousin champêtre de celui de Montmartre, avec sa rampe à double main courante au milieu des herbes galopantes, constellées de boutons d’or.

" Pour vivre heureux, vivons caché…dans les plis de votre robe, ô Marie ", ajouterait le fondateur de Notre-Dame des Bois, Jean-Edouard Lamy, né au Pailly, village à deux pas d’ici - à 50 km au nord de Dijon, 30 km au sud de Langres - en 1853, et mort en 1931 à Jouy-en-Josas. Entre ces deux dates, soixante-dix-huit ans d’une vie intensément remplie.

Qu’on ne se méprenne pas : Jean-Edouard n’est pas de la « haute » ; il est de la Haute-Marne. Il naît dans une famille de paysans et reçoit une instruction « à peine primaire ». Il chante les litanies de la Vierge en gardant les vaches. Celle-ci lui apparaît. Il ne s’en étonne guère : il vit et vivra toujours avec Elle.
« Elle n’est pas compliquée », dira-t-il comme un mari parle de sa femme. Plus tard, il apercevra sur une colline « un agneau debout sur un autel avec des anges autour. »
L’Agneau immolé appelle des hommes qui s’immoleront pour son peuple ? Édouard répond oui.

À 12 ans, il veut être prêtre. Mais un incendie ravage la maison paternelle : la famille est ruinée. Impossible de payer le séminaire.
Au retour du service militaire, il travaille un an chez son père. Puis tente le séminaire de Langres : pas de place chez les Pères. Il apprend qu’à Troyes une congrégation accueille les jeunes gens pauvres : les Oblats de saint François de Sales. Il y court. Devient responsable d’un patronage dans cette ville pénitentiaire où grouillent les orphelins et les esseulés dont les parents sont en prison ou à l’usine.

L’abbé Lamy se consacre jour et nuit à cette jeunesse délaissée, « se faisant l’avocat des jeunes délinquants, raconte l’historien Daniel Rops, au point de récolter, à Troyes, le surnom de « curé des voyous », allant dans les pires lieux, au besoin, pour récupérer les filles dites perdues, assumant en même temps ses fonctions sacerdotales avec un zèle tel qu’on le voyait passer dix ou douze heures de suite au confessionnal, obligé d’en sortir de temps en temps pour se plonger la tête dans un seau d’eau froide. »
Le cardinal Amette, archevêque de Paris, s’exclamera un jour : « J’ai dans mon diocèse un nouveau curé d’Ars ».
Il y a avait aussi du Don Bosco chez cet apôtre des périphéries.

S’il existe de nombreuses photos du P. Lamy - « l’arlequin de dernière classe », comme il se surnommait -, celui-ci avouait ne s’être « jamais regardé dans un miroir. ». Les clichés montrent un homme courtaud avec une face de Pékinois, une barrette noire posée sur une ébouriffade de cheveux blancs, une lippe couturée de rides, un nez rond en abricot, des pommettes fortes, des loupes à la place de lunettes – il avait perdu un œil et n’y voyait guère de l’autre -, une soutane pas trop propre…
Or « de ce visage sans grâce rayonnait une lumière extraordinaire, qui éclatait dans son sourire », témoignera Daniel-Rops - et qui fascinera Jacques Maritain : « Il apportait avec lui cette présence substantielle, pacifique et tendre, où la sainteté se fait connaitre », dira le philosophe.

Après quelques années comme vicaire à Saint-Ouen, l’abbé Lamy est nommé en 1900 curé de la Courneuve : une paroisse dont aucun prêtre ne veut et qu’on se refile comme la patate chaude. Il y restera 23 ans, personne ne venant lui disputer le poste. Il s’attache à ces ouailles hétéroclites et guère pratiquantes, composées de maraichers, de chiffonniers, d’ouvriers. « Il fut non seulement accepté mais entouré d’une affection rugueuse », note Rops. Le soutien de ses paroissiens dans son projet de Notre-Dame des Bois le démontrera.
« Ce prêtre si peu éblouissant, ce curé d’une banlieue assez sordide, poursuit Daniel-Rops, bénéficiait de charismes extraordinaires, dont il devait livrer les récits, avec une bonhommie, une simplicité de ton, un sens aussi du spirituel le plus haut, qui les rapprochent des Fioretti.
Vivant littéralement en Dieu, priant sans cesse, et surtout la Vierge Marie qu’il avait en immense vénération, ce solitaire, ce taciturne, dont sa mère disait « c’est un baril bouché », avec les Puissances du Ciel avait des entretiens quasi familiers. »

Quel rapport entre la cité populeuse de la Courneuve et le sanctuaire caché de Notre-Dame des Bois ? Ils sont aussi près l’un de l’autre que le monde visible l’est du monde invisible. Tous les ans, l’abbé Lamy se rend en pèlerinage à Gray (Haute-Saône) prier Notre-Dame en sa basilique, à 40 km au sud de son village du Pailly.
Le 9 septembre 1909, il y célèbre la messe quand la Vierge descend doucement vers l’autel, lumineuse de gloire, et lui sourit. Elle s’installe un bon moment. Et lui annonce la guerre de 1914 ; lui dit qu’elle désire une congrégation nouvelle (ce sera les Serviteurs de Jésus et de Marie, qu’il fondera en 1930, juste avant sa mort) ; elle lui montre aussi comment elle l’a protégée depuis son enfance.
Enfin, Marie lui demande de fonder un pèlerinage en un lieu précis. Elle le lui montre en pensée : une cabane dans une clairière. Édouard reconnait aussitôt le Bois Guyotte : il y a souvent joué, enfant. Mais la masure n’est pas belle : elle sert de refuge aux bucherons et aux chasseurs qui y font ripaille. Pourquoi pas un sanctuaire plus noble, sur une aérienne colline, près du Pailly, plutôt que ce trou perdu ? Non, « C’est le choix de la mère de Dieu ».
Puis celle-ci lui montre une statue d’elle, pas franchement folichonne. Pourquoi pas une statue plus grande, plus belle, pour la Reine des Cieux ? Non, « C’est le choix de la mère de Dieu ». Lamy de Marie la décrira comme « une femme énergique ». Dont acte.

Le bois, la maison, la statue, l’abbé les voit bien mais il n’a rien. C’est seulement en 1911, deux ans plus tard, qu’il aperçoit la statue à Paris chez un brocanteur. Il y entre à reculons, déçu par le manque de goût de Marie (Il dira plus tard : « La sainte Vierge trouve souvent que ses statues ne sont pas belles, mais cela ne l’empêche pas de les aimer comme des signes de l’affection qu’on a pour elle et de s’en servir comme canal pour ses grâces. Cela nous montre à nous aussi que nous n’avons pas besoin de nous trouver beaux pour nous confier à la sainte Vierge »).
Lorsque la vendeuse pose la statue sur le comptoir, celle-ci devient resplendissante de lumière…

Ce n’est que deux ans plus tard, grâce à des donateurs, qu’il peut acquérir le bois avec la « baraque ». Il y transporte la statue le 20 avril 1914, quelques semaines avant le déclenchement des hostilités. Les pèlerins se succèderont durant toute la guerre, de la Haute-Marne mais aussi de la Courneuve.

Je suis parti fonder ce pèlerinage sans argent, sans bois, sans chapelle, sans statue : la Sainte Mère a pourvu à toute chose.

« Tel le prophète Jérémie qui achète un champ lors qu’il prophétise la guerre et la destruction de Jérusalem, le Père Lamy achète le bois Guyotte alors qu’il annonce à tous une guerre destructrice, remarque frère Charles de Jésus, s.j.m., qui co-organise le pèlerinage. C’est dans l’un et l’autre cas pour poser un geste d’espérance en plein chaos. » - « La grâce du lieu, c’est la pauvreté, la pureté, la solitude et le silence », résume le Père Grégory, jeune curé de Chalindrey, qui a en charge le sanctuaire, devenu paroissial en 1924.
« C’est tellement isolé que vous pouvez crier, pleurer, gémir tout votre saoul, en liberté », ajoute frère Charles de Jésus.

Le Père Lamy était parfois déroutant, rude et rugueux, mais il avait une merveilleuse délicatesse, lui qui allait à la pêche aux âmes avec un litre de vin rouge sous chaque bras, soutenant que « Le gosier est le chemin du cœur ».
Délicatesse aussi envers les âmes dont il disait à propos du sacrement de la réconciliation :

Il ne faut rien ajouter à leur croix, il ne faut pas les mener à la boucherie.

Boucherie, la guerre de 1914 le sera. Marie l’a prédit, Lamy l’a répété. Il va en porter sa part de croix : La Courneuve voit passer des milliers de soldats – dont des centaine d’aumôniers militaires qu’il faut accueillir. Sa charge s’accroît sans cesse.
En mars 1918, l’explosion de quinze mille grenades et de cent soixante-quatre tonne de poudre fait exploser son quartier, ébranle l’église, pulvérise les vitres. Pas un mort, pas un blessé : c’est un miracle que ses paroissiens attribuent sans peine à l’intercession de Notre-Dame des Bois.

Le « nouveau curé d’Ars » fut comme son prédécesseur persécuté par le Malin. Il lui apparaissait – fait unique - en même temps que la Vierge, à qui il lançait : « Je vous ai toujours combattue, vous m’avez toujours vaincue ».
« C’est le seul sanctuaire dont le vocable vient du diable », assure, sans malice, l’ancien curé de Chalindrey. Satan a dit au Père Lamy : « Il y a Notre-Dame de Lourdes, il y aura Notre-Dame des Bois ».

Presque aveugle, l’apôtre mystique est mis à la retraite en 1923. Il se retire au Pailly et passe de longues heures en « son » sanctuaire à converser avec Marie. Il n’hésite pas à soutenir :

Il n’y a peut-être pas d’endroit au monde où elle donne avec tant d’abondance les grâces spirituelles.

On pourrait pasticher cette ronde enfantine :

Nous r’tournerons au Bois,
les grâces n’y sont pas comptées
la Belle que voilà aidera à les ramasser

Entrez dans la danse, voyez comme on chante
Priez, pleurez, confessez-vous à qui vous voudrez.

Article paru dans Famille Chrétienne, Jeudi 29 mai 2014