Homélie du Jeudi Saint - Messe de la Cène

29 mars 2024

« Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »

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Texte de l’homélie

Frères et sœurs bien-aimés,

Ce soir, je désire axer cette méditation sur le « consentement ». En effet, c’est librement que Jésus nous livre son Corps et son Sang lors de la dernière Cène. Dans l’agonie qui suit la Cène au jardin de Gethsémani, Jésus donne son consentement à la volonté de son Père qui le conduit à la passion et à la mort.

Cette messe de la Cène marque l’entrée dans ce qu’on appelle le mystère pascal. Le mystère pascal nous est rappelé au cœur de la célébration de la messe, juste après la consécration, par l’anamnèse.

Lorsque le prêtre déclare : « Il est grand le mystère de la foi », nous répondons : « Nous annonçons ta mort Seigneur Jésus, nous proclamons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire. »

Ces paroles nous viennent de la deuxième lecture que nous venons d’entendre (1 Co 11, 26).
Le mystère pascal, ce ne sont pas des événements juxtaposés : la mort de Jésus, Sa mise au tombeau et Sa résurrection. Entre ces événements, le passage n’est pas automatique ; il y a un fil qui les unit. C’est un peu comme pour le chapelet : les boules sont réunies par un fil. Le fil qui réunit la mort et la résurrection de Jésus, c’est son consentement libre à la volonté de son Père, Son abandon entre Ses mains. C’est ce qu’exprime le Psaume 15 au verset 10 :

« Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. »

Le repas du jeudi saint met en lumière la liberté avec laquelle Jésus offre sa vie pour nous. Jésus y anticipe ce qu’Il va vivre le lendemain sur la croix où Son corps sera livré et Son sang versé.

À partir du moment où Jésus sera arrêté, cette liberté sera moins évidente car nous pouvons avoir l’impression qu’Il est pris dans l’engrenage de la passion et de la mort.

Depuis longtemps déjà Jésus avait annoncé Sa passion. Les évangiles synoptiques nous rapportent trois annonces de Sa Passion. Dès le début de l’évangile de ce soir, à deux reprises, il nous est dit que Jésus savait :

« Sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. Au cours du repas, (…) Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, (…) se lève de table, dépose son vêtement. »

Et Il accomplit alors le lavement des pieds.

Ce consentement ne va pas de soi. Jésus n’est pas allé vers la passion et la croix la fleur au fusil, en Se disant : c’est juste un mauvais moment à passer… Ce consentement advient au terme d’un combat. Car dans Son humanité, Jésus avait de profondes résistances à la souffrance :

« Si c’est possible, que cette coupe s’éloigne loin de moi… » (Mt 26, 39)

Il nous est bon de contempler le consentement de Jésus. Son consentement est douloureux mais Il n’est pas amer et résigné dans le mauvais sens du mot :

« Ma vie nul ne la prend, c’est moi qui la donne. » (Jn 10, 18)

Cet élément de liberté est essentiel car si la croix nous sauve, c’est bien parce que Jésus l’a acceptée librement et par amour. Ce ne sont pas Ses souffrances en tant que telles qui nous sauvent mais l’amour avec lequel Il a accepté librement ces souffrances pour nous sauver.

Pour nous aussi le consentement est quelque chose d’essentiel. Encore faut-il que ce consentement ne se fasse pas en traînant les pieds, à contrecœur, à mi-chemin mais qu’il soit un consentement plénier même s’il se fait au terme d’un combat. Alors il conduit à la joie de la Résurrection. Avec vous j’aimerais méditer brièvement sur trois facettes du consentement que nous sommes appelés à donner à Dieu.

Consentir à la volonté de Dieu

Le premier consentement est le plus général. Il consiste à accueillir la volonté de Dieu. Cette volonté de Dieu peut se présenter de bien des manières.

Cela peut être de consentir à une demande explicite du bon Dieu par son Église, par un appel intérieur. Mais plus généralement, cela peut être de consentir à la réalité : ce que nous sommes physiquement, psychiquement, intellectuellement, moralement ; notre histoire. Consentir aussi à la réalité des personnes qui nous entourent.

Cela peut être aussi de consentir à certaines souffrances et de les associer à celles de Jésus comme Saint Paul nous y invite quand Il S’adresse aux Corinthiens :

« J’achève dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l’Église. » (Col 1, 24)

Il y a des moments dans notre vie où cela paraît interminable tant ils sont désagréables !

Consentir à assumer notre responsabilité dans la mort de Jésus

Une chose est de savoir que Jésus a livré sa vie pour nous, une autre est d’assumer le fait que nous n’y sommes pas pour rien.

À certains moments, Pierre a tout à fait conscience de son péché. Lors de la pêche miraculeuse, il était tombé aux genoux de Jésus, en disant :

« Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » (Lc 5, 8)

Mais ici, il doit faire un pas de plus : reconnaître que son péché oblige Jésus à S’abaisser devant lui pour lui laver les pieds.
Dans le récit du lavement des pieds, au début, Pierre refuse de se laisser laver les pieds. Il trouve que cela est trop humiliant pour Jésus. En effet, cette tâche est celle du dernier des serviteurs : même un esclave juif n’y était pas tenu. Mais Jésus lui montre que ce n’est pas optionnel.
Peut-être n’avons nous pas assez conscience du besoin que nous avons d’être sauvés par Jésus ?

Comme beaucoup de nos contemporains, nous sommes plus dans une logique de développement personnel ou de psychologie positive que de demande de pardon. Nous ne comprenons pas pourquoi il a fallu la Croix. Nous n’imaginons pas ce que le pardon de nos péchés a coûté à Jésus. De notre petit point de vue humain, nous avons tendance à minimiser la gravité de nos péchés. Dans notre vie spirituelle, une chose est de prendre conscience de nos fautes, autre chose est de prendre conscience de leur impact sur Jésus qui a souffert et est mort sur la Croix.

C’est l’expérience capitale qu’a vécu la foule le jour de la Pentecôte lorsque Pierre leur dit :

« Jésus… vous l’avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l’a ressuscité. » (Ac 2, 22-24)
« D’entendre cela, ils eurent le cœur transpercé, et ils dirent à Pierre et aux apôtres : "Frères, que devons-nous faire ?" Pierre leur répondit : "Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint Esprit. » (Ac 2, 37-38)

Le but de Pierre ce jour-là n’est pas de culpabiliser tout le monde mais que chacun reconnaisse sa part de responsabilité au lieu de se considérer comme une victime innocente.

Dans notre culture actuelle, nous avons tendance à nous regarder comme victimes. Bien entendu, il y a beaucoup de vraies victimes et il ne s’agit pas de minimiser les traumatismes qu’elles ont reçus. Mais nous sommes souvent trop centrés sur nous mêmes. Nous passons plus de temps à considérer le mal dont nous avons été victimes que le mal dont nous avons été auteurs. Certes nous pouvons être victime mais nous avons souvent aussi notre part de responsabilité. Tant que nous ne reconnaissons pas notre complicité avec le mal, nous n’avançons pas. Nous restons des râleurs impénitents. Il nous faut consentir à avouer notre responsabilité dans le péché et ne pas nous trouver trop vite des excuses.

Nous sommes invités à une vraie contrition. Le curé d’Ars a une belle expression pour le dire :

« Nous venons nous confesser tout préoccupés de la honte que nous allons éprouver. Nous nous accusons à la vapeur. On dit qu’il y en a beaucoup qui se confessent et peu qui se convertissent. Je le crois bien mes enfants ; c’est qu’il y en a peu qui se confessent avec les larmes du repentir. »

À partir du moment où nous consentons à reconnaître humblement notre péché, alors la miséricorde de Dieu peut nous envahir, peut nous renouveler totalement. Une chose est que Jésus offre sa vie pour nous, pour nous sauver ; autre chose que nous acceptions ce cadeau, cette miséricorde. Hélas, le cadeau offert n’est pas toujours reçu. Qu’il serait dommage de laisser le sang de Jésus se perdre !

Consentir à prendre exemple sur Jésus

Dans l’évangile du jour, Jésus nous donne le commandement du service du frère :

« Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » (Jn 13, 14)
« C’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. » (1 P 2, 21)

Nous sommes invités à ne pas rester de simples « consommateurs » (si je puis dire) de la passion de Jésus mais à consentir à marcher dans cette voie. Cela peut se faire de diverses manières.

Cela peut se faire en consentant à nous abaisser par d’humbles services de charité. « Ayez en vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus ». Dans cet abaissement, Jésus nous offre une clé pour travailler au bien des âmes. Cela va profondément à l’encontre de la soif de dominer, de l’habitude d’imposer aux autres sa propre volonté et sa manière de voir ou de faire.

Cela peut être en consentant au pardon :

« Nous devons nous laver les pieds dans le sens où nous devons aussi nous pardonner les uns les autres. La dette que le Seigneur nous a remise est toujours infiniment plus grande que toutes les dettes que les autres peuvent avoir envers nous [(cf. Mt 18, 21-35). C’est à cela que nous exhorte le Jeudi Saint : ne pas laisser la rancœur envers l’autre empoisonner notre âme. Il nous exhorte à purifier continuellement notre mémoire, en nous pardonnant réciproquement du fond du cœur, en nous lavant les pieds les uns les autres, afin de pouvoir nous rendre ensemble au banquet du Seigneur. » (Benoît XVI, 20 mars 2008)

Il faut quelquefois un peu de temps pour accepter. Pour consentir, il faut surmonter certaines répugnances que nous pouvons avoir : peur de passer pour un faible, peur de se perdre… Cela comporte un vrai combat.

Conclusion :

Pendant l’adoration qui suivra cette messe, nous sommes invités à accompagner Jésus dans Son agonie, à faire mémoire de ce combat par lequel Il accepte librement le chemin de la passion et de la mort pour nous sauver. Et ainsi d’être dans l’émerveillement et l’action de grâce pour Son amour.

Cela peut être également pour nous le moment de donner à Jésus certains consentements auxquels Il nous appelle. Pour soutenir notre consentement, Jésus Se donne à nous dans l’Eucharistie. Il y a tant de morts à consentir pour nous ouvrir à la vie nouvelle que Dieu veut nous donner.

« L’eucharistie est la nourriture des pèlerins qui devient la force de qui est fatigué, épuisé et désorienté. » (Benoît XVI, 11 janvier 2012)

Demandons à la Vierge Marie de nous accompagner dans la célébration de ce mystère pascal, de nous aider à nous laisser renouveler par ces mystères !

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Exode 12,1-8.11-14.
  • Psaume 116(115),12-13.15-16ac.17-18.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 11,23-26.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 13,1-15 :

Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture.
Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit :
— « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? »
Jésus lui répondit :
— « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. »
Pierre lui dit :
— « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! »
Jésus lui répondit :
— « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. »
Simon-Pierre lui dit :
— « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »
Jésus lui dit :
— « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. »
Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait :
— « Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit :
— « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »