Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs, comment – pour un croyant – ne pas être sidéré devant les manifestations de liesse qui se sont manifestées à l’occasion de l’inscription dans la constitution de la loi garantissant la liberté d’avorter.
Dans l’une de ses prédications, le curé d’Ars disait :
« Mes enfants, si vous voyiez un homme dresser un grand bûcher, entasser des fagots les uns sur les autres, et que lui demandant ce qu’il fait il vous répondît : ‘Je prépare le feu qui doit me brûler,’ que penseriez-vous ? Et si vous voyiez ce même homme approcher la flamme du bûcher, et, quand il est allumé, se précipiter dedans… que diriez-vous ?… »
Je vous dois vous avouer que c’est cela qui m’habitait ces derniers jours. Comment avons-nous pu en arriver là et sabrer le champagne pour fêter un tel évènement. Quelle inversion des valeurs s’est opérée en cinquante ans !
Cela rejoint la constatation désolante qui ouvre la première lecture :
« Tous les chefs des prêtres et le peuple multipliaient les infidélités, en imitant toutes les pratiques sacrilèges des nations païennes, et ils profanaient le temple de Jérusalem consacré par le Seigneur. Le Dieu de leurs pères, sans attendre et sans se lasser, leur envoyait des messagers, car il avait pitié de sa Demeure et de son peuple. Mais eux tournaient en dérision les envoyés de Dieu, méprisaient ses paroles, et se moquaient de ses prophètes. »
Quel contraste saisissant entre la bonté de Dieu et le péché des hommes !
Avec vous ce matin, je ne désire pas tant me désoler de la situation actuelle du monde que recueillir de la Parole de Dieu la lumière pour avancer dans notre chemin de foi. Je commencerais par essayer de repérer comment le mal et le péché peuvent gagner en nous au point d’anesthésier notre conscience. Ensuite, j’aimerais voir comment Dieu s’y prend pour nous sortir de cet engourdissement. Et enfin, comment nous pouvons faire pour rejeter le péché et accueillir l’amour de Dieu. Car c’est la démarche que nous ferons lorsque nous renouvellerons les promesses de notre baptême pendant la veillée pascale.
Comment notre conscience finit-elle par être anesthésiée ?
Voyons d’abord comment le péché peut hélas nous gagner jusqu’à nous rendre complètement insensibles. Job décrit bien l’homme qui s’installe dans le péché :
« Il commet le péché comme on boit de l’eau. » (Job 15, 16)
L’indifférence devant le mal a complètement gagné son cœur. Cela ne se fait pas en un jour.
Vous connaissez le conte de la grenouille dans la casserole qui est mise sur le feu. Si elle ne réagit pas quand la température de l’eau commence à monter, elle ne tardera pas à être bouillie. Cela se fait peu à peu.
De même en est-il du péché que l’on appelle « véniel » : si l’on s’accommode du péché dans notre vie, on descend les marches une par une et on finit par se retrouver dans la cave !
Ou, pour prendre une autre image, on a tourné l’angle de la caméra de manière insensible de telle sorte qu’une partie essentielle de la réalité nous échappe. En regardant légitimement la détresse de certaines femmes, nous avons détourné l’objectif du principal intéressé : l’enfant à naître qui finit par être totalement oublié.
De fait, le péché a tendance à nous enfermer de plus en plus en nous mêmes si bien que nous fermons les volets car la lumière extérieure nous dérange. Elle nous empêche de nous endormir tranquillement.
Saint Jean nous dit aussi que l’on peut se détourner de la lumière parce que nous y trouvons notre intérêt : nous n’aimons pas être remis en question. Nous ne supportons pas que Dieu nous reproche nos comportements :
« Quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. En effet, tout homme qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses oeuvres ne lui soient reprochées. »
L’homme pense se protéger en niant son péché, en le justifiant. Mais c’est une protection bien inefficace ! C’est vraiment faire l’autruche. Devant ce déferlement du mal, la grande tentation est la désespérance.
La manifestation de l’amour de Dieu
Dieu ne prend pas son parti de cette situation. La miséricorde divine dont nous parle la deuxième lecture est ce qui nous permet d’espérer. Jean-Paul II en a été un apôtre infatigable.
« La limite imposée au mal, dont l’homme est l’auteur et la victime, est en définitive la Divine Miséricorde. » (Jean-Paul II, Mémoire et identité, p.71)
« Croire dans le Fils crucifié signifie … croire que l’amour est présent dans le monde, et que cet amour est plus puissant que les maux de toutes sortes dans lesquels l’homme, l’humanité et le monde sont plongés. Croire en un tel amour signifie croire dans la miséricorde. Celle-ci en effet est la dimension indispensable de l’amour ; elle est comme son deuxième nom, et elle est en même temps la manière propre dont il se révèle et se réalise pour s’opposer au mal qui est dans le monde, qui tente et assiège l’homme, s’insinue jusque dans son cœur et peut ‘le faire périr dans la géhenne’ (Mt 10,28). » (Jean Paul II, Encyclique « Dieu, riche en miséricorde » n° 7)
Jésus n’est pas venu pour nous juger. L’objectif très clair du bon Dieu, c’est de nous sauver. Ce n’est jamais de nous détruire.
« Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »
Dieu ne nous aime pas seulement quand tout va bien, quand nous sommes des enfants sages. Il est comme les parents qui n’aiment pas leurs enfants seulement quand ils sont tout petits et tout mignons mais aussi quand ils font les quatre-cents coups.
Comme aimait le répéter le curé d’Ars :
« Nous nous lasserons plus vite de lui demander pardon que Lui de nous pardonner. »
C’est plus fort que Lui. Il est fait comme cela. Sa toute-puissance est de l’ordre de la miséricorde pas de la force brutale :
La miséricorde n’est, en aucun cas, un laisser faire devant l’injustice ou la violence et encore moins une vague compassion sentimentale devant la souffrance ou la blessure d’autrui. A ce sujet, Benoît XVI disait :
« Ce n’est pas vivre comme si le bien et le mal était égaux sous prétexte que Dieu ne peut être que miséricordieux. Ce serait là une tromperie » (Audience du 12 novembre 2008)
L’amour de Dieu écrit en grosses lettres sur la Croix !
La miséricorde Divine est la force de la vérité et de l’amour qui s’oppose au mal et cherche à le vaincre par le bien (cf. Rm 12, 17.21).
Le lieu par excellence où nous voyons l’amour de Dieu écrit en grosses lettres, c’est la Croix de Jésus, pour reprendre l’image donnée par le curé d’Ars. C’est le lieu où éclate cette miséricorde. Selon les mots de Saint Jean-Paul II :
« La Croix est comme un toucher de l’amour éternel sur les blessures les plus douloureuses de l’existence terrestre de l’homme. » (Dieu riche en miséricorde, 8)
« Dans le Christ et par le Christ, Dieu devient visible dans sa miséricorde. » (Dieu, riche en miséricorde n° 2)
La foi en la miséricorde de Dieu nous aide à espérer :
« La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. » (Rm 5, 8)
La parole de Dieu, « tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu », vient nourrir notre espérance pour nous et pour le monde.
Comment faire pour rejeter le péché et accueillir l’amour de Dieu ?
Avoir le courage de s’arrêter
Saint Anselme nous dit qu’il faut du courage pour s’arrêter :
« Allons, courage ! Fuis un peu tes occupations, dérobe-toi un moment au tumulte de tes pensées ! »
Il n’est pas si spontané de sortir de la roue du hamster. Paradoxalement, on peut y trouver un certain confort. En effet, tant qu’on est en mouvement, il est plus difficile d’entendre la voix de notre conscience, ou, plus exactement, nous passons vite à autre chose. Jérémie nous donne le même conseil :
« Arrêtez-vous sur la route que vous avez prise et réfléchissez. Renseignez-vous sur les chemins d’autrefois. Cherchez le bon chemin et suivez-le. » (Jr 6, 16)
Ouvrir les volets
Le péché nous enferme en nous-mêmes. Comme Adam et Eve, nous avons tendance à nous cacher, à quitter la lumière.
Dieu nous invite à nous ouvrir à une lumière extérieure. Nous savons bien que le mal prolifère dans la pénombre. Les abus ont pu proliférer dans une situation où on cache les choses. Le remède le plus efficace, c’est d’être ouvert à une lumière extérieure, notamment à la Parole de Dieu.
Mais il faut avouer que nous n’aimons pas cela. Comme le dit l’évangile, nous n’aimons pas trop les reproches, la correction fraternelle. Et pourtant, c’est une voie de salut.
Regarder la Croix
Si on ouvre les volets, ce n’est pas seulement pour laisser entrer la lumière, c’est aussi pour voir la Croix.
L’épisode du serpent d’airain auquel se réfère l’évangile l’exprime de façon imagée. Cet épisode a lieu dans le désert du Sinaï pendant l’Exode à la suite de Moïse :
« Le peuple vint trouver Moïse en disant ’Nous avons péché en critiquant le Seigneur et en te critiquant ; intercède auprès du Seigneur pour qu’il éloigne de nous les serpents !’
Moïse intercéda pour le peuple et le Seigneur lui dit : ’Fais faire un serpent brûlant et fixe-le à une hampe : quiconque aura été mordu et le regardera aura la vie sauve. ’
Moïse fit un serpent d’airain et le fixa à une hampe ; et lorsqu’un serpent mordait un homme, celui-ci regardait le serpent d’airain et il avait la vie sauve. » (Nb 21, 7-9)
De la même manière, nous sommes invités à lever les yeux vers le Christ en croix pour obtenir la guérison intérieure. C’est le même Jean qui dira, au moment de la crucifixion du Christ :
« Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé. » (Jn 19, 37)
Bien sûr, ce n’est pas magique. Il s’agit de regarder la croix avec foi. Si Dieu nous crée sans nous, il ne nous sauve pas sans notre consentement. D’où le mot qu’ajoute Saint Paul :
« C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, à cause de votre foi. »
Cela revient aussi de façon insistante dans l’Évangile où le mot « croire » revient cinq fois :
« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. »
Très concrètement, comment garder cette croix de Jésus sous nos yeux ? Cela se fait entre autres en priant le chemin de Croix, en méditant sur la passion de Jésus. Il est bon de mettre à l’honneur les croix dans nos maisons, sur nous. Le carême est l’occasion ou jamais de regarder la croix avec un regard renouvelé. Elle est le symbole suprême de l’amour. C’est pourquoi n’ayons pas peur de la porter avec fierté.
En conclusion, contemplons la Vierge Marie. Au pied de la Croix, elle ne pouvait qu’être saisie par ce contraste brutal entre le péché des hommes et l’amour infini de Dieu. Qu’elle mette en nos cœurs la certitude que nous sommes aimés par Dieu, qu’il n’est pas venu pour nous juger mais pour nous sauver, qu’il est venu pour nous donner la vie, et la vie en abondance !
Amen !
Références des lectures du jour :
- Deuxième livre des Chroniques 36,14-16.19-23.
- Psaume 137(136),1-2.3.4-5.6.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens 2,4-10.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 3,14-21 :
En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.
Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.
Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.
Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »