Homélie du premier dimanche de l’Avent - Année B

1er décembre 2020

« Veillez, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison. »

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Texte de l’homélie :

C’est une vraie et belle saga que nous avons suivi cela avec intérêt cette semaine au sujet de la jauge des 30 : oui ? non ?… Déception de se voir peu pris en compte, mais joie de voir que l’Église a réagi, qu’elle vit, qu’elle remue, qu’elle bouge encore.
Mais à travers cela, L’Église rend visible L’Esprit, cet Esprit l’anime. Un Esprit qui fait vivre et la fait bouger. Mais aussi un Esprit de liberté.

Qu’est-ce que la liberté ?

On peut alors s’interroger sur ce qu’est la liberté : les critères des hommes ne sont pas ceux de Dieu, et le grand fondement de la liberté chrétienne, c’est qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Mais si nous devons nous réjouir de cette unanimité parmi les évêques, il ne faudrait pas que cet Esprit soit dénaturé, c’est toujours le risque. La lecture des textes de ce jour peut nous aider à comprendre comment rester fidèle à cet esprit qui anime l’Église.

Nous avons entendu la très belle première lecture avec le prophète Isaïe, Comme vous le savez, on peut partager ce livre en trois parties qui ont été rédigées à des époques différentes. Et dans la dernière partie, le peuple peut méditer sur ce qui a généré l’exil, pourquoi il a été déporté, ce qui l’a poussé à l’infidélité à l’alliance. Et il y a là une expression magnifique qui – dans un genre littéraire que l’on peut qualifier de grande prière – exprime pénitence et repentance. C’est une prise de conscience du péché du peuple entier :

« Nous sommes devenus comme des feuilles et nos péchés, comme le vent, nous emportaient loin de toi »

Redécouvrons le sens du « nous »

Ce qu’il y a de remarquable dans cette prière de repentance, c’est le « nous ». Ce nous, c’est nous tous, à commencer par tous les juifs qui pourtant avaient du mal à s’entendre.

Nous-mêmes, nous avons vite fait de jeter l’anathème, de désigner des têtes de turc, de focaliser notre agressivité sur certains. Nous sommes certes témoins de maladresses et sans doute de mépris, mais nous divisons un peu vite notre société entre ceux qui font bien et ceux qui font mal. Et il y a mille et une façons de brûler des effigies, les commentaires sur réseaux sociaux, les insultes… Mais l’hostilité, la haine, le manque de respect n’ont pas leur place.

Réapprendre à dire « nous » dans ces circonstances est capital, comme nous le rappelle le Pape François dans la lettre Fratelli Tutti. C’est de cet enjeu qu’il s’agit. Il faut en finir de la division de l’humanité selon des critères que j’établis.
Le pape François nous invite à nous souvenir que mon ennemi est aussi mon frère.

En définitive, il faut vivifier à ce point la fraternité que les conflits que nous avons à vivre, fussent-ils idéologiques et graves, restent toujours comme un conflit de famille : il y a des tensions, mais le sentiment d’une appartenance commune doit être plus fort.
Comme le disait le cardinal Ratzinger :

« Être frère c’est se mettre à la place de l’autre, même quand il fait quelque chose de mal. Car c’est ce qu’a fait le Christ, lui l’aîné d’une multitude de frères, qui se met à notre place de pécheurs, sans l’être lui-même. »

Et la grande tâche du pape François, c’est de rappeler la mission de l’Église : elle est sacrement de l’union intime avec Dieu dans une dimension verticale, mais aussi sacrement de l’unité de tout le genre humain dans une dimension horizontale.

Pour illustrer ceci, j’ai été frappé par quelques lignes du message d’un évêque qui est monté au créneau ces derniers temps ; il disait : « Après ces annonces, je déplore le mépris de l’État à l’égard des Catholiques. Beaucoup de chrétiens ont été scandalisés par cette mesure discriminatoire… » mais il terminait disant : « Une lumière va bientôt jaillir dans une crèche de Bethléem : dans cette période d’incertitude les chrétiens gardent cette immense espérance et gardent tout particulièrement dans leurs prières les malades, notre pays et son gouvernement. »

Incluant chacune de ces réalités dans sa prière, il les incluait également dans sa charité puisque la prière d’intercession pour quelqu’un est une discrète, humble mais puissante, expression de la charité. Il n’oubliait pas après avoir dit son désaccord profond de rappeler que la mission de l’Église est inlassablement de tisser inlassablement cette fraternité.

Mais, sur un deuxième point, méfions-nous de ne pas dénaturer l’Esprit du Seigneur : ce serait se tromper de libération.

Quel est le vrai sens du bonheur ?

Revenons à notre première lecture, avec le texte d’Isaïe qui nous relate l’histoire sainte. Cette troisième et dernière partie a été écrite au moment ou le peuple est revenu en Terre Sainte. C’était la libération politique avec ce grand roi Cyrus venu libérer les Hébreux des Babyloniens, un peu à la manière Américaine, et mettant fin à l’horrible captivité. Il estime les traditions religieuses des peuples qu’il domine et leur écrit ce bel édit : « Tous ceux d’entre vous qui appartiennent à son peuple sont invités à regagner Jérusalem, en Juda, et à y reconstruire le temple du Seigneur. Je leur restituerai ce que j’ai volé, les objets du Temple » (cf le prophète Esdras).

On ne peut pas rêver mieux ! Le retour à sa terre, la liberté, la reconstruction du Temple, de nouveau la paix. Et pourtant, c’est une grosse déception, car il y a des difficultés : la lenteur de la reconstruction du temple, les hostilité des populations locales contre les hommes revenus d’exil… C’est comme si cette vision du bonheur avait été trop simpliste.
Ainsi, les circonstances rêvées, attendues, n’ont pas fait le bonheur du peuple et c’est une leçon pour nous !

Comme elle nous habite, cette conception si simpliste du bonheur : « le bonheur, c’est après la rage de dents… » ou c’est « demain horace gratis ». Le bonheur on le fait dépendre de circonstances… « je serai heureux quand je serai… marié, puis après peut être quand je serai veuf… », « quand j’aurai telle mission, tel travail, tel examen, quand je serai dans telle communauté, quand je serai guéri… quand la pandémie sera finie… »
Et les circonstances fussent-elles idéales, sont toujours décevantes…

C’est alors qu’est venu le moment de la vraie conversion. Il nous faut en tirer la leçon, une leçon profonde. Il faut comprendre que les choses ont changé. Le peuple n’a plus à attendre des conditions pour le bonheur. Il doit comprendre aussi qu’aucune circonstance extérieure ne peut réparer le cœur. Le bonheur n’est pas après, le salut n’est pas dans des événements historiques qui nous seront plus ou moins favorables.
Le salut est la manière dont Dieu vient, et il vient dans le cœur de chacun. A nous de Lui laisser la place la Seigneurie, le laisser être notre Père.

« Tu viens à la rencontre de celui qui pratique la justice. »

Ce n’est pas une venue « en bloc », de manière spectaculaire comme plus dans la théophanie du Sinaï, sa gloire ne viendra plus investir le Temple comme avec Salomon, à l’image d’une coquille vide. Mais Il vient : « Tu viens à la rencontre de celui qui pratique la justice ».
Il vient de manière plus intime, dans une alliance avec chacun et sa venue dépend de ma liberté.

Qu’est-ce que le Seigneur attend de nous, Ses veilleurs ?

C’est le sens de l’Évangile : il nous est demandé de veiller et de pratiquer la justice, et non de tourner nos yeux vers le Ciel. Il s’agit de garder la maison. C’est important car cette maison, c’est notre âme.

Alors la parousie du Seigneur, c’est d’abord son surgissement dans ma vie. Dieu prend de la consistance… ce n’est pas simplement une idée, un vague sentiment religieux… c’est devenu du roc, puisque je l’ai attendu, et que cette attente a formaté toute ma vie. Avec lui affronter toute circonstance.
Dans la parabole de la maison bâtie sur le roc, il y est fait allusion à notre vie intérieure. Et lorsque le Seigneur dit qu’Il part en voyage et qu’Il confie Sa maison à Ses serviteurs, il parle de la maison de mon âme. À nous de nous interroger sur la qualité de notre vie spirituelle : quel est mon vrai désir de Dieu ?. Sommes-nous habités par un vague sentiment religieux, ou de quelque chose qui s’enracine dans ma pratique quotidienne, dans la confrontation avec la Parole.

Cette maison sur laquelle il faut veiller, c’est aussi l’Église : quel est mon engagement personnel avec elle. Ce n’est pas une veille qui amènerait à dénoncer telle ou telle décision d’Église. Quel est mon engagement effectif dans une de ces trois dimensions : la célébration des sacrements, l’annonce de la Parole, le service de la charité. Avons-nous des engagements ecclésiaux qui permettent de vivifier cette Église, et la garder comme le Seigneur le veut.

Enfin, revenons un peu au Grec avec le mot maison, oikos, ce mot qui a donné eucumene, qui signifie l’ensemble des terres émergées. Oui, la maison, c’est le monde tout entier. Notre mission de Chrétien est de veiller sur le monde, sur la maison commune.
En ces moments difficiles et plus que jamais, nous avons cette responsabilité, nous avons à y faire briller plus fort et plus haut notre foi et notre espérance joyeuse. Soyons toujours témoins que le Seigneur est vainqueur de l’adversité, et affirmer - sans pour autant juger - que céder au désespoir ce serait céder au démon. C’est ainsi imprègneront nos engagements politiques ou sociaux.

Ce flambeau qu’est le Christ, à nous de le tenir bien haut pour éclairer le monde.

Que Celle qui fut cette maison de Dieu, ce parfait palais du Roi, cette maison d’Or, nous y aide. Elle nous regarde avec bienveillance, nous qui tâchons de porter haut le flambeau du Christ pour qu’il éclaire le monde entier.

Amen


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 63,16b-17.19b.64,2b-7.
  • Psaume 80(79),2-3bc.15-16a.18-19.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 1,3-9.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 13,33-37 :

Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment.
C’est comme un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et demandé au portier de veiller.
Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ; s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis.
Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »