Homélie du 32e dimanche du temps ordinaire

12 novembre 2018

« Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres.
Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »

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Texte de l’homélie :

Pour la première lecture de ce dimanche, il faut se remettre dans le contexte : Élie est en train de faire la leçon à Achab et Jézabel, à ces rois du Nord qui ont introduit le paganisme. Jézabel est la fille du roi des Phéniciens, et elle pratique sa religion en offrant des cultes au Baal. Et Achab, son mari, se laisser gagner peu à peu par ces rituels.
Ainsi, le prophète Élie vient annoncer que le Ciel va se fermer, car Dieu ne donne plus Sa bénédiction sur cette terre qui redevient païenne, d’où cette sécheresse.

Élie n’a plus rien à manger : il est victime comme les autres de cette catastrophe. Il va donc chez cette veuve envoyée par le Seigneur pour qu’elle lui donne à manger. Et cette femme s’exécute quand cette femme le lui demande, et elle va chercher ses dernières réserves d’huile et de farine, puis elle mourra, puisqu’elle n’a plus rien.

Deux figures de la Bible nous enseignent par un simple geste

Le premier enseignement que l’on peut tirer de ce récit est que cette veuve n’oublie pas la charité, malgré la famine. Peut-être mourra-t-elle quelques jours plus tôt - selon ce qu’elle a dit - mais au moins, elle aura pu accomplir ce geste d’ouverture, d’accueil du prophète.
Oui, c’est important. Car, chaque fois que nous souffrons dans notre vie, que nous sommes réduits à quelque extrémité que ce soit – par la santé, par un deuil, une déception – nous avons très souvent tendance à nous replier et à fermer les portes à toute générosité.
C’est certainement quelqu’un qui est proche de Dieu pour pouvoir pratiquer cela.
Gardons ainsi un premier enseignement par cette bonne nouvelle portée par ce texte.

Et l’on voit bien que l’Évangile de ce jour fait écho à la veuve de Sarepta. Ce sont ces pharisiens, ces « grands » qui vont donner de leurs richesses, de leurs biens au Temple en faisant sonner de la trompette (comme Jésus y fait référence dans un autre évangile). Et Jésus est assis. Il tire Son enseignement de cette observation : Il voit cette veuve approcher et mettre ses deux petites pièces. Et Lui qui connaît le cœur des hommes, Il sait qu’elle a donné ce qu’elle avait pour vivre. Il leur dit :

« Ils ont donné de leur superflu. Elle a pris sur son indigence. »

Donner non pas de son superflu, mais sur sa réserve vitale

Comme c’est important pour nous aussi ! Parfois, nous sommes très généreux pour masquer le manque du don de notre propre cœur. Comme disait le Père Lamy :

« Nous offrons beaucoup de feuilles pour ne pas offrir quelques fruits… »

Et voilà ce qui nous est demandé : ne pas être comme Caïn, mais comme Abel. Vous le savez, dans l’Ancien Testament, ce qui fait la différence entre leurs sacrifices, c’est que Caïn offrit les fruits de la terre, tandis qu’Abel offrit les bêtes de son propre troupeau, quelque chose de lui-même. Nous, tant que cela ne nous touche pas, nous pouvons donner, cela ne nous dérange pas…
Cela peut nous orienter notre réflexion. Ce que Saint François de Sales appelle le « sacrifice de son Isaac » : qu’est-ce bien dont je ne veux vraiment pas me détacher, ce à quoi je tiens le plus, ce qui me fait vivre humainement ?

Ainsi, vous qui allez vous engager dans la mariage ou projetez peut-être en tous cas des fiançailles, vous savez qu’il y a des biens dont on ne veut pas se séparer. C’est le cas lorsque l’on a vécu une vie confortable de célibataire : ce n’est pas forcément facile de se détacher de certaines choses. Il y a aussi la question de l’autonomie, ce désir de liberté que l’on a vite fait d’idolâtrer dans notre société : je refuse de dépendre de Dieu, de mon futur conjoint, de ma future épouse…
Cela peut aussi être un trait de caractère auquel on tient : « que suis comme ça, qu’on n’y touche pas, ça ne changera pas, il faut me prendre tel que je suis… » Ce sont souvent des gens acariâtres qui tiennent ce genre de discours, et il nous est difficile de ne pas les inviter à changer un petit peu !…
Cela peut-être la relation que l’on entretient avec ses parents : combien de fils et de filles trouvent cela rassurant d’aller très souvent chez Papa-Maman et de conserver une certaine sécurité affective se lancer complètement dans la vie conjugale qui demande vraiment de larguer les amarres. C’est un sacrifice qu’il faut pouvoir faire.

Quelles sont les grosses sommes que l’on donne, et les deux piécettes que l’on préfère garder ?

En réfléchissant sur ce texte, je me souvenais du Père Sérac, un père Jésuite qui a beaucoup servi en Inde et au Cambodge dans les camps de réfugiés, et qui aimait citer cette phrase :

Phrase magnifique ! Phrase choc ! mais on peut se demander si elle est bien réaliste : suis-je ne train de tout donner ? est-ce que quelqu’un d’entre nous ici peut prétendre tout donner ? Je me permettrais d’en douter, car il y a peut-être un mauvais sens dans laquelle on peut prendre cette phrase : il ne s’agit pas de faire un inventaire en comptant ce que l’on a dans son trésor, et d’en déduire si on est quitte. Ce n’est pas de l’ordre du quantitatif. Il s’agit d’introduire en soi un principe qui va nous faire changer de l’intérieur.

Accueillir l’autre, c’est accueillir le Christ

En accompagnant certains d’entre vous hier, je disais : « Accueillir une personne dans ma vie. ». C’est magnifique ! j’ai quelqu’un dans ma vie, ce que ceux d’entre-vous qui cheminez peuvent dire également.
Accueillir dans ma vie, dans ce que j’ai de plus intime, dans mon cœur, dans mon âme… ou est-ce seulement dans ma périphérie, dans ma petite réserve, dans l’arrière cuisine, et je vais la voir quand ça me fait du bien. Combien de relations sont de ce type-là, utilitaristes…

Il y a une très belle pièce qui s’appelle « Maison de poupée » écrite le dramaturge Ibsen. Cela raconte l’histoire d’un homme qui a mis une poupée dans sa maison. Elle le sert, lui fait la cuisine, est gentille et jolie, sourit à ses invités. Mais, elle se révolte à un moment donné, elle se révolte : « j’existe ! je suis une personne ! j’ai quelqu’un dans ma vie… »
Pour le meilleur et pour le pire, peut-être, mais précisément pour le meilleur. Car, fonctionner en circuit fermé nous rend inhumain, voire indignes de la vie, d’une certaine façon. Accueillir quelqu’un dans sa vie, c’est lui faire un chèque en blanc, d’une certaine façon, mais avec confiance que cela ne va pas nous mettre sur la paille. Donner cette racine de mon être, de donner cette autonomie, cette liberté, ce désir de disposer de moi-même, d’être le seul maître que je serai demain.

Non que je sois manipulé, ni que je subisse des pressions, mais ce que je serai demain, je le devrai à celle, à celui qui m’accompagne : est-ce que je l’accepte ou non ?

Et l’on peut aller plus loin : accueillir quelqu’un dans ma vie, c’est aussi accueillir Dieu dans ma vie. C’est un principe qui va me modifier. Comme le dit l’Évangile, c’est accueillir cette mesure de levure qui va faire lever toute la farine.
Autrement dit : accueillir la grâce qui ne me laisse pas indemne non plus. Ou pour le dire autrement : accueillir la Foi, la Foi comme point central de notre vie.

Trop souvent, et moi le premier, notre Foi est en périphérie de notre vie. Elles vont dans le pourtour de ce qui nous appartient, sans passer par le cœur de mon cœur.
Nous voyons bien le temps que nous laissons à Dieu, la place qui lui est réservée : quand nous sommes allés voir nos parents, nos amis, que l’on a fait son sport, son yoga ou sa peinture, on en vient au constat qu’il ne reste plus de temps, et qu’on ira à la messe la semaine prochaine.
Ce sont des choses qui nous guettent, car nous avons beaucoup de mal à accueillir la seigneurie du Christ. On veut bien que Dieu fasse partie du paysage, du folklore, cela nous permet d’avoir des relations agréables avec des gens charmants autour de nous, qui partagent certaines de nos valeurs et de nos convictions. Mais, nous pouvons nous demander si le Seigneur est-il le roi de notre vie ? Dieu est-il mon maître ?

Si je me permets de poser cette question, c’est parce qu’il y a quelques temps, nous avons accueilli un petit groupe de convertis de l’Islam. Comme cela est marquant ! Voir qu’ils ont tout quitté du jour au lendemain à la suite du Christ, pour se retrouver dans notre pays qui a certes des qualités, mais pas celle de la chaleur humaine que l’on trouve dans les pays du Maghreb, qu’ils ont accepté de sacrifier cela pour le Christ. Il est devenu le centre de leur vie : comme ce sont des confesseurs de la Foi !
Si la Foi n’est pas centrale dans nos vies, si elle n’est que périphérique, nous pourrons gager qu’elle sera fragile. Nous pourrons gager aussi qu’elle sera ennuyeuse et finira par être comme un caillou dans notre chaussure, quelques préceptes moraux qui nous empêchent de tourner en rond, de faire ce que l’on veut et dont on finira par se débarrasser un jour ou l’autre.
Si la Foi n’est pas embrassée de tout son cœur, de toute sa vie, elle ne demeurera pas ancrée.
Mais surtout, on ne verra pas la beauté de cette Foi, à quel point elle nous vivifie, à quel point elle donne un sens à ce que nous touchons.

Nous pouvons lire les deux textes de ce jour ainsi que l’évangile en lien avec la vie même du Christ. Si l’on jette un œil sur la lettre aux Hébreux, il nous est dit que le Christ, n’offre pas de sacrifice comme le grand prêtre en faisait, qui offrait lui un sang qui n’était pas le sien. Le Christ offre son propre sang, et cela fait toute la différence : le Christ s’offre jusqu’au bout. C’est Lui qui applique parfaitement la belle phrase du Père Sérac : il est « Celui qui a tout donné », il ne Lui reste rien. Et c’est pour cela qu’Il est exalté, qu’Il ressuscite, qu’Il entre dans cette gloire et dans cette joie. C’est Son expérience, mais c’est aussi celle qu’Il nous transmet. Si nous sommes baptisés, c’est bien pour mettre nos pas dans les Siens. Si demain vous voulez recevoir le sacrement de mariage, c’est aussi pour cela : c’est vivre ce mystère pascal au cœur même de votre relation.

La veuve de Sarepta et la veuve de l’Evangile sont des figures du Christ, car elles de préparent à faire cette expérience de Pâques : tout donner, mourir pour être vivifiées.
Oui, il faut en faire l’expérience quand on passe par des moments difficiles, quand on doit faire le sacrifice – notamment celui du pardon – pour le bien de la vie commune. Et si c’est en profondeur, on verra parfois qu’il y a du répondant chez l’autre, qu’une nouvelle vie peut éclore, que cet amour conjugal prend une nouvelle lumière, que notre relation au Christ prend un nouvel intérêt.

Chers frères et sœurs, Marie n’a rien gardé pour Elle. Elle a tout donné ce qu’Elle avait reçu, et Elle a été glorifiée. Qu’Elle nous enseigne ce chemin,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Lecture du livre des Rois 17,10-16
  • Psaume 146(145),7.8-9a.9bc-10
  • Lecture de la Lettre de Saint Paul apôtre aux Hébreux 9,24-28
  • Évangile de Jésus-Christ selon Saint Marc 12,38-44 :

En ce temps-là, dans son enseignement, Jésus disait : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners.
Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »

Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et regardait comment la foule y mettait de l’argent. Beaucoup de riches y mettaient de grosses sommes.
Une pauvre veuve s’avança et mit deux petites pièces de monnaie.
Jésus appela ses disciples et leur déclara :
— « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres.
Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »