Homélie du quatrième dimanche de Pâques

26 avril 2021

« Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »

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Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs,

Laissez-moi vous raconter une petite histoire de mes années argentines. J’ai passé presque huit ans là bas, comme un certain nombre d’entre nous. Certains connaissent peut-être frère Mariano ; il a lui-même un frère qui fait de l’élevage de taurillons. Un jour que nous étions en sortie dans la région, nous visitons sa ferme et il nous propose d’aller rentrer les taureaux. Il nous prête deux chevaux, et nous voici tout guillerets avec cette mission que nous prenions comme un jeu d’enfant. Tout en faisant bonne figure, nous parvenons à rassembler petit à petit tout le troupeau, et nous l’acheminons vers l’enclos. Jusque là, tout se passait parfaitement bien et nous étions admiratifs de l’extraordinaire docilité des bêtes. Puis, au moment de rentrer, la première s’échappe, elle veut tout sauf passer la porte, et voilà que tout le troupeau suit… Nous ne sommes pas prêts à capituler et nous recommençons deux ou trois fois, rassemblant notre courage, mais nous sommes contrains d’abandonner après plusieurs essais infructueux, demandant l’aide du propriétaire des lieux.
Le voici donc qui monte sur son cheval et qui rassemble les bêtes et les achemine vers le corral, vers l’enclos, et ô miracle, la première bête rentre, et toutes les autres à sa suite. Qu’avait-il donc fait de plus que nous ? Il était meilleur cavalier, certes, mais cela ne changeait pas grand chose… La différence est qu’il avait su crier et parler comme il le fallait. Il s’agissait de quelques cris qui connectent avec le troupeau et ont pour effet l’obéissance des animaux.

Quand Jésus parle du troupeau, Il dit du Bon Pasteur que les brebis écoutent sa voix. Jésus ne fait pas de lia littérature pieuse, Il est enraciné dans un terroir, dans une réalité agricole et pastorale, celle du berger qui doit mener son troupeau. C’est très réaliste contrairement à l’image un peu idéalisée d’un bon berger qui lèverait les yeux au ciel pendant que ses brebis s’en irait… ce n’est pas du tout cela. Et il nous faut prendre en compte le rôle de cette voix.

Qu’est-ce qu’un bon pasteur selon le Christ ?

Dans cette parabole, Jésus nous donne trois paroles importantes que je vous propose de développer :

« Mes brebis écoutent ma voix »

Que signifie faire écouter sa voix ? Cela veut dire que le berger n’use pas de la force pour faire rentrer se brebis, mais en rejoignant un principe intérieur du cœur des bêtes et ce qui va faire demeurer dans l’enclos les brebis qui n’y sont pas encore, c’est qu’elle écouteront sa voie. Ce n’est pas parce que les autres y seront et faute de ne pas pouvoir en sortir, car les autres auront fait comme un rempart de leur corps, leur barrant la route, à la manière du conformisme… Jésus veut tout sauf ça, Il veut adresser une parole à chacun d’entre nous une parole qui nous maintienne à l’intérieur du troupeau, de l’Eglise, de la voie droite, une parole qui s’adresse à notre cœur et à notre liberté.
C’est certain qu’une telle parole ne se fait pas entendre comme la voix du gaucho qui crie. C’est une parole très intime, très profonde, qui nécessite une vraie vie intérieure.

Je suis toujours étonné par ce chiffre : dans les années 60, il y avait 60% de pratique, tandis que dans les années 75, elle était redescendue à 15% environs… quel niveau de vie intérieure pouvait maintenir à l’intérieur du troupeau ? C’est l’enjeu qui s’impose à nous aujourd’hui : sans intériorité, pas de liberté, que des contraintes. Sans intériorité, pas de fidélité…
C’est dans le secret de cette vie intérieure que la voix du Bon Berger se fait entendre.

« Mes brebis m’appartiennent »

Mes brebis me connaissent et je connais mes brebis. Elles sont à moi !

Voyez, ce qui distingue le mercenaire du bon berger, c’est qu’il est le propriétaire du troupeau. C’est important, cela nous éloigne de la rêverie, il y a une réalité économique derrière : si le berger perd une brebis, il perd son gange-pain, il perd sa vie !
Autrement dit, le berger s’identifie à son troupeau par nécessité. Bien entendu, Jésus ne le fait pas par nécessité, mais c’est ce qu’il faut retenir.

Cela signifie aussi que Jésus nous a vus lacérés par le loup démoniaque qui voulait nous détruire jusqu’à nous anéantir totalement. Il nous a vus lacérés par le péché, et n’y tenant plus, Il a voulu prendre notre place parce que nous sommes à Lui.
Pour le mercenaire, c’est différent car le troupeau n’est pas à lui, il est moins intéressé par son sort. Si le loup vient et s’empare de quelques brebis, il aura bien le temps de s’enfuir et de chercher un autre maître, ne faisant pas trop état de son curriculum, et il sera facilement embauché…

Le vrai berger a ce lien d’appartenance avec nous, nous lui appartenons.

« Je donne ma vie pour mes brebis »

Ceci est lié à cette question : « quand est-ce qu’une personne nous devient chère ? » C’est quand nous nous donnons pour elle. Sans doutes les parents en font davantage l’expérience : je pense à ceux qui ont dû veiller au chevet d’un enfant malade, se relayer, aller à l’hôpital et passer des nuits blanches et enfin, grâce à Dieu, lorsque le petit enfant sort de cette maladie, combien il sera cher à ses parents… !

C’est ce qu’il s’est passé pour le Seigneur : Il a donné Sa vie pour nous, et nous lui sommes devenus d’autant plus chers !

Chers frères et sœurs, j’aimerais qu’à partir de ces trois points nous puissions voir en quel sens cela définit le Bon Pasteur, le consacré, le prêtre tel que Dieu le veut. Ce que l’on peut dire assurément c’est que le Bon Pasteur est là pour faire entendre la voix de Dieu. C’est tellement important : il serait tellement préjudiciable de faire entendre sa propre voix, de séduire, de faire pression… Il est des manières d’être pasteur qui ne sont pas honnêtes car on ne s’adresse pas au cœur, mais aux passions, aux peurs, à la séduction, et c’est mauvais.
Le Bon Pasteur est celui qui se fait comme l’écho ce cette voix qu’il a lui-même entendue.

Qu’est-ce que cela implique dans la vie d’un pasteur ?

Entendre en moi la voix du Christ pour m’en faire le relais. C’est extraordinaire de constater que Dieu nous fait peu à peu cette grâce que dans nos pauvres paroles de prêtre et de consacré puissent s’entendre l’écho de la voix même du Christ.
Je suis persuadé qu’il en est ainsi : ce n’est pas parce que l’on est meilleur que les autres, c’est parce que c’est notre vocation.

C’est non seulement la voix même du Christ, comme le dit le curé d’Ars :

« Le prêtre, c’est le cœur de Dieu sur la Terre, mais les paroles même du Père. »

Puisque Jésus ne dit aucune autre parole que celles qu’Il a entendues auprès du Père.
Autrement dit, nous adressons des paroles qui viennent du fin fond de l’Eternité et qui reconnectent les brebis à leur origine et qui les apaise.
Voilà notre rôle : il est magnifique !

« Mes brebis sont à moi ! »

Il faut que le prêtre, le consacré puisse dire : « les brebis sont à moi », non pas par possession, mais parce qu’il doit adopter son peuple.

Pour illustrer cela, je vous propose un peu de littérature avec le journal d’un curé de campagne où l’on voit ce pauvre prêtre qui est envoyé dans une paroisse bien déshéritée dans le Pas de Calais, et il la compare à une sorte de bovin avachi. Et pourtant, il l’adopte, il l’aime, il va la transfigurer.

C’est la même histoire que celle du curé d’Ars : quand il est envoyé dans ce petit village, ce n’est pas bien brillant, entre sorcellerie et immoralité, et tout ce que l’on peut imaginer. Mais Ars est son village, il l’adopte, il est à lui. Ars et lui c’est tout un ! Et c’est ainsi que quelque chose va se passer.

Pour ce qui est de notre cher Père Lamy, on retrouve le même chemin avec sa terre de mission à la Courneuve et à Saint Ouen. Mais il dira dans ces bidonvilles qu’il visite :

« Voilà mes chiffonniers ! Voilà mes chers biffins ! Que j’ai de plaisir à revoir ces paysages…Que de misère physique et morale, mais aussi que de cœur, quelque fois. »

Pour celles et ceux qui connaissent mieux la vie du Père Lamy, il disait : « Ce sont mes châteaux et mes princes !… »

Ce bidonville était devenu pour lui un palais parce qu’il était devenu sien et qu’il l’aimait.

Enfin, le Bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis comme le prête est appelé à le faire, comme le consacré est appelé à le faire.
Vous vous souvenez peut-être de la mission si difficile de Saint Paul parmi les Thessaloniciens et qui leur dit pourtant ces paroles :

« Vous m’êtes devenus très chers ! »

Pourquoi ? on le devine : c’est parce qu’il s’est donné pour eux jusqu’au bout, il les a pris comme une nourrice prend son petit enfant sur ses bras pour le nourrir et le consoler, d’où son expression.

Et à ce moment-là se produit cette transfiguration de ce peuple qui nous est confié, car il nous a coûté notre sueur, nos larmes et notre sang. C’est cela être prêtre. Voilà l’explication pour ceux qui se posent la question de la vocation : c’est pouvoir accomplir cette transfiguration du peuple qui nous est confié pour ensuite le confier à Dieu. Il n’y a pas de plus beau chemin.

Etre prêtre, c’est voir chacun comme Dieu le voit, voir chacun comme Dieu le rêve, et l’aider peu à peu à devenir cet homme nouveau, cette créature nouvelle, à accomplir cette nouvelle naissance.

Alors, chers jeunes qui vous posez peut-être cette question, cela en vaut vraiment la peine. La vocation est source de grande joie et de consolation pour le cœur de Dieu, pour notre propre cœur, et toutes celles et ceux vers lesquels nous sommes envoyés,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 4,8-12.
  • Psaume 118(117),1.8-9.21-23.26.28cd.29.
  • Première lettre de saint Jean 3,1-2.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 10,11-18 :

En ce temps-là, Jésus déclara : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis. Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas à lui : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse. Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui.
Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis.
J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur.
Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau.
Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »