Frères et sœurs bien-aimés, jamais il ne m’est arrivé que quelqu’un m’arrête dans la rue pour me demander quel est le premier des commandements. On nous pose des questions diverses et variées dans la rue, mais pas celle-ci. C’est sans doutes du au fait que cinquante ans après mai 1968, nos problématiques sont très différentes de celles du scribe et les commandements ne sont pas nos préoccupations première.
Et pourtant, je voudrais retenir 3 éléments de la réponse de Jésus qui peuvent nous éclairer aujourd’hui :
- Il présente tout d’abord l’amour comme un commandement,
- l’amour de Dieu va de pair avec l’amour du prochain, l’un de va pas sans l’autre,
- l’amour, on le comprend mieux en le pratiquant qu’en faisant de longues dissertations à son sujet.
L’amour est un commandement
Le fait de considérer l’amour comme un commandement – comme le fait Jésus en répondant au scribe – ne cadre pas du tout avec la vision qui est véhiculée par notre culture. Notre culture met un accent très fort sur le sentiment. Et on voit aussi ce que cela fait : des couples qui s’unissent et se désunissent rapidement, … Qu’il est fragile l’amour qui ne se fonde que sur le sentiment ! C’est vraiment la maison bâtie sur le sable.
Comme le dit très bien Benoît XVI dans son encyclique sur l’amour :
(Deus caritas est n° 17)
L’amour requiert aussi notre volonté et notre intelligence.
Dire que l’amour est un commandement, c’est déjà dire que je n’aime pas les autres seulement quand j’en ai envie, mais d’abord quand je pense que c’est important, que c’est bien.
Cela vaut notamment de l’amour conjugal : par l’échange des consentements, cet amour devient un devoir que les époux ont accepté librement, pas toujours synonyme de facilité :
« Veux-tu être mon mari (ma femme) ? »
« Oui, je veux être ton mari (ta femme). »
« Je te reçois et je me donne à toi pour t’aimer fidèlement dans le bonheur ou dans les épreuves ».
Cela vaut aussi de l’amour pour les enfants. Il n’est pas mauvais pour les parents de se rappeler qu’ils ont le devoir d’aimer leurs enfants.
C’est vrai de l’amour fraternel en communauté, ou plus largement…
Dans un de ses livres, le Père Pascal Ide décrit les différents processus pour aimer : celui que tout le monde a en tête, c’est le coup de foudre. C’est donc le sentiment en premier, et dans le meilleur des cas, c’est la volonté qui prend le relais. Mais, l’amour pour le prochain ne commence pas forcément par le sentiment ou la pitié. Cela peut prendre le trajet inverse : je pense que je dois aimer et finalement un sentiment naît. Dans certains cas, l’amour de raison conduit à la naissance de sentiments pour l’autre.
Et Benoît XVI en parle dans notre relation avec Dieu : vis-à-vis de Dieu aussi, c’est justement dans la mesure où notre vouloir et sa volonté coïncident toujours plus que je ne ressens plus ses commandements comme imposés de l’extérieur.
J’apprends à regarder les autres avec un autre regard, avec la perspective de Dieu. Je vois qu’Il aime cette personne, alors j’essaye à mon tour de l’aimer comme je peux…
L’amour de Dieu va de pair avec l’amour du prochain
Entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain (sur laquelle insiste tant la Première Lettre de Jean), il y a une interaction qui va dans les deux sens :
L’amour pour le prochain peut prendre son origine dans mon amour pour Dieu.
Parce que j’aime Dieu,
Je vois avec les yeux du Christ et je peux donner à l’autre bien plus que les choses qui lui sont extérieurement nécessaires : je peux lui donner le regard d’amour dont il a besoin. » (Deus caritas est n° 18)
« J’aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la personne que je n’apprécie pas ou que je ne connais même pas. Cela ne peut se réaliser qu’à partir de la rencontre intime avec Dieu, une rencontre qui est devenue communion de volonté pour aller jusqu’à toucher le sentiment. » (Deus caritas est n° 18)
« Si le contact avec Dieu me fait complètement défaut dans ma vie, je ne peux jamais voir en l’autre que l’autre, et je ne réussis pas à reconnaître en lui l’image divine. »
Si j’aime véritablement Jésus, je ne peux regarder avec indifférence ceux pour qui Jésus a offert sa vie. Mon amour du prochain est enrichi dans la mesure où j’essaie de l’aimer comme Jésus. J’aime l’autre non pas seulement comme un être terrestre mais comme quelqu’un que Dieu appelle à la gloire.
Mon amour pour le prochain me conduit à un amour renouvelé pour Dieu
Seule ma disponibilité à aller à la rencontre du prochain, à lui témoigner de l’amour, me rend aussi sensible devant Dieu. Seul le service du prochain ouvre mes yeux sur ce que Dieu fait pour moi et sur sa manière à Lui de m’aimer. »
« La rencontre avec le Seigneur a acquis son réalisme et sa profondeur précisément grâce à leur service des autres. » (Benoît XVI Deus Caritas Est n° 18)
« Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. » (1 Jn 4, 20)
De toute façon, l’amour pour le prochain me préserve de bien des illusions dans mon amour pour Dieu.
Benoît XVI a aussi dit :
Deus caritas est n° 16. (…)
Et le Pape François :
Vous connaissez sans doute cette belle image de Kierkegaard :
On voit cela dans la vie des saints.
La prière a de la valeur si elle alimente un don de soi quotidien par amour. Notre culte plaît à Dieu quand nous y mettons la volonté de vivre avec générosité et quand nous laissons le don reçu de Dieu se traduire dans le don de nous-mêmes aux frères. » (Pape François, Gaudete et exsultate, n° 104)
Pratiquer l’amour plutôt que disserter sur l’amour
Les scribes dissertaient longuement sur l’ordre à mettre entre les 613 commandements qu’ils avaient répertoriés, à savoir jusqu’où allait le prochain, … Certains avaient tendance à multiplier sans fin les commandements et les préceptes de la loi tandis que d’autres voulaient découvrir, au-dessous de ce monceau asphyxiant de normes, l’âme de tous les commandements.
Une première manière de présenter les choses est de voir la charité comme la reine des vertus. Il ne s’agit pas d’une image poétique. Il s’agit de dire que toutes les autres vertus lui sont subordonnées, qu’elles sont au service de la charité comme l’exprime saint Paul lorsqu’il dit :
« Si je n’ai pas la charité je ne suis rien. »
Ainsi, l’humilité, la générosité, la droiture, la patience, … sont autant de qualités qui concourent à la qualité de mon amour, de ma charité.
Le pape François nous incite à ne pas trop intellectualiser les choses, à ne pas nous perdre dans des distinctions subtiles à la manière des scribes :
Car en chaque frère, spécialement le plus petit, fragile, sans défense et en celui qui est dans le besoin, se trouve présente l’image même de Dieu. En effet, avec cette humanité vulnérable considérée comme déchet, à la fin des temps, le Seigneur façonnera sa dernière œuvre d’art. Car « qu’est-ce qui reste, qu’est-ce qui a de la valeur dans la vie, quelles richesses ne s’évanouissent pas ? Sûrement deux : le Seigneur et le prochain. Ces deux richesses ne s’évanouissent pas ». [Jubilé des personnes socialement exclues, Homélie de la Messe, 13 novembre 2016] »
(Pape François, Gaudete et exsultate, n° 61)
Autrement dit, il s’agit de se mettre devant des personnes et non pas devant des idées. En effet, dans les idées nous pouvons trouver des justifications pour ne pas aimer. Si nous restons à un niveau cérébral ou imaginatif, nous pouvons entretenir des peurs d’aimer qui ensuite nous dispensent de nous donner sans compter.
Dans sa lettre sur la sainteté, le Pape François fait un développement sur le grand critère que Jésus nous donne en parlant du jugement dernier au chapitre 25 de saint Matthieu :
« J’avais faim et vous m’avez donné à manger, … »
Il revient sur cette idée un peu plus loin :
Chers frères et sœurs, tournons-nous vers Marie afin qu’elle nous aide à vivre de commandement de l’amour de Dieu et du prochain. Pour elle, c’était très concret : celui qui était devant elle était en même temps son Dieu. Aimer son enfant, c’était aimer son Dieu.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Lecture du Deutéronome 6,2-6
- Psaume 119(118),97.99.101-106
- Lecture de la Lettre de Saint Paul apôtre aux Hébreux 7,23-28
- Évangile de Jésus-Christ selon Saint Marc 12,28b-34 :
En ce temps-là, un scribe s’avança pour demander à Jésus :
— « Quel est le premier de tous les commandements ? »
Jésus lui fit cette réponse :
— « Voici le premier : ‘Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force.’
Et voici le second : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même.’ Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. »
Le scribe reprit :
— « Fort bien, Maître, tu as dit vrai : Dieu est l’Unique et il n’y en a pas d’autre que lui.
L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. »
Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse, lui dit :
— « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. »
Et personne n’osait plus l’interroger.