Homélie du sixième dimanche de Pâques

6 mai 2024

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. »

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Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs,

Avec les lectures de ce jour, nous sommes au cœur du message chrétien, qui est le message de l’amour, comme vous l’avez entendu. Il résonne à de nombreuses reprises, que ce soit dans la deuxième lecture ou dans l’Évangile. Cependant, vous savez tout aussi bien que moi que l’amour est une auberge espagnole, c’est à dire qu’on y trouve ce qu’on y apporte : chacun met derrière ce mot ce qui correspond à sa sensibilité, à sa subjectivité et à son expérience.
On peut ainsi admettre que c’est le mot le plus piégé qui puisse être.

Si on veut parler avec les termes de la philosophie, on dira que l’amour est une praxis et non pas un logos, c’est à dire que c’est quelque chose que l’on pratique, c’est loin d’être un principe.
Qui plus est, on a l’impression que plus elle est prononcée, moins elle est comprise et vécue. c’est une parole qui est de moins en moins comprise quand elle est prononcée.

Ainsi, la difficulté de ces lectures de ce dimanche, c’est d’avoir à nouveau accès à cette réalité de l’amour sans que les mots ne fassent écran.

Puisque la parole de Dieu nous est donnée en ce jour, prêtons attention à ces mots

« Dieu nous a aimés le premier. Ce n’est pas nous qui avons aimé d’abord. »

Cela signifie que l’amour prend sa source en-haut, en Dieu, ce n’est pas nous qui le fabriquons, c’est énorme…

Deuxième point que Saint Jean va mettre en lumière avec ces mots très forts :

« Dieu est amour. »

Dieu s’identifie à l’amour et tout Son être « s’épuise » dans cet amour, si l’on peut dire.
Et comme le disait frère Roger :

« Dieu ne peut que donner Son amour… »

« Dieu a donné son fils unique. C’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés. »

Voici les ingrédients principaux. Mais, soyons réalistes : tout ce dont je viens de vous parler sont des beaux discours qui ne servent à rien s’ils restent dans les livres, ou même sur nos lèvres. Ce serait comme vouloir goûter la beauté d’un poème de Victor Hugo transmis en morse… ça perd de son charme. C’est la même chose si l’amour reste dans les mots.

Alors, que faut-il faire ? qu’est-ce que le Seigneur a voulu pour que ces paroles nous rejoignent ? Elle doivent s’incarner. Dans le Christ d’abord, bien sûr. Mais soyons réalistes : qui a rencontré le Christ du temps de Sa vie terrestre ? Personne d’entre nous.

Il faut alors que nous prolongions cette incarnation. Inutile de dire avec nos lèvres et notre bouche « Dieu est amour » si nous ne le signifions pas avec toute notre personne - notre chair, dirait la Bible – c’est à dire le don de tout nous-même : nos gestes, nos regards, nos paroles aussi, et plus fondamentalement, cette disposition profonde du cœur.

Nous avons à proclamer ces paroles et surtout à faire entendre qu’elles sont vraies par toute notre vie. Voyez, c’est comme ça que je vous propose de lire aujourd’hui ce commandement de l’amour mutuel qui nous est donné :

« Aimez-vous les uns les autres… »

Ce n’est pas une sorte de « love and peace » béat ; si on doit s’aime les uns les autres, ce n’est pas parce ça nous rendra la vie plus agréable, un énième ingrédient du développement personnel… Non, cet amour mutuel est révélation de l’amour de Dieu.

Ce commandement de l’amour mutuel est vertical. Nul ne saura que l’amour est vrai si nous ne nous aimons pas les uns les autres. Quand bien même on aurait lu les évangiles, la théologie, on ne saurait pas qui est Dieu si on n’a pas fait la rencontre de quelqu’un qui aime vraiment malgré tous ses défauts et tous ses péchés.

Pour faire comprendre ceci, permettez-moi de prendre l’expérience inverse, celle de celui qui n’a jamais rencontré l’amour de Dieu incarné par les hommes, par l’amour mutuel : qu’advient-il de lui ?

Souvenez-vous de l’histoire de Nicky Cruz, porté à l’écran à plusieurs reprises, et encore récemment : d’origine portoricaine, ce fils d’une sorcière et d’un père prêtre sataniste est né dans les années 1960… Non seulement sa mère ne lui disait jamais son affection, mais elle lui affirmait régulièrement : « Je ne t’aime pas Nick ! ». Et son père l’enfermait dans la volière avec les oiseaux pour s’amuser.
Ce jeune arrive avec ce triste passé arrive alors à New York et il devient chef d’un gang terrible, puis ce sont les batailles, les couteaux et les meurtres…
Or un jour, en Pennsylvanie, à des centaines de kilomètres de là, un pasteur voit un jour un article du Life qui fait état du procès de certains assassins de ces gangs coupables d’avoir tabassé et mis à mort un jeune handicapé. Il regarde le dessin des accusés dans le box, et tous sont des adolescents qui ont entre 15 et 18 ans… Pris d’une émotion profonde, il décide d’aller à New York pour les rencontrer. Avec audace, il répond à ceux qui veulent l’en dissuader qu’il sera accompagné par Dieu.
Voilà que le c va rencontrer ces jeunes, et l’un d’entre eux qui se trouve être Nick, sevré de tout amour… Il lui dit simplement : « Nick Jésus t’aime » Nick est incapable d’entre cette parole. Elle est radicalement incompréhensible pour lui, c’est une farce de plus…

« Non, il m’était impossible d’aimer quiconque avant de me sentir aimé moi-même et en sécurité. »

Alors, incapable de comprendre le pasteur, il le rejette le pasteur : « Allez au diable ! »

Mais peu à peu Nick va expérimenter cet amour certes, mais un amour bien particulier., loin d’être animé d’un élan affectif qui se serait rapidement épuisés, simplement pour se sentir en paix avec sa conscience.

Il est magnifique de voir dans l’Évangile comment Jésus qualifie l’amour : Il nous dit que l’amour c’est d’accomplir les commandements, comme Lui-même a accompli les commandement du Père. Que c’est libérant… C’est bien différent de cette subjectivité de l’amour que l’on ramène à soi…

Les commandements nous délivrent justement de cette subjectivité débordante. Les paroles de Jésus nous délivrent de cette illusion. Aujourd’hui, c’est tellement important de ne pas en rester à nos sentiments, à notre « petit moi » qui veut se sentir bien. Voici la première expérimentation.

Ainsi, Nick va peu à peu comprendre que derrière la parole que dit le pasteur, il y a quelque chose de beaucoup plus grand que lui qui vient d’ailleurs, qui vient d’un commandement et qui n’est pas là pour essayer d’assouvir son désir de bons sentiments et de faire le bien à bas prix. C’est capital.

Puis, un autre aspect que ce jeune va expérimenter, c’est que cet amour va mettre en jeu la propre vie de celui qui prétend le détenir.

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »

Cette parole doit être le fondement de notre charité. Ainsi, ce pasteur est capable de risquer sa vie, de se déposséder de sa vie pour faire comprendre à Nick qu’il est aimé. Le pasteur va incarner cet amour jusqu’au bout…
Lors d’une deuxième rencontre, c’est la même phrase : « Nick, Jésus t’aime ! ». Et là, c’est le déchaînement de violence : il est insulté, moqué, et souillé de crachat, mais son amour résiste. Il est même menacé de mort. Et il dit simplement avec sérénité :

« Nick, tu peux me tuer, me couper en morceaux mais tu n’empêcheras pas que chacun de ces morceaux te disent que « Dieu t’aime » ; un amour qui se renonce jusqu’à la mort »

Et cette sérénité est proche de désarmer Nick.

La dernière caractéristique est que cet amour que nous évoque Jésus et que ce pasteur a aussi essayé d’incarner, c’est qu’il est « plus fort que la mort ».

Lors d’une troisième rencontre, encore pris à parti par les jeunes de cette bande, le pasteur dira simplement cette parole :

« Dieu est amour et tu ne peux pas tuer l’amour. »

Il est capital que quelqu’un qui ne connaît pas l’amour de Dieu puisse en faire ainsi l’expérience : un amour qui soit le fondement de tout et dont on perçoive qu’il est éternel. Un amour dur comme le diamant, plus fort que la mort et qui dépasse la fragilité humaine. Si notre amour ne va pas jusque là, c’est une contrefaçon…

J’aimerais évoquer un éducateur, Ross Campbell qui évoque la crise de l’adolescence comme étant sous le visage du défi de l’amour inconditionnel. Il a eu affaire à des jeunes parfois très pénibles qui testent sans cesse leurs parents, leurs professeurs et leurs éducateurs. Testent-ils vraiment la patience de ceux qui s’occupent d’eux ? N’est-ce pas plutôt la structure du monde, s’interrogeant si derrière tout cela, c’est l’amour illimité qui leur fait face ou si leur comportement exécrable va en venir à bout ? C’est une vraie question…

Et si l’on tient, si l’on résiste, il comprennent que la structure du monde est portée par l’amour, qu’il y a Dieu derrière tout cela, un Dieu d’amour. Ainsi, je peux avancer et construire ma vie, trouver une certaine paix malgré les défauts que j’ai et qui resteront. Mais agir dans ce monde aura un sens.

Voici alors l’essentiel de cet amour, et Jésus nous le montre : notre amour porte du fruit, les cœurs sont touchés. Nick va finir par se convertir et il va parler à des millions de personnes et témoigner de cet amour de Dieu qui l’a transformé, qui l’a touché, renouvelé et tiré de l’enfer.
Voilà en quoi nous aussi nous sommes appelés à porter du fruit.

Ainsi, cet amour est la clef de tout, la clef du monde, la clef des cœurs. Mais il faut le vivre et c’est exigent.
Alors, demandons à la Vierge-Marie de nous aider à être ce visage de Dieu, ce cœur de Dieu, de nous dépend aussi que le Royaume s’étende,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 10,25-26.34-35.44-48.
  • Psaume 98(97),1.2-3ab.3cd-4.
  • Première lettre de saint Jean 4,7-10.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 15,9-17 :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
« Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour.
Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour.
Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite.
Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.
Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande.
Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître.
Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera.
Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres. »