Genèse de la tristesse
Elle est liée à l’amour
Comme toutes les passions, la tristesse est liée à l’amour. Je suis triste
parce que j’aime, et que le bien que j’aime n’est pas là (pour une
raison ou pour une autre.)
On la définit comme le sentiment devant un bien absent. Par exemple, je vais en vacances, et tel(le) ami(e) que je retrouve habituellement n’est pas là.
Elle relève de l’interprétation
La tristesse est union à un mal, avec la conscience de ce mal. L’animal
n’est pas triste à proprement parler, car la tristesse, c’est la
répercussion dans la vie consciente de ce mal.
On voit qu’il y a là tout une marge d’interprétation. Il y a bien un mal. Maintenant l’écho qu’il a en moi dépend en partie de moi. La tristesse se situe donc dans l’interprétation que je fais des événements, des choses.
Il faut bien la saisir, c’est la marge entre l’optimiste et le pessimiste, mais plus encore entre l’homme de foi, et un homme sans espérance.
Bonne ou mauvaise, la tristesse ?
Excessive parfois
La tristesse, est bien la conscience qu’il y a un mal dans ma vie. J’ai perdu un être cher : il m’a quitté, ou bien il est mort. J’ai perdu mon travail. Cet être peut m’être très cher, ce travail, voire ce prestige me tenaient très à coeur. Mais ce sont des biens finis. Il faut donc que ma tristesse, elle aussi soit finie…
Or, bien souvent, nous nous complaisons dans la tristesse, au point qu’elle excède, qu’elle n’est pas proportionnée à ce que nous avons perdu. On est fasciné par son propre malheur : car la tristesse est la
remémoration d’un bien absent.
Je me souviens d’une mission dans un lycée de jeunes filles. Celles-ci se réunissaient pour écouter la musique de Titanic et pleuraient, parce que dans la tristesse on sent son cœur vibrer.
Et l’on sent davantage l’amour quand la privation se fait sentir. Ainsi on se laisse attendrir par le malheur d’autrui, par un malheur diffus, on se lamente ; on se veut inconsolable, et on finit par le devenir.
Ce peut être un “jeu” : le jeu gothique par exemple, ou le noir est l’unique horizon. Ce peut être aussi un piège : celui de la désespérance. Combien de jeunes “font des bêtises” ou se suicident par dépit amoureux.
Il y a donc une forme d’éthique par rapport à la tristesse. Je pleurerai, mais aussi je saurai mettre un terme à mes larmes. C’était le sens de deuil dans les civilisations traditionnelles. S’il faut bien sûr laisser tomber le côté formel, il y avait une vérité qui était de dire : je pleurerai (on porte le noir un nombre de jours fixes) puis je cesserai et reviendrai à la vie.
Il faut pour cela bien souvent des amis qui sachent tourner notre cœur
avec délicatesse vers d’autres réalités que celles que nous avons
perdues.
Bénéfique
Il faut se souvenir que la tristesse n’est ni négative, ni positive.
Elle est une passion. Comme telle elle est neutre.
Mais elle est un signal. Comme telle elle est bonne. Celui qui n’éprouve pas la douleur, risque de se détruire rapidement, de se brûler, etc…
De même pour la tristesse. Telle tristesse éprouvée peut être l’indice que le chemin que nous suivons n’est pas le bon. Qu’on pense à Charles de Foucauld, par exemple.
Ce peut-être la tristesse après le péché, la contrition.
C’est un trésor douloureux, mais un trésor à ne pas perdre. Marcher
dessus, c’est marcher sur sa conscience et perdre peu à peu son
humanité. Peu à peu, cette tristesse d’avoir péché, d’avoir raté
quelque chose de profond, pourra devenir la tristesse d’avoir blessé
Dieu. C’est un vrai saut vers lui qu’on accomplit alors. Je ne suis
plus triste à cause de moi, mais à cause de lui. Je perçois un lien
entre le mal que je fais et le malheur de Dieu, manifesté par Jésus sur
la croix, ou à genoux au jardin des Oliviers, en pleine nuit.
Signe de notre vulnérabilité
D’autre part encore, la tristesse, est l’indice que nous sommes vulnérables. La joie ne nous donne pas ce même sentiment de vulnérabilité. En ce sens, la tristesse peut nous faire évoluer. Et nous donner le sens de la compassion.
Il faut misère pour avoir cœur" dit un proverbe.
Parfois, il nous faut un échec, une peine de cœur… pour nous ouvrir aux plus petits et aux plus pauvres.
Comment guérir de la tristesse ?
Quand nous sommes tristes, nous essayons de nous en sortir le plus souvent. Cependant, il y a des fausses routes :
Les pièges
- Piège 1 : guérir de la tristesse par l’invulnérabilité, l’efficacité : je déploie une énergie prodigieuse, pour tâcher de compenser un échec, une peine. On va à travers tout cela quêter une reconnaissance. Aristote dit avec justesse :
Celui qui n’est pas aimé tâche d’être admiré.”
Celui qui a la tristesse de ne pas être aimé, se lancera dans l’action pour tâcher d’être reconnu, voire dans la violence pour obtenir une reconnaissance même “négative”.
- Piège 2 : les compensations.
C’est très difficile de se voir privé de tel ou tel bien auquel on tenait beaucoup. Il y a un déficit de plaisir en nous. Or, les philosophes le disent : “il est presque impossible de vivre sans plaisir ni sans joie”. Du coup, on va chercher, en cas de tristesse, à compenser : par la nourriture, par le plaisir charnel… Et c’est le cercle vicieux du péché. On trouve consolation dans le péché qui nous attriste et qui appelle donc d’autres consolations.
Il faut dans ces moments accepter parfois d’être dépouillé pour souffrir avec pureté, de ne pas être très beau, mais maintenir son désir de souffrir sans compenser. C’est souvent un dépouillement au terme duquel se dessine la figure de Dieu. On souffre, mais dans la paix.
Enfin, il y a bien des joies et des plaisirs légitimes qui nous aident à traverser l’existence, il ne faut pas les négliger : nos passions de musique, de sport, de découverte, de voyages… mais aussi, la fraternité, l’amitié, qui nous aident à demeurer dans la joie, et à bien assumer les tristesses de l’existence. En ce sens nous sommes responsables les uns des autres.
- Piège 3 : l’agressivité. Quand je suis privé d’un bien, je peux aussi attaquer : c’est un mouvement presque nécessaire d’une affectivité pas encore convertie, nous en sommes tous plus ou moins là. Si on en prend conscience, on peut très bien progresser dans ce domaine. (Dieu peut nous aider peu à peu à ne pas sortir de la charité par l’agressivité en cas de dépouillement difficile).
Les remèdes
- "Quand j’ai besoin d’être consolé, envoie-moi quelqu’un à consoler" nous dit Mère Térésa, dans la prière ci-dessous. C’est un bon chemin, mais il faut d’abord être un bon ami pour soi-même, savoir comment, peu à peu, je peux “me refaire une santé".
- Regarder la croix : le Christ est allé jusqu’au bout de la
vulnérabilité, de la tristesse : “Mon âme est triste à en mourir”.
Sur la croix, il crie : “J’ai soif”.
Contempler celui qui peut comprendre de l’intérieur ma tristesse, ma détresse ou mon désespoir, est une vraie consolation. Il faut parfois du temps, du silence, la résolution ferme et douce de ne pas se laisser distraire de cette contemplation jusqu’à ce que mon cœur ait retrouvé la santé.
- La contemplation :
Il n’existe pas de tristesse contraire à la joie de la contemplation" dit Thomas d’Aquin.
Ça peut paraître bien lointain et pourtant… Il y a là un enjeu. Comment s’enraciner dans la foi, qui est notre contemplation, pour demeurer dans la joie ? Pour être heureux finalement ?
Le bien qu’on contemple et qu’on aime ne peut nous manquer car c’est Dieu. N’est-ce pas aussi la joie qu’on attend des chrétiens et qui les rendra attirants ? (“Qui nous séparera de l’amour de Dieu ? Ni la mort ni la vie…” nous dit Paul ).
Mais attention de ne pas brûler les étapes. C’est un long exercice, l’Ecriture dit que “Pour un peu de temps il faut que vous soyez affligés par toutes sortes d’épreuves.”
Alors pas d’inquiétude, si notre navire prend quelques vagues et un peu d’eau. Il finira bien par arriver au port.
"Seigneur, quand je suis affamé,
donne-moi quelqu’un qui ait besoin de nourriture.
Quand j’ai soif,
envoie-moi quelqu’un qui ait besoin d’eau
Quand j’ai froid,
envoie-moi quelqu’un à réchauffer.
Quand je suis blessé,
donne-moi quelqu’un à consoler.
Quand ma croix devient lourde,
donne-moi la croix d’un autre à partager.
Quand je suis pauvre,
conduis-moi à quelqu’un dans le besoin.
Quand je n’ai pas de temps,
donne-moi quelqu’un que je puisse aider un instant.
Quand je suis humilié,
donne-moi quelqu’un dont j’aurai à faire l’éloge.
Quand je suis découragé,
envoie-moi quelqu’un à encourager.
Quand j’ai besoin de la compréhension des autres,
donne-moi quelqu’un qui ait besoin de la mienne.
Quand j’ai besoin qu’on prenne soin de moi,
envoie-moi quelqu’un dont j’aurai à prendre soin.
Quand je ne pense qu’à moi,
tourne mes pensées vers autrui.
Que la joie de Jésus soit force en nous Et qu’elle soit, entre nous, lien de paix, d’unité et d’amour".