Homélie du 3e dimanche du Temps Ordinaire

26 janvier 2021

Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,

Avec la fête du dimanche de la Parole, et nous tous invités à approfondir cette parole de Dieu. Et en préparant cette homélie, en méditant sur le livre de Jonas, je me suis fait quelques réflexions : pourquoi le livre de Jonas fait-il partie des livres prophétiques ? Au fond, lorsque l’on regarde ces trois ou quatre chapitres – pour celles et ceux qui sont familiers avec la parole de Dieu – ce sont plutôt des livres de sagesse, un peu à la manière du livre de Job. De fait, on annonçant la lecture, on n’a pas dit « lecture du livre du prophète Jonas », mais lecture de Jonas.

Et l’on peut se demander ce qui fait que Jonas a quelque chose de prophétique, et qu’à travers cette parole du prophète, il y a quelque chose de la parole de Dieu qui s’adresse à nous avec toute sa puissance.

Ainsi, au sujet du prophète, il y a peut-être deux choses à considérer. Tout d’abord, le propre de ce qu’ils font en parlant au nom du Seigneur, c’est de faire sortir ceux qui les écoutent de leur zone de confort.

Une parole qui nous fait sortir de notre zone de confort

Et l’on voit Jonas qui s’adresse lui-même aux habitants de Ninive. Au début du livre de Jonas, on entend le Seigneur qui parle de cette ville païenne :

« Proclame que sa méchanceté est montée jusqu’à moi ! »

Et Jonas se lève, mais pour s’enfuir à Tarsis, loin de la face du Seigneur. Il est envoyé, mais il ne veut pas rentrer dans le plan de Dieu. Pour chaque prophète – Jésus Lui-même en est un – le plan de Dieu c’est de déplacer l’autre.
Déplacer l’autre, c’est le faire sortir de sa manière habituelle de voir, de changer de modèle, et donc, ça dérange…

Les gestes prophétiques sont importants. Et cela me fait penser à un geste en particulier qui n’a pas été compris par beaucoup de catholiques. Quand le pape François va à Lampedusa, et ramène dans son avion trois familles musulmanes, les réactions allaient dans le sens : « faut-il être musulman pour que le Pape s’occupe de nous ? » et certains même parmi vous ont pu penser cela.
Au milieu de toutes ces personnes esseulées à la dérive, n’y avait-il pas un Chrétien d’Orient qu’il aurait pu emmener avec lui ? Non, il a pris trois familles musulmanes. Ça c’est un geste prophétique parce que c’est un geste qui dérange. Et l’on peut dire que le pape François fait partie des papes des plus bousculés par les Catholiques pratiquants, il a été peut-être le plus désobéi par les fidèles puisqu’il avait demandé que chaque paroisse prenne au moins une famille de migrants sous sa protection, et que pratiquement rien n’a changé.

C’est intéressant de mettre en face le geste prophétique et le combat du prophète, porte parole de Dieu alors, qu’il est envoyé pour sortir l’autre de son confort, il veut partir et aller vers Tarsis, loin de la face du Seigneur.
C’est comme si répondre à l’appel de Dieu – l’Évangile est le récit d’un appel – était le fruit d’un combat intérieur, d’un combat spirituel.

Le prophète, si c’est celui qui dérange, il a une autre caractéristique : il est celui qui habite les ténèbres, ou qui est passé par elles.

Une parole qui nous montre les ténèbres

Cette figure de Jonas est très forte car c’est le seul personnage de l’ancien testament avec lequel Jésus se compare, du moins à ma connaissance. Il dit au sujet de cette génération mauvaise qui demande un signe :

« En fait de signe, il ne lui sera donné que celui du prophète Jonas.
En effet, comme Jonas est resté dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits, le fils de l’homme restera de même au cœur de la terre trois jours et trois nuits. »

Pour être prophète, il faut passer par ce monde de violence. Il faut habiter cette terre qui nous est tellement inconfortable, où Dieu semble absent. Et c’est parce que nous avons choisi de passer par l’eau et le feu que nous pourrons sortir dans l’abondance et avoir une parole qui touche, une parole prophétique, une parole qui déplace.

Évidemment, Jésus est celui qui incarne le mieux cette vocation de porte parole. Il est par définition non seulement porte parole, mais Il est le Verbe fait chair, et Il dit à chacun d’entre nous : "Si tu veux être témoin de la Parole, il faut d’une manière ou d’une autre la ténèbre puisse te devenir familière, pour découvrir que personne, par sa violence, ne viendra à bout de Dieu.
Le prophète, c’est celui qui passe par les ténèbres pour que sa parole soit parole de Dieu, et témoin que, dans la ténèbre, Dieu l’habite, qu’Il est présent.

« Ma ténèbre n’est point ténèbre devant Toi… »

Alors oui, frères et sœurs bien-aimés, être prophète est une situation difficile qui fait que, comme Jonas parfois, on s’adresse au Seigneur :

« Depuis les entrailles du poisson, il pria le Seigneur son Dieu. Il disait : « Dans ma détresse, je crie vers Dieu et Lui me répond. Du ventre des enfers, j’appelle et Tu écoutes ma voix. Tu m’as jeté au plus profond du cœur des mers, et le flot m’a cerné. Tes ondes et Tes vagues ensemble ont passé sur moi, et je dis : me voici jeté de devant Tes yeux, pourrai-je revoir encore Ton temple Saint ? » »

Car celui qui passe par l’eau et le feu, celui qui découvre qu’il y a tout un océan de violence en lui, mais qui se sait habité par le Seigneur qui vient demeurer dans cette terre de violence, peut devenir prophète.

En méditant sur le livre de Jonas, je pensais à Caïn et Abel. Dans cette histoire fratricide, on voit Dieu qui vient habiter le lieu du meurtre, qui vient mettre un signe sur Caïn de façon à ce que personne ne puisse le toucher, alors qu’il fuit aussi la face de Dieu comme Jonas. Lui sera homicide, Jonas a été victime, victime de ses propres actes, de sa propre désobéissance car au lieu d’aller à Ninive, il veut partir ailleurs…
Et avant de donner des leçons en tant que prophète, c’est lui qui en reçoit une de la part du Seigneur car, en s’éloignant de Sa face, il a pris un bateau qui lui même a été pris dans une tempête, puis il a été jeté à la mer par l’équipage et c’est finalement un monstre marin qui l’engloutit, et la tempête s’apaise enfin…

Ainsi, c’est intéressant de voir que dans toutes ces aventures, Dieu vient habiter le lieu de la souffrance, Dieu vient mettre un signe pour mettre une limite à l’absurde.

La miséricorde n’est pas un encouragement au mal, c’est une limite au mal pour lui signifier qu’il n’ira pas plus loin.

Traverser les ténèbres à l’aide de la Parole

Dans ce dimanche de la Parole, nous pouvons nous questionner non seulement sur l’étude que nous faisons de la parole de Dieu, sur la méditation, mais surtout sur comment elle nous lit : on parle de lire la parole de Dieu, mais demandons-nous dans quelle mesure c’est elle qui nous lit. Ne nous fait-elle pas découvrir, à travers ces récits prophétiques, ces récits de sagesse, à travers la Torah et les premiers livres de la Bible, ne nous révèle-t-elle pas à nous-mêmes quelque chose ?

Justement, par notre propre baptême, nous sommes aussi invités à être prophète, à être porte-parole, invités à traverser les ténèbres, à habiter le monstre marin, invités à déranger, à être dans une contre-culture. Et aujourd’hui, les Chrétiens s’inscrivent dans cette contre-culture alors que le monde se laisse guider par l’amour de l’argent – rien de nouveau sous le soleil. Mais le Chrétien est celui qui se soulève et qui affirme que là n’est pas le vrai dieu, il dérange, et forcément, il sera persécuté et mis de côté. On le basculera par dessus bord comme Jonas qui a été mis à l’eau par ses compagnons marins.
Mais parce qu’il sera passé par cette épreuve, il sera prophète. Et vous pourrez constater que dans la vie de tous les prophètes, il y a ce passage par l’épreuve, par le non sens pour ensuite sortir dans l’abondance. On le voit dans l’abondance de cette parole lorsqu’il demande de se convertir et qu’il est ainsi écouté :

C’est bien la parole de Dieu qui est là en actes à travers son porte-parole et qui agit ! C’est une parole agissante.

Le prophète c’est celui qui a une parole agissante, une parole qui devient acte. Et vous savez qu’en Hébreu, parole et événement, action, c’est le même mot. Et donc, Jonas a une parole forte qui retourne le peuple de Ninive, la grande ville païenne qui était une des capitales des rois d’Assyrie, réputé par son prestige guerrier, son pouvoir arbitraire, et aussi cité considérée comme totalitaire dans la mémoire collective d’Israël.

Dans la Bible, Ninive représente le point extrême de la violence et du péché, l’ennemi par excellence du peuple d’Israël, elle symbolise le monde. Et par sa parole, cet homme tout simple qui est passé par les entrailles du monstre trois jours et trois nuits – du monstre qui est en lui, c’est ça la leçon de Jonas –convertit les habitants de Ninive car elle est puissante. Et cette ville extraordinairement grande se convertit entièrement.

Eclairer le monde qui en a tant besoin

Nous pouvons alors nous demander si notre temps n’aurait pas besoin de ces prophètes, lui aussi. Notre temps n’aurait-il pas aussi besoin de ces personnes qui dérangent, que l’on a envie de basculer par dessus bord ? c’est ce que le pape François appelle « La culture du déchet », pas forcément ceux que l’on met dans les poubelles, mais les personnes dont on a envie de se débarrasser. Ces personnes-là deviennent alors prophètes. C’est évident, quand on veut se débarrasser de vous, il y a tout océan de violence qui vous envahit.
Mais jésus ne nous demande pas de ne pas éprouver de violence. Il nous demande que, comme pour Caïn, Dieu vienne habiter cette violence, qu’Il vienne habiter la terre du meurtre, mettre un signe sur nous et faire de nous un signe, le signe de Jonas.

Ainsi, frères et sœurs bien-aimés, cette heureuse initiative du dimanche la Parole vient nous faire réfléchir sur nous-même, sur cette parole qui nous scrute. Chacun de nous avons eu un passage où nous avons eu à faire un choix, que ce soit au moment de l’appel, et nous avons réagi comme Jonas qui est parti de l’autre côté, ou comme les premiers disciples qui ont suivi le Christ au premier appel…
Car il y a plusieurs appels dans une vie, et particulièrement ceux qui nous placent face au monstre qui est en soi. Quel est notre choix si ce n’est de crier vers le Seigneur comme Jonas depuis les entrailles du poisson ?

On le sait bien, Jonas est une figure christique, car il annonce le Christ, comme tout prophète. Et le Christ est Celui qui, par Son Esprit-Saint, vient habiter nos terres de ténèbres, nos terres désolées, pour faire de nous des prophètes,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de Jonas 3,1-5.10.
  • Psaume 25(24),4bc-5ab.6-7bc.8-9.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 7,29-31.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 1,14-20 :

Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait :
« Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »

Passant le long de la mer de Galilée, Jésus vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter les filets dans la mer, car c’étaient des pêcheurs.
Il leur dit :
— « Venez à ma suite. Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. »
Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.

Jésus avança un peu et il vit Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque et réparaient les filets.
Aussitôt, Jésus les appela. Alors, laissant dans la barque leur père Zébédée avec ses ouvriers, ils partirent à sa suite.