Homélie du cinquième dimanche de Pâques

8 mai 2023

« Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père. »

Les premières secondes de cette homélies n’ont pas été enregistrées, veuillez nous en excuser…

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Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs,

Quand je faisais ma théologie, un de nos vieux professeurs de morale, Dominicain et Italien impressionnant par sa sagesse, nous disait parlant de notre relation avec le Christ :

« Ainsi vous êtes comme les malades : une fois que le médecin vous a guéri, vous ne voulez plus avoir affaire à lui ! »

En effet, il se pourrait que notre rapport au Seigneur soit de ce type, à la manière d’un certain utilitarisme du salut. On le voit bien dans l’évangile : combien de lépreux viennent remercier les Seigneur après avoir été guéris de leur lèpre ? Des dix, un seul revient, et Jésus s’en étonne :

« Les dix n’ont-ils pas été guéris ? et les neuf autres où sont-ils ? »

Les neuf autres ont eu ce qu’ils voulaient, ils appliqué la recette : ils sont allés voir le grand prêtre, et Jésus disparaît de leur horizon et de leur existence.
La même chose peut arriver pour nous : Il nous sauve d’un défaut, d’un péché, et nous retrouvons la liberté et la santé de l’âme, ça va beaucoup mieux ! Puis, nous l’oublions, nous Le laissons tomber…

Je me souviens d’un aumônier de prison qui disait :

« Heureusement que ces gars tombent en prison car, au dehors, « ça va bien pour eux » et ils ne crient plus vers moi, oubliant que Dieu existe. »

Certes, c’est une certaine manière de voir, mais elle décrit bien ce qui est enraciné dans notre cœur. Et c’est aussi ce que nous lisons dans l’Évangile de ce jour : si Jésus vient nous sauver, ce n’est pas pour "en rester là", si je puis dire, mais c’est pour rétablir un lien, une amitié.
Et si vous avez fait attention, vous remarquerez que c’est un des moments les plus dramatiques de l’Évangile. C’est celui où Jésus annonce Son départ, Sa mort : "Je m’en vais, je vais mourir en étant livré aux pécheurs pour être crucifié. »

Et le trouble est terrible dans le cœur des apôtres. Et c’est en réponse à cela que cette page d’Évangile commence ainsi :

« Que votre cœur ne se trouble pas… »

A ce moment-là, Jésus dit qu’Il s’en va, mais qu’Il nous laisse un chemin, que nous ne serons pas éternellement séparés de Lui. Nous ne sommes jamais séparés de Lui, et c’est cette victoire sur la séparation que Jésus veut leur proclamer et qui aura un tel écho dans le cœur de Saint Paul :

« Ni la mort, ni la vie, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu ! »

Ainsi, Jésus nous dit bien « Vous ne serez pas séparés de moi, mais moi non plus, je ne veux pas me séparer de vous ». Il est extraordinaire de sentir dans ces quelque lignes à quel point Jésus veut nous avoir avec Lui, que ça ne lui est pas indifférent que nous maintenions ce lien. C’est ce qui est dit au tout début du texte :

« Il y a d de nombreuses demeures dans la maison du Père… »

Cela signifie que chacun à sa place, que cette demeure est universelle. Il suffit d’ouvrir un tout petit peu son cœur à Dieu pour avoir sa place auprès de Lui. Si notre cœur est trop étroit, le Sien est large.
Puis ces autres mots :

« Je pars vous préparer une place, et quand je serai allé, je reviendrai vous prendre avec moi. »

Puis cette autre parole ailleurs dans l’Évangile :

« Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que eux aussi soient avec moi pour qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée. »

Jésus ne veut pas se séparer de nous. Quel magnifique résumé du mystère de la Rédemption ! La Croix c’est cela : c’est Jésus qui veut nous avoir toujours avec Lui et qui part nous préparer une place comme le ferait un père de famille qui immigrant, partirait dans un autre pays pour acheter une maison, la réparer et cultiver les quelques arpents de terre pour que, quand viendraient les siens, ils puissent heureux avec ce père de famille qui a préparé la place.
Voilà comment Jésus prépare notre venue, voilà comment Il présente ce mystère de la Rédemption.

On pourrait dire ceci : et la Rédemption n’était qu’une étape, et si la Croix était simplement pour maintenir cette amitié ?
Et nous, comment réagissons-nous à tout cela ?

Si le Seigneur compte sur notre amitié, sommes-nous indifférents ?
Ne trouvons-nous pas cela finalement un peu inconvenant que Dieu ait besoin de notre amitié ? Car s’Il est si fort, cela pourrait sembler un peu mièvre, et Lui pourrait être plus autonome.. Pourtant, voici ce que porte le Dieu de l’ancien et du nouveau testament.

En lisant les auteur spirituels, on peut être frappé par cet élan. Je pense à Sainte Marguerite-Marie Alacoque à laquelle Il dit :

« Voici ce cœur qui a tant aimé le monde et qui n’en reçoit qu’ingratitude. »

Et à un autre moment, elle reçoit cette confidence :

« Les péchés qui me font le plus souffrir, ce sont les péchés de mes amis… »

Il s’agit des consacrés et des âmes qui se sont données à Dieu.

Quand à Saint Jean de la Croix, il nous dit bien que, si on peut blesser Dieu en Le mettant sur la Croix par notre péché, nous avons également ce pouvoir de Le blesser différemment, de Le blesser par ce que nous sommes, ce que nous faisons, le pouvoir de blesser Son cœur, de L’émouvoir en profondeur :

« Par un seul de tes regards tu me blessas. »
(Cantique spirituel, Saint Jean de la Croix)

Comme tant d’auteurs commentent ainsi l’Incarnation, on peut dire que Dieu a été blessé par la beauté de l’âme de la Vierge-Marie, et Il n’a pas pu résister de la couvrir de Son ombre et de faire belle la demeure qu’Il s’est choisi.

Une autre image donnée par Saint Jean l’Évangéliste : Dieu est comme un grand aigle qui voit tout de très haut, et nous sommes les petits passereaux. Mais, il y a un moment donné où l’aigle décide de faire du rase-mottes pour rencontrer les passereaux. et se laisser prendre par eux.

On pourrait se dire que tout cela est bien loin de nos préoccupations et qu’on est bien mal partis… Et nous voilà revenus à une pitié douceâtre, « mon Jésus et moi », à un piétisme stérile et sans beaucoup d’envergure, à une forme de cocooning spirituel.
Alors, je me fais moi-même cette réflexion : est-ce que nous acceptons d’être délicats avec Dieu, d’affiner notre amour pour Lui et de ne pas nous contenter du strict minimum, comme un ami qui fait attention au bonheur de son ami, un fiancé au bonheur de sa fiancée ? Avons-nous cette délicatesse de cœur avec Lui ?

Il y a un enjeu énorme : c’est celui du Salut du monde ! La qualité de notre amour pour Dieu, de notre amitié avec Lui transforme le monde !

J’aime cette phrase de la petite Thérèse dont nous célébrons cette année le centenaire de la béatification :

« Le plus petit mouvement de pur amour est plus utile à l’Église que toutes les œuvres réunies. »

Quel bel écho à ce que dit le Seigneur : « Les œuvres ? vous en ferez de plus grandes que les miennes ! ce n’est pas ce qui est le plus important. Moi, je veux montrer que j’aime le Père

Ainsi, sortir de cet utilitarisme du Salut, rentrer dans cette relation gratuite, aimante et délicate avec le Seigneur, c’est peut-être le service le plus important que nous puissions offrir au monde.

Pour terminer, je voudrais vous parler de ce livre du Cardinal Danielou réédité il y a peu de temps : L’oraison, problème politique… où il situe la vie intérieure dans son impact social et cosmique. Alors non, ce n’est pas du cocooning spirituel. De ce cœur à cœur avec Dieu dépend la destinée du monde,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 6,1-7.
  • Psaume 33(32),1-2.4-5.18-19.
  • Première lettre de saint Pierre Apôtre 2,4-9.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 14,1-12 :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, vous aurais-je dit : “Je pars vous préparer une place” ?
Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. Pour aller où je vais, vous savez le chemin. »
Thomas lui dit :
— « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? »
Jésus lui répond :
— « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. »
Philippe lui dit :
— « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. »
Jésus lui répond :
— « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : “Montre-nous le Père” ?
Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres.
Croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi ; si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes.
Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père. »