Homélie du deuxième dimanche de Carême

6 mars 2023

Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! »
Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

Chers frères et sœurs,

chaque année, nous célébrons la fête de la Transfiguration le 6 août : nous célébrons alors cet événement de la vie du Seigneur comme Sa naissance, Son baptême, Sa mort ou Sa résurrection.
Chaque année aussi nous est donné l’évangile de la Transfiguration le deuxième dimanche de carême. Le contexte est alors différent : il s’agit alors – après le dimanche des tentations – d’avoir une lumière sur notre chemin vers la mort et la résurrection de Jésus.

À la différence des apôtres, en ce qui concerne l’itinéraire de Jésus, nous connaissons la fin de l’histoire – si vous me permettez l’expression. Saint Marc nous dit bien qu’en descendant du mont Thabor :

« Les apôtres se demandaient entre eux ce que voulait dire : ‘ressusciter d’entre les morts’ » (Mc 9, 10)

Nous avons la chance de savoir que Jésus est ressuscité d’entre les morts.

En revanche, quand nous sommes plongés dans le combat spirituel ou l’épreuve, c’est moins évident. C’est pourquoi il est précieux d’avoir à l’esprit l’expérience qu’ont faite les apôtres sur le mont Thabor. Je retiendrai trois éléments qui peuvent nous aider dans notre cheminement pour suivre Jésus : se mettre dans un contexte favorable pour voir et écouter Jésus ; voir Jésus ; l’écouter.

  • Le contexte
  • La contemplation
  • L’écoute.

Aller à l’écart et prendre de la hauteur

Jésus emmène les apôtres : « à l’écart, sur une haute montagne ». Ils étaient déjà avec Jésus mais ils ont eu besoin de sortir d’une forme d’agitation et de tumulte pour se rendre plus disponibles. Ils avaient besoin de prendre de la hauteur.

En cela, ils suivent l’exemple de Moïse et d’Elie qui apparaissent avec Jésus. Moïse a fait cette expérience du buisson ardent en menant le troupeau de son beau-père au-delà du désert, à la montagne de Dieu, à l’Horeb (Ex 3, 1-7) et surtout pour recevoir la Loi. Elie a fait aussi l’expérience de Dieu en marchant vers l’Horeb (1 Rois 18, 7-8).

Bien sûr, nous pouvons rencontrer Dieu dans notre quotidien. Mais nous avons besoin aussi de ces moments où nous allons comme les apôtres « à l’écart, sur une haute montagne ».

Aller à l’écart, c’est sortir du « troupeau » si je puis dire. C’est se retrouver soi-même. C’est sortir de ce que pensent les gens pour être attentif à ce que je pense, à ce qui me semble juste au niveau de ma conscience. C’est passer de « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » (Mt 16, 13) à « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 15).

Nous avons besoin d’un espace, d’un lieu où nous prenons un peu de distance avec nos activités, où il y a une sorte de gratuité, de repos. Cela suppose de savoir concrètement de créer un espace, une ouverture, qui nous rend disponibles pour accueillir la grâce.
Jésus disait à sainte Catherine de Sienne :

« Fais toi capacité et je me ferai torrent. »

Comme le dit le père Éloi Leclerc dans « Sagesse d’un pauvre » :

« La sainteté n’est pas un accomplissement de soi, ni une plénitude que l’on se donne. Elle est d’abord un vide que l’on se découvre et que l’on accepte, et que Dieu vient remplir dans la mesure où l’on s’ouvre à sa plénitude. »

Nous avons besoin aussi de prendre un peu de hauteur, c’est-à-dire de ne pas regarder les choses et les personnes d’une manière humaine mais du point de vue de Dieu, de les voir non pas du point de vue de la terre mais du point de vue du Ciel. Vous vous rappelez que quand Jésus avait commencé à annoncer sa passion et sa mort, Pierre, dans son amitié très humaine pour Jésus, avait réagi vivement : « Dieu t’en préserve, cela ne t’arrivera pas ». Il voulait lui épargner la souffrance et la mort. La réponse de Jésus était sévère :

« Passe derrière moi Satan ! Tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes. »

Voir la gloire de Dieu dans notre vie

Pierre, Jacques et Jean reçoivent la grâce de voir Jésus transfiguré :

« Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. »

Ils reçoivent la grâce de contempler Dieu dans l’humanité de Jésus :

« Dieu, personne ne l’a jamais vu : Le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître » (Jn 1, 18)

Moïse et Elie avaient une grande soif de connaître Dieu. Ils ont vu Dieu « mais pas face à face, car on ne peut voir Dieu sans mourir ». Dieu a posé sa main sur Moïse (Ex 33, 22) pour le protéger au moment où il passait près de lui, et Elie s’est voilé le visage avec son manteau (1R 19, 13) quand il a compris que Dieu se tenait devant lui.

Cette grâce de la transfiguration leur est précieuse pour aborder la deuxième partie du ministère de Jésus : jusque là, c’était plutôt gratifiant de suivre Jésus : Il faisait des miracles et jouissait d’une grande popularité. Maintenant, Il commence à monter vers Jérusalem ; l’incompréhension et l’hostilité des chefs des prêtres et des pharisiens ne fera que grandir jusqu’à la passion et la Croix.
Le récit de la Transfiguration est un moment charnière dans l’évangile.

Si nous n’avons pas la même grâce de voir Jésus transfiguré que Pierre, nous pouvons néanmoins faire mémoire des moments lumineux de notre vie pour traverser les moments plus difficiles.
Saint Pierre a vécu un certain nombre d’événements lumineux dans sa vie : la première rencontre avec Jésus (Jn 1, 35-42) qui l’a profondément marqué ; la pêche miraculeuse : sur l’ordre de Jésus, il jette les filets alors qu’il n’a rien pris de la nuit. C’est le miracle qui impressionne tant Pierre (Lc 5, 4-8). Mais il y a aussi ce moment où Pierre marche sur l’eau (Mt 14, 22-33).
Avant même la Transfiguration, Pierre fait partie des trois privilégiés qui assistent à la résurrection de la fille de Jaïre (cf. Mc 5, 37 ; Lc 8, 51). Vient ensuite ce moment inoubliable de la Transfiguration (cf. Mc 9, 2 ; Mt 17, 1 ; Lc 9, 28). Cela ne l’empêchera pas de renier Jésus pendant Sa Passion mais cela l’aidera à revenir ensuite vers Lui.

Ces événements resteront gravés dans la mémoire de Pierre comme autant de souvenirs lumineux.
Dans sa deuxième lettre, il rappelle qu’il a été l’un des « témoins oculaires de sa majesté. » (2 P 1, 16).

L’oraison de ce dimanche implore la grâce pour avoir « le regard assez pur pour discerner ta gloire », celle de Jésus. Nous avons besoin d’aller sur le mont Thabor pour faire une expérience similaire à Jacob qui déclare :

« Dieu est en ce lieu ! Et moi, je ne le savais pas. » (Gn 28, 16)

Pour nous aussi, il est essentiel de savoir garder en mémoire les moments où nous avons expérimenté la proximité de Dieu, Son intervention dans notre vie à des moments difficiles, des moments de consolation, des moments où certains mystères de notre foi nous sont apparus comme une évidence.

Une manière de graver dans notre mémoire ces moments lumineux est de pratiquer la prière d’action de grâces et de louange. Cela nous aide à traverser les moments difficiles un peu comme les apôtres. Une belle phrase du prophète Isaïe dit ceci :

« La Gloire sera un dais et une tente pour ombrager le jour contre la chaleur, servir de refuge et d’abri contre l’orage et la pluie. » (Is 4, 5-6)

Écouter Sa Parole

À un certain moment, les apôtres sont invités à passer de la vision à l’écoute. Dans la vision, on peut rester seul à distance, regarder de son mirador, rester indépendant et faire sa propre sagesse de vie voire sa propre religion. L’écoute comporte une part de foi, de confiance, de docilité, un peu comme Abraham dans la première lecture.

Là encore Moïse et Élie sont des maîtres : Moïse redescend de la montagne avec les dix Paroles de Dieu gravées sur les tables de la Loi. Élie reçoit aussi une parole qui est un envoi en mission :

« Repars vers Damas, par le chemin du désert. Arrivé là, tu consacreras par l’onction Hazaël comme roi de Syrie ; puis tu consacreras Jéhu, fils de Namsi, comme roi d’Israël ; et tu consacreras Élisée, fils de Shafath, comme prophète pour te succéder. » (1 R 19, 15-16)

Quand la vision disparaît, ce qui leur reste, c’est la parole qu’ils ont entendue :

« Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le. » (v. 35)

Cela fait écho à la profession de foi quotidienne des juifs : « Shema Israël », « Ecoute Israël ». Après cette voix, devant leurs yeux, il n’y a que « Jésus, seul » (v. 36). Désormais, ils sont invités à écouter et à suivre Jésus. Comme le dit bien la prière d’ouverture :

« Tu nous as dit Seigneur d’écouter ton Fils bien-aimé. Fais-nous trouver dans ta Parole les vivres dont notre foi a besoin. »

À notre tour, nous sommes appelés à garder la Parole de Dieu un peu à la manière de la Vierge Marie qui a cheminé dans la foi. C’est l’invitation de saint Jacques :

« Accueillez dans la douceur la Parole semée en vous ; c’est elle qui peut sauver vos âmes. Mettez la Parole en pratique, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion. Car si quelqu’un écoute la Parole sans la mettre en pratique, il est comparable à un homme qui observe dans un miroir son visage tel qu’il est, et qui, aussitôt après, s’en va en oubliant comment il était. Au contraire, celui qui se penche sur la loi parfaite, celle de la liberté, et qui s’y tient, lui qui l’écoute non pour l’oublier, mais pour la mettre en pratique dans ses actes, celui-là sera heureux d’agir ainsi. » (Jc 1)

Conclusion

Chers frères et sœurs, en conclusion, je ne peux que vous exhorter – pendant ce temps de carême – à savoir vous mettre un peu à l’écart et prendre de la hauteur pour la contemplation.

Puis à repartir dans vos activités en vous laissant habiter par la Parole de Dieu, un peu comme Marie qui « retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur » (Lc 2, 19 ; cf. 2, 51),

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Genèse 12,1-4a.
  • Psaume 33(32),4-5.18-19.20.22.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 1,8b-10.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 17,1-9 :

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière.
Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui.
Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! »
Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte.
Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! »
Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.

En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »