Homélie du sixième dimanche de Pâques

10 mai 2021

« Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples. »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,

Avons-nous pris conscience que si nous sommes aujourd’hui dans cette chapelle, c’est grâce à des amitiés qui, au long de notre vie - que ce soit enfant, adolescent, étudiant, jeune professionnel ou plus tard – qui nous ont guidés vers le Seigneur, qui nous ont montré le chemin vers Lui.
Pour vous donner mon témoignage, ce sont des amitiés qui font qu’aujourd’hui je suis consacré dans la communauté des frères et m’ont permis de me mettre en chemin.

C’est intéressant de réfléchir sur ces liens amicaux. Je méditais souvent sur ce sujet lorsque j’étais aumônier de prison en Argentine : c’était bien souvent par des rencontres malheureuse que ces jeunes gens se retrouvaient conduits vers l’irréparable ou des situations difficiles, mis en sûreté derrière les barreaux, et ils avaient souvent votre âge, chers jeunes professionnels.
Entre bandits, on ne peut pas parler d’amitiés car, vous le savez, dans l’amitié on recherche le bien et c’est une première condition de l’amitié que la bienveillance…

L’amitié, c’est vouloir le bien de l’autre.

Alors, c’est intéressant de voir que Jésus nous appelle Ses amis.
Je n’ai pas fait le tour de toutes les religions dans le monde, mais il me semble que la Foi chrétienne est la seule religion qui propose une amitié avec Dieu. Dans beaucoup d’autres religions, vous avez une dimension de transcendance. Dans l’Islam, avec les différents noms que l’on donne à Dieu, il n’y a pas le nom « ami ». C’est le même constat dans la Torah, on ne parle pas de Dieu comme un ami. Il est certes questions d’amitié, mais pas au sujet de Dieu : c’est tout à fait nouveau.

Et cette amitié a des caractéristiques que j’aimerais bien emprunter à la philosophie. Vous savez que les philosophes grecs, et singulièrement Aristote – païen, 4e siècle avant Jésus-Christ - dit quelque chose de l’amitié que l’on peut transposer à l’amitié avec Dieu, nous le verrons plus tard.
Il a dit qu’il y avait trois points nécessaires pour que l’amitié soit réelle :

  • la réciprocité,
  • l’égalité,
  • la visibilité.

Qu’est-ce que l’amitié humaine ?

La réciprocité

Une amitié, ce n’est pas une relation d’aide. On le voit parfois dans certains couples qui pensent vivre une amitié : ce n’est pas parce que l’on se marie que l’on cesse d’être amis.
C’est d’abord un amitié qui a fait que vous vous êtes mis en chemin, et à un moment donné, vous vous êtes rendu compte qu’il y avait quelque chose de plus entre vous. Entre l’amitié et l’amour, il y a une différence de degré, mais c’est la même nature car c’est une amitié qui va jusqu’au partage de toute la vie, jusqu’au rayonnement de la fécondité.

Rien de pire qu’une personne qui vous harcèle en voulant être votre ami. Il n’y a rien de plus pénible : on ne peut pas être ami forcé…
Et je trouve que cet appel de Jésus intéressant : Lui qui a fait le premier pas, avec Dieu ça a une saveur toute autre qu’entre personnes humaines, Il attend une réciprocité.

« Je vous appelle mes amis… »

C’est à dire que je vous demande aussi cette réciprocité, par l’amour que vous aurez les uns pour les autres, des actes d’amour désintéressé que vous poserez. Ce sont les seuls actes que nous emporterons dans l’au-delà, les autres resteront ici-bas.

Il est donc intéressant de nous poser la question pour savoir où nous en sommes de cette réciprocité avec le Seigneur.

L’égalité

Aristote parle de l’égalité car pour lui, il n’y avait pas d’amitié possible entre le maître et l’esclave, ni entre le maître et le disciple, pas plus qu’entre un père et un fils et ainsi, pas non plus avec Dieu, ou la divine d’alors…
Et pourtant, Jésus nous appelle Ses amis.

Qu’est-ce qui fait qu’il y a une certaine égalité ? qu’est-ce que nous avons en commun ? comme le Christianisme est la seule religion peut appeler Dieu ami, qu’est-ce qui fait que cela est rendu possible, si ce n’est la nature humaine ?

En Christ, nous partageons la même nature humaine, et c’est cette incarnation, cette proximité rend possible une amitié avec Dieu.

La visibilité

Aristote dit également que pour être ami, il faut que cela se sache : on aime bien être avec cette personne, être ensemble. La présence de l’autre nous réjouit et son absence nous attriste, et non pas l’inverse, qui serait un signe que l’on est plus amis.

Cela nous invite à montrer notre amitié avec le Seigneur, la rendre visible. C’est ce que nous faisons avec le culte, lorsque nous nous rendons à la messe et autre rassemblements en lien avec la Foi.

Et nous voyons combien ce sujet est difficile en ce moment, car justement, dans notre religion, le fait de se rassembler n’est pas juste optionnel. C’est le cœur même de notre religion qui permet de rendre visible notre amitié avec Dieu. Et c’est pourquoi nous sommes secoués par ce que nous vivons actuellement.

Mais, il y a quelque chose que ne dit pas Aristote, car le Christ nous apporte une lumière qui lui est supérieure, celle de Dieu. Le Christ rajouter une condition supérieure qu’Il formule ainsi : …

« Tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître. »

Le plus de l’amitié divine :

Être ami en Christ, c’est partager le même mystère. Être ami en Christ, c’est partager ce qui fait notre union avec le Seigneur, ce qui fait notre communion avec Lui, ce que nous avons découvert de Sa présence et de Son amour.
Oui, être ami, c’est quelque chose qui va plus loin que la simple philosophie, si éclairante qu’elle soit, car la Parole de Dieu donne une lumière supérieure.

Ainsi, proposer une amitié en Christ, c’est proposer une expérience, car le vie chrétienne c’est d’abord une expérience. Et il est intéressant de voir que cette expérience, le Christ l’a proposée aux apôtres. Et en réfléchissant sur ce passage, j’ai réalisé qu’il y a deux apôtres que le Seigneur a appelés « amis » de manière particulière et personnelle. Et ce sont deux traîtres :
C’est Juda, comme on le voit en Saint Matthieu, au moment où il livre Jésus aux soldats et aux gardes, à qui Il dit. :

« Mon ami, ce que tu dois faire, fais-le maintenant ! »

Il y a aussi Pierre, après la Résurrection, au moment où Jésus l’interroge par trois fois :

« Pierre m’aimes-tu ?
Pierre m’aimes-tu ?
Pierre, m’aimes-tu ?… »

En Français, on ne voit pas la différence, mais en prenant le texte Grec, il s’agit d’Agapè au début, un amour à la manière de Dieu, mais à la fin, Il lui demande s’il l’aime d’un amour d’amitié

D’une certaine manière, l’amitié vient guérir nos blessures. L’amitié avec le Seigneur vient nous réconcilier avec Lui. Et c’est important pour nous de savoir qu’une grande partie de la fécondité de nos vies passe par là.

Il nous faut donc remettre la Miséricorde au cœur même de l’amitié car, on le sait bien, c’est notre nature humaine qui nous le dit, la communication les uns avec les autres est très compliqué depuis le péché originel.

On organise des stages pour apprendre à communiquer car justement, il y a quelque chose qui est devenu incommunicable, puisque ce partage du même mystère est en devenir, il sera plénier dans le face à face.

Mais, le Seigneur parle de l’amitié ici bas. Un de ses fruits, c’est la fécondité :

« Je veux que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure. »

Cette parole est juste après celui que j’ai cité précédemment, car il y a un lien entre la qualité de relation amicale et la fécondité de nos vies. Une vie féconde est une vie qui se propose dans une relation gratuite, une relation d’amour d’amitié. C’est cela qui va porter du fruit.

Ainsi, nous qui ne sommes plus appelés « serviteurs » - et on le sait bien, du temps de Jésus, les serviteurs étaient des esclaves, nous qui sommes appelés « amis », demandons au Seigneur de nous aider à revisiter tous nos liens avec nos amis proches, et à nous interroger sur le fruit que portent ces liens-là. En quoi ces liens vont porter du fruit en abondance, vont être témoins, vont rendre visible quelque chose du mystère de Dieu que nous partageons.

Il est possible que le Seigneur nous invite à faire la vérité dans nos amitiés :

« Amour et vérité se rencontrent… »

En effet, il y a des moments où il est nécessaire de faire la vérité et cela permet de porter du fruit, un fruit qui demeure…

Demandons au Seigneur de revivre le mystère de la Pâque. La Pâque du Christ vient colorer nos relations amicales de façon différente. Elle est les met dans la vérité, dans la miséricorde, elle les mets dans une dimension qui n’est pas simplement cette dimension humaine et psychologique.

C’est cette grâce que nous demandons au Seigneur en cette Eucharistie, Lui qui, au cours de ce repas, nous a appelés Ses amis.
En cette Eucharistie aussi, Il redit à chacun d’entre nous :

« Vous n’êtes plus serviteurs. Moi, je vous appelle mes amis. »

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 10,25-26.34-35.44-48.
  • Psaume 98(97),1.2-3ab.3cd-4.
  • Première lettre de saint Jean 4,7-10.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 15,9-17 :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
« Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour.
Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour.
Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite.
Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.
Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.
Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande.
Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître.
Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera.
Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres. »