Texte de l’homélie
Nous avançons vers Pâques. Et en ce 5e dimanche, il y a un glissement. Jusqu’ici, nous étions invités à faire nos efforts pour laisser l’amour du Christ remplir notre vie, pour apprendre à ne plus vivre sous le regard des autres mais pour vivre en conscience, du fond de notre cœur, là où le Seigneur demeure.
Et sur ce chemin de libération, il y a un glissement. Autrefois, on appelait ce dimanche le dimanche de la Passion. Aujourd’hui il est collé avec le dimanche des Rameaux.
Avec la lecture d’aujourd’hui, le Seigneur veut nous préparer non pas comme la foule, non pas d’un regard extérieur, mais de le vivre de l’intérieur, de le vivre en chrétien, d’y reconnaître la Croix, et la gloire de Dieu.
A notre époque, la Croix disparait des lieux publics, même de nos maisons. Et pourtant, c’est le signe de notre victoire, c’est le signe de la gloire, de la vie en plénitude, de la vraie vie, de la vie éternelle.
Comment pouvons-nous entendre ce texte ? Ce texte nous est bien adressé. Il n’est pas juste pour les Juifs, ou juste pour les spécialistes de la religion de Jésus. On le voit bien ici avec ces Grecs. Et Jésus dit ces paroles pour nous tous, pour que nous découvrions.
Le nœud de cet évangile aujourd’hui, c’est l’agonie de Jésus. Ici dans la version de St Jean, avec un point de vue différent que dans les évangiles synoptiques qui nous parlent de Gethsémani, le jardin, la prière, etc… Ici, on va nous montrer comment Jésus vit de l’intérieur la Croix.
« Père, l’heure est venue où le Fils de l’Homme doit être glorifié. »
Être glorifié, c’est recevoir la vie en plénitude, dans ce qui est important, ce qui est solide, c’est le fond de l’être.
Et Jésus, dans cette agonie, affronte sa mort prochaine, ce rejet, alors qu’Il annonce la parole libératrice. Et sur Lui se sont concentrés petit à petit tous nos refus de vie, de communion, de liberté intérieure. Et Jésus porte cela. Son âme est angoissée, bouleversée. On dit dans les Évangiles synoptiques qu’Il est affalé par terre, avec une sueur d’eau et de sang.
Ici, quel est son sentiment ? Bien sûr, il y a toute cette souffrance qu’Il a et qui est bien réelle. Mais comment est le sursaut intérieur ? Père, sauve-moi de cette heure, que ce calice s’éloigne de moi, que ces choses terribles n’arrivent pas… Risque d’une prière qui voudrait un Dieu magique, qui veut que le monde ne soit pas le monde, qui fasse que les choses soient autrement, qui nous éloigne de la réalité.
« Père sauve-moi de cette heure… Est-ce ça qu’Il va dire ? Non. Parce que c’est justement pour cela qu’Il est venu. N’oublions pas que Jésus est la Lumière venue dans les ténèbres. Comme le dit St Jean les ténèbres ne vont pas le limiter. Mais il faut trouver le processus. Et Jésus va nous le donner : « Père, glorifie ton nom. » Les synoptiques diront : « Non pas ma volonté mais ta volonté, Père. »
Que veut dire « Père glorifie ton nom ». C’est un peu semblable au début du Notre Père « que ton nom soit sanctifié », qu’il soit connu, que nous en témoignions, que notre vie, que notre intérieur témoignent que Dieu n’est pas ce juge, aveugle, ce tyran qui a fait un monde que nous ne comprenons pas et qui n’est pas bien fait. Mais comment Jésus perçoit ce cadeau qu’Il nous fait de nous introduire dans sa relation avec Dieu qui est Père, qui est tendresse et qui est à la fois celui qui a l’héritage, qui nous donne l’héritage ? Nous ne sommes pas des étrangers à Dieu. Nous sommes des fils bien aimés. Et le trésor, tout ce patrimoine qui est celui de Dieu, tout son amour, il est déposé à notre baptême dans notre cœur, dans nos mains.
« Père, glorifie ton nom »
Cela veut dire que, dans cet acte que je vais vivre de la Croix, soit reconnue la force de ton amour, l’évidence de ta tendresse pour les hommes, l’évidence de la force de Salut que tu es. Et ton nom, c’est celui de Père.
Voilà ce que Jésus nous enseigne. Non pas de rêver un autre monde, non pas de prier pour échapper à ce monde, mais pour affronter, rentrer dedans, et pour traverser. Jésus va traverser nos ténèbres pour nous donner la vraie vie.
Pour que nous comprenions que cela ne concerne pas que Jésus mais nous-mêmes, Jésus parle du grain de blé. C’est une loi de la nature que l’on peut observer. Dans le grain de blé, le germe va se développer, et au départ il va se nourrir de la substance du grain qui va donner la nourriture pour donner la vie. Et le grain de blé disparaît, mais il donne beaucoup de fruit.
Et ça, Jésus nous le dit ainsi : Si quelqu’un veut me servir, qu’Il me suive, mais qu’il se détache, qu’il renonce à lui-même, qu’il meurt à lui-même. Qu’est-ce que ça veut dire ?
On avait dans le livre de Jérémie un moment catastrophique de la vie du royaume de Judas. Il y a la violence partout, les politiques ne savent plus gouverner, ils se disputent, il n’y a rien de productif, la crise est là, les armées étrangères sont là, et le pays va être détruit, dans ses trois piliers : la royauté, la terre et le temple… Et Jérémie, devant le refus du Peuple d’entendre la parole de Dieu, il dit que ce pays est malade, incurable, qu’il n’y a pas de remède… Mais Dieu ne se laisse pas vaincre. Bien sûr, il ne peut pas nous empêcher de dire non, de nous révolter. Mais ce cœur malade, je ne peux pas le sauver par ma force. Dieu fait alors cette promesse de donner un Esprit nouveau, un cœur nouveau, d’arracher notre cœur de pierre, et de mettre cet Esprit Saint à l’intérieur de notre cœur. Saint Jean nous dit dans sa première lettre : « ils n’auront pas besoin de s’enseigner les uns les autres » parce que la loi nouvelle, c’est l’Esprit dans notre cœur, c’est ce sens commun des fidèles, ce sens de la foi, où le Seigneur nous illumine et nous fait avancer, et met l’amour dans notre cœur, et nous fait développer une intelligence, une volonté en relation avec cet amour.
Mais il nous faut changer de registre, changer d’amour. Ici on nous dit que celui qui aime sa vie la perd. Et la traduction est gentille pour nous « qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie » tandis que le texte nous dit ’qui aime sa vie la perd, qui la haït la gagne’. Il ne s’agit pas de rentrer dans un complexe de culpabilité et de vouloir disparaître. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Nous avons cette manière d’aimer de fils d’Adam et Eve, dans la convoitise, où les autres, le monde, tout devrait me combler, et c’est moi le centre, et du coup j’exploite le monde.
Alors que le Seigneur nous apprend à vivre en communion, en nous donnant, sans être nous-mêmes le centre, et nous sommes faits non pas pour être comblés, mais pour nous détacher et donner la vie.
Exemple : la petite Thérèse, jeune, revient de la messe de minuit. Son Père est vieux, malade, fatigué. Il dit à la sœur aînée de Thérèse : j’espère que cette comédie [de Thérèse] va finir parce que cela me fatigue. Et Thérèse entend. Et entre la 3e et la 4e marche de l’escalier qu’elle est en train de monter, elle change. Elle comprend. Elle comprend qu’elle a le choix : vouloir être comblée, être la reine de la fête ; ou comprendre que l’harmonie, l’amour dans la maison, c’est plus grand, et qu’elle peut faire ce pas, se détacher de ce besoin d’être comblée, d’être adulée. Ce qui chez Thérèse se passe entre la 3è et la 4è marche de l’escalier, cela peut aussi se passer chez nous, avec plus ou moins de temps.
Et c’est tout le sens de ce Carême. Apprendre à ne pas vivre suivant notre amour, suivant notre manière de voir, selon le monde que nous voudrions, comment les autres devraient être pour nous satisfaire, mais en étant nous-mêmes fils du Père qui offrons nos dons, notre vie, quels qu’ils soient, aux uns et aux autres, pour la vie de tous.
Eh bien demandons cette grâce ici. Voyez, il y a cette voix qui parle, et Jésus dit « ce n’est pas pour moi », mais pour que son attitude devienne la nôtre. Alors nous pourrons vivre la Pâques d’une autre manière, non pas comme des assistants plus ou moins crédules, se demandant si on va suivre Jésus, si on va le trahir ou pas. On pourra y voir cette force du Seigneur, cette loi de notre baptême, on pourra le re-choisir, en sachant que dans tout instant de notre vie, qu’il soit heureux, qu’il soit malheureux, qu’il soit facile ou difficile, il y a la Gloire de Dieu, l’amour de Dieu, l’amour de Dieu qui nous aime, qui pense à nous, qui comme le disait le Pape François « qui rêve de nous ! »
Eh bien, cet amour de Dieu sera dans notre cœur pour nous construire et nous conforter, et pour que nous puissions construire et conforter tout ceux qui nous entourent, desquels nous sommes appelés à nous faire proches.
Amen.
Références des lectures du jour :
- Livre de Jérémie 31,31-34.
- Psaume 51(50),3-4.12-13.14-15.
- Lettre aux Hébreux 5,7-9.
- Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 12,20-33 :
En ce temps-là, il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque.
Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. »
Philippe va le dire à André, et tous deux vont le dire à Jésus.
Alors Jésus leur déclare :
— « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié.
Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.
Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle.
Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.
Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? _ Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci !
Père, glorifie ton nom ! »
Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. »
Mais Jésus leur répondit :
« Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous.
Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »
Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.