Texte de l’homélie :
C’est tout le résumé de sa théologie que Saint Paul vient de nous exposer dans ce début du 2e chapitre de la lettre aux Éphésiens. Et c’est tellement important que dans la deuxième partie du chapitre qu’il recommence de la même manière : « Autrefois, maintenant, ainsi… » C’est trois mots résument toute la pédagogie, tout l’effort, toute l’intelligence, toute la merveille de recréation qu’est ce temps de carême qui nous est proposé pour vivre du mystère pascal du Christ. Dans la deuxième lecture, Saint Paul nous dit :
« Autrefois, vous étiez morts ; vous méprisiez le message du Christ. »
Les verbes ici sont assez éloquents :
« Le Seigneur envoyait des messagers et eux les tournaient en dérision. Ils méprisaient ses paroles et ils se moquaient des prophètes. »
Cela résonne dans notre monde d’aujourd’hui où le message chrétien est mal accueilli, et soupçonné d’archaïsme et d’empêcher le monde de tourner rond.
Autrefois, nous étions morts car nous vivions selon la chair, selon nos propres forces, pour bâtir selon notre propre intelligence, nos propres sentiments, pour nous faire un espace, pour vivre sans respirer de ce souffle de l’Esprit qui est communion, relation, amour et charité que la Seigneur a mis dans notre cœur. Comme fils d’Adam et Eve, nous nous sommes détournés pour faire notre place au soleil dans ce monde, chacun à notre manière selon la loi du plus fort, de la domination, prenant la main par la violence ou la séduction, et se placer au milieu.
On voit bien où cela mène le Royaume de Juda, puis celui d’Israël quelques années plus tard : ils sont envoyés en exil, c’est la catastrophe. Comme disent les anciens : « tout passe, tout casse, tout lasse, rien ne tient ». Mais maintenant, Dieu qui est riche en miséricorde, à cause du très grand amour dont Il nous a aimés, Il nous a donné la vie avec le Christ.
« Dieu a tellement aimé le monde qu’Il a donné Son fils, Son unique. »
Voilà l’œuvre de notre baptême : Il nous a donné la vie du Christ, Il nous a donné Son corps et son sang, Il nous a donné Son Esprit Saint. Et c’est tellement fort qu’on nous dit le jour de notre baptême que c’est indélébile, c’est un caractère spirituel, c’est imprimé comme une marque.
Comment le Seigneur nous a-t-Il sauvés ?
Non pas par nos propres œuvres, par la chair, comme le dit Saint Jean, mais par la Foi. Et nous avons le signe dans ce dialogue avec Nicodème avec l’image du serpent d’Airain qui rappelle l’épisode du désert, au chapitre 21 du livre des nombres : au lieu d’être dans la louange, d’apprendre à naître de nouveau pour voir le royaume de Dieu, le peuple est dans la récrimination, murmurant qu’on les a fait venir dans ce désert pour mourir, qu’il ne veut plus manger la manne.
De même pour nous, dès qu’il y a des difficultés, un grain de sable qui vient changer nos programmes, c’est la colère et le désordre, jusqu’à l’émeute ! Le Seigneur nous invite à voir. Il les invite à regarder le serpent, ce qui leur faisait mal, et Jésus applique cette phrase à Lui-même, fils de l’Homme descendu du Ciel pour nous révéler le secret du cœur de Dieu. Il nous appelle à Le regarder sur la Croix. Il est le don du Père.
Avouons que nous pensons qu’avoir crucifié Jésus est une erreur, que cela aurait du se passer autrement. Mais Jésus le dit bien : Il faut, il fallait… Et Saint Jean emploie d’une manière très forte que Jésus fut élevé. Pour notre tradition chrétienne, la Croix n’est pas un accident, mais c’est notre unique espérance, car nous y voyons la cause de notre mal.
Comme le dit la théologie des pères grecs, sur la Croix, Il représente l’état de nos péchés : nous étions mors, mais en regardant vers Lui, en apprenant à voir le Royaume de Dieu, Pour Saint Jean, la Croix, la Résurrection et l’Ascension sont un seul et même événement, comme dans la liturgie au sujet de l’Eucharistie.
« Faisant mémoire de la mort et de la résurrection de Ton fils, de Sa glorieuse ascension dans le Ciel… »
Jésus a pris sur Lui ce mal, Il l’a vaincu, et il nous faut regarder, voir et percer ce mystère de Dieu Père qui se donne avec amour sur la Croix à travers Jésus, qui ne récrimine pas avec colère et dans la domination, mais qui a fait de Sa vie cette offrande. Il nous entraîne dans ce mouvement, en particulier en participant à l’Eucharistie, pour que nous voyions le Royaume des Cieux.
Ainsi, Il nous a sauvés, nous a ressuscités, et nous a fait asseoir dans les Cieux.
Le Carême ne consiste pas tant à faire des efforts, à prendre résolutions pour devenir bons, pour être meilleurs qu’à accueillir le don de Dieu. Accueillir aujourd’hui le don de Dieu et laisser Sa grâce agir en nous. Bien entendu, cela demande notre collaboration, mais ce n’est pas notre œuvre : c’est l’œuvre du Christ à laquelle nous sommes appelés à nous ouvrir, à accueillir.
Si nous ne faisons pas accueil à la miséricorde, nous qui étions morts et que le Christ a relevés, nous ne pourrons pas aimer notre prochain. Nous l’aimerons avec nos propres forces et notre propre jugement. Il en va de même pour le mariage : ce n’est pas avec notre propre amour que nous voulons bâtir notre vie ; c’est avec l’amour du Christ qui est autre, d’une dynamique bien plus forte.
Maintenant, il nous est fait miséricorde. Et ainsi, Il a voulu montrer l’incomparable richesse de Sa grâce au moyen de la Foi. Ici, on a tout le raisonnement de l’Évangile de Saint Jean que nous venons de lire : au moyen de la Foi, voir le Christ, adhérer et marcher à Sa suite. Car, c’est en Lui qu’Il nous a faits. Nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance afin que nous nous y engagions.
Et voilà quelle est cette œuvre de vie chrétienne : si nous vivons avec la réalité de la Résurrection de Jésus, si nous luttons comme il est décrit au premier dimanche de Carême, avec les tentations de Jésus, ce n’est pas en nous appuyant sur nos propres forces que nous pouvons résister et combattre. Les moines qui vont au désert – comme Saint Antoine - le savent bien : c’est parce que le Christ Lui-même a déjà vaincu le mal qu’en nous mettant en Lui, nous allons vaincre. Pour vivre une vie chrétienne, il nous faut changer de registre : celui qui est né de la chair est dans la chair, celui qui est né de l’Esprit vit dans l’Esprit.
Il nous faut retrouver cette source profonde de l’amour de Dieu qui demeure dans notre cœur et en vivre, la laisser jaillir, la contempler, la regarder. Regardez la Croix, regardez l’Amour, regardez notre sauveur, regardez la manière dont Il a aimé pour faire comme Lui, son œuvre, ses œuvres.
Lors du discours de la dernière cène, Jésus dit :
« Vous ferez les mêmes œuvres que moi, et même des œuvres encore plus grandes. »
Comment cela est-ce possible, si ce n’est en apprenant à aimer notre prochain, à voir en lui le Royaume de Dieu comme le fait Jésus.
Quand nous regardons les autres, nous voyons ce qui nous plaît, et nous voyons aussi ce qui ne nous plaît pas, qui sent le mal et la mort.
Et Jésus ne vient pas classifier le monde entre les bons et les mauvais comme le font les Pharisiens. Et Il insiste lorsqu’Il nous dit :
« Si vous aimez ce qui vous aiment, que gagnez-vous ? »
Mais au contraire, Il vient voir dans le cœur de ce frère qui est blessé, de ce pauvre qui est en manque, et Il voit la grâce que Dieu y a mise et discerne le fils bien-aimé. En chaque pauvre, en chaque personne qui nous agace, nous sommes autant appelés à voir le Christ crucifié que le Christ qui Se donne, l’Amour du Père qui nous invite à répondre, à donner comme Jésus qui rencontre les pauvres, les possédés : Il les regarde, les touche, les interroge.
« Quel est ton désir profond. Ce désir de libération par la Foi, crois-tu que je peux le faire ? » « Oui, je le crois » « Alors, ta foi t’a sauvé, par cette adhésion, par cet engagement à aimer comme le Christ aime, nous voyons, nous réalisons, nous participons au Royaume de Dieu. »
Demandons de marcher au cours de ce Carême dans cette intelligence du mystère : « Autrefois… mais, maintenant, c’est l’heure de la miséricorde… »
Alors, courrons à la miséricorde, laissons battre notre cœur au rythme du cœur de Dieu, du cœur de miséricorde pour que nous portions du fruit. Car c’est bien là le but du Carême : que cette grâce que nous avons reçue, qu’elle soit réveillée. Pour les catéchumènes, le Carême est la préparation au baptême. Pour tout le reste des fidèles, la nuit de Pâques est le renouvellement des promesses du baptême, de notre engagement à la suite de Jésus.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Deuxième livre des Chroniques 36,14-16.19-23.
- Psaume 137(136),1-2.3.4-5.6.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens 2,4-10.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 3,14-21. :
En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème :
— « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.
Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.
Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.
Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises.
Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »