Texte de l’homélie
Frères et sœurs bien-aimés, ce matin j’aimerais retenir trois éléments de ce célèbre passage d’évangile :
- d’abord l’amour est un commandement ;
- ensuite, je verrai un peu comment l’amour de Dieu et l’amour du prochain s’articulent ;
- et enfin, j’aimerai revenir dans le concret car ce passage d’évangile n’a pas vocation à être sujet de dissertation mais à être vécu.
L’amour est un commandement
L’amour ne se situe pas d’abord et essentiellement au niveau du ressenti
Le fait de considérer l’amour comme un commandement – comme le fait Jésus en répondant au scribe – ne cadre pas du tout avec la vision qui est véhiculée par notre culture. Notre culture met un accent très fort sur le sentiment.
On voit vite les limites d’un amour qui ne serait que sentiment :
Il serait aussi instable que les émotions
Le sentiment amoureux est, par nature, changeant et fluctuant. Si l’amour repose uniquement sur l’émotion, il peut manquer de stabilité, car les sentiments sont influencés par le contexte, l’humeur ou encore les difficultés rencontrées.
Il empêcherait un engagement durable
L’amour durable demande souvent des efforts constants, des compromis et un engagement actif, qui vont au-delà de l’émotion ressentie. Aimer uniquement pour ce que l’on ressent au moment présent peut limiter l’engagement à long terme, car il manque alors les fondations nécessaires pour affronter les épreuves. L’amour mature se construit en intégrant non seulement les sentiments, mais aussi la volonté, la compréhension et le respect mutuel.
Il serait très fragile face aux crises et aux conflits
Les conflits et les moments difficiles sont inévitables dans une relation. Si l’amour est uniquement fondé sur le sentiment, il risque de s’effriter en période de crise, car le soutien, la patience et la résilience nécessaires pour traverser ces moments demandent un amour qui inclut le respect, la compréhension et la volonté de travailler ensemble, au-delà des simples émotions. L’amour qui ne se fonde que sur le sentiment est vraiment la maison bâtie sur le sable.
L’amour requiert l’intelligence et la volonté
Comme le dit très bien Benoît XVI dans son encyclique sur l’amour :
Dire que l’amour est un commandement, c’est déjà dire que je n’aime pas les autres seulement quand j’en ai envie mais d’abord quand je pense que c’est bien.
La question n’est pas : « est-ce que j’ai l’impression d’aimer ? » mais « est-ce que j’aime ? » Il y a quelque chose de beaucoup plus objectif. Les commandements donnent une objectivité qui va au-delà de toutes nos bonnes intentions.
Parler de l’amour comme d’un commandement consiste à considérer que j’ai un certain devoir d’aimer, que ce soient mes frères, mon époux ou mon épouse, mes enfants, …
Ceci dit, ce n’est pas non plus un amour cérébral, froid, distant, … l’amour est appelé à se diffuser dans toute notre humanité. On le voit dans la parabole du bon samaritain. L’amour du prochain rend notre amour bien concret et humain.
Comment l’amour de Dieu et l’amour du prochain s’articulent
On peut regarder cela à partir de notre capacité d’aimer
J’aime bien le curé d’Ars qui présente notre cœur comme d’une capacité d’aimer qui nous est donnée à notre naissance. Qu’est-ce que nous en faisons ensuite dans notre vie ? Avons-nous un cœur qui se dilate ou au contraire un cœur qui se sclérose et se rétrécit. C’est l’enjeu de notre vie.
Kierkegaard a une belle image pour parler de contre cœur :
Si on se ferme à l’amour du prochain on se ferme à l’amour de Dieu et vice-versa. Le fait d’aimer mon prochain (si cet amour est authentique) ne m’éloigne pas de Dieu ; le fait d’aimer Dieu (si cet amour est authentique) ne m’éloigne pas de mon prochain, bien au contraire. Ce ne sont pas deux rails parallèles. C’est dans le même mouvement que j’aime Dieu et mon prochain. Il y a une spirale bienfaisante. Nous devenons une personne unifiée dans l’amour. Nous n’avons qu’un cœur. Il n’y a pas de conflit. Cela nous évite une forme de schizophrénie.
C’est extrêmement clair pour des saints comme saint Vincent de Paul.
L’amour de Dieu et l’amour du prochain s’enrichissent l’un l’autre
Ces deux commandements ne font qu’un ; ils sont différents mais inséparables. Entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain (sur laquelle insiste tant la Première Lettre de Jean), il y a une interaction qui va dans les deux sens.
D’une part, l’amour de Dieu donne une qualité et une profondeur à mon amour pour le prochain.
Parce que j’aime Dieu,
« Si le contact avec Dieu me fait complètement défaut dans ma vie, je ne peux jamais voir en l’autre que l’autre, et je ne réussis pas à reconnaître en lui l’image divine. »
« J’aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la personne que je n’apprécie pas ou que je ne connais même pas. Cela ne peut se réaliser qu’à partir de la rencontre intime avec Dieu, une rencontre qui est devenue communion de volonté pour aller jusqu’à toucher le sentiment. » (Deus caritas est n° 18)
Si j’aime véritablement Jésus, je ne peux regarder avec indifférence ceux pour qui Jésus a offert sa vie. J’aime l’autre non pas seulement comme un être terrestre mais comme quelqu’un que Dieu appelle à la gloire.
D’autre part l’amour pour le prochain me plonge dans le concret et me garde de l’illusion.
« Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. » (1 Jn 4, 20)
L’amour pour le prochain me préserve de bien des illusions.
Chez les saints, la rencontre avec le Seigneur a acquis « son réalisme et sa profondeur précisément grâce à leur service des autres. » (Benoît XVI Deus Caritas Est n° 18)
L’unité profonde de ces deux commandements se vérifie aussi quand nous aimons Jésus qui est à la fois vrai Dieu et vrai homme
Quand Marie portait Jésus dans ses bras, elle ne se faisait pas des nœuds dans la tête pour savoir si elle aimait son fils ou son Dieu. C’est un peu comme pour descendre un escalier : si vous êtes trop dans votre tête pour coordonner vos mouvements, vous risquez bien de tomber. Il y a quelque chose de simple à vivre et difficile à penser.
Depuis l’instant où le Verbe de Dieu s’est fait homme, un lien plus fort encore s’est instauré entre l’amour de Dieu et celui du prochain. Comme le dit cette phrase du Concile reprise par Jean-Paul II :
« Par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni à tout homme. » (Jean-Paul II Redemptor Hominis n° 8 reprenant Gaudium et spes n° 22)
C’est ce qui apparaît d’une manière évidente dans la parabole du jugement dernier :
« J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir. (…) Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 35-36.40)
Cela s’est vérifié aussi pour saint Martin lorsqu’il a partagé son manteau en deux pour le donner à un pauvre aux portes d’Amiens : la nuit suivante Jésus lui est apparu en songe revêtu de ce manteau.
Pratiquer l’amour plutôt que disserter sur l’amour – le chemin d’amour
L’amour naît de la contemplation mais doit se traduire concrètement.
L’amour a besoin de la contemplation
Un psychologue, Gigi Avanti, faisait cette recommandation apparemment très simple quand il recevait des couples en difficulté, après les avoir écoutés, il leur demandait d’écrire sur un papier dix qualités de leur conjoint.
En effet, l’amour n’est pas quelque chose de purement volontariste. Il faut d’abord nourrir des motifs d’aimer. L’amour d’un bien nous met en route pour agir. Il faut passer par la case contemplation.
Ensuite l’amour doit se traduire concrètement
Il ne faut pas rester dans des cogitations abstraites. Il faut passer à l’acte.
Comment puis-je traduire concrètement à Dieu que je l’aime par dessus toute chose ?
On peut traduire cet amour de manière tangible et sincère de bien des manières :
- dédier du temps à la prière ; prendre des temps gratuits dédiés à la prière. Lui donner ainsi une place centrale dans notre journée.
- dédier du temps à la lecture de la Parole de Dieu et à mieux connaître Dieu.
- pratiquer l’action de grâce pour tous les bienfaits reçus de lui.
- accomplir sa volonté et mettre tous nos talents à son service.
- vivre selon ses commandements : « Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui qui m’aime » (Jn 14, 15 ; https://saintebible.com/john/14-15.htm)
- savoir le mettre à la première place au-delà de tous les bien terrestres : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent. » (Mt 6, 24)
- offrir nos souffrances et épreuves avec patience, foi et humilité.
- témoigner, avec douceur et respect, de notre amour pour lui.
- bien sûr, en pratiquant l’amour du prochain.
Comment puis-je traduire concrètement à mon prochain que je l’aime ?
Je me contenterai de citer les œuvres de miséricorde. Traditionnellement, on retient 7 œuvres de miséricorde « corporelles », et 7 œuvres de miséricorde « spirituelles ».
Les sept œuvres de miséricorde corporelle :
- donner à manger aux affamés
- donner à boire à ceux qui ont soif
- vêtir ceux qui sont nus
- accueillir les pèlerins
- assister les malades
- visiter les prisonniers
- ensevelir les morts.
Les sept œuvres de miséricorde spirituelle :
- conseiller ceux qui sont dans le doute
- enseigner les ignorants
- avertir les pécheurs (correction fraternelle)
- consoler les affligés
- pardonner les offenses
- supporter patiemment les personnes ennuyeuses
- prier Dieu pour les vivants et pour les morts.
Conclusion :
Prions pour obtenir cette grâce de la charité. J’aime beaucoup ce que dit le pape François :
Jésus s’offre à nous dans l’eucharistie justement pour cela. En elle, nous recevons Jésus dans l’expression maximale de son amour, lorsqu’il s’est offert au Père pour notre salut. »
(Pape François, 29 octobre 2017)
Demandons à Marie, qui a vécu le double commandement à simplicité et profondeur à le vivre à notre tour.
Vous pourriez poser aujourd’hui un acte de service du prochain ?
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre du Deutéronome 6,2-6.
- Psaume 119(118),97.99.101-106.
- Lettre aux Hébreux 7,23-28.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 12,28b-34 :
En ce temps-là, un scribe s’avança pour demander à Jésus :
— « Quel est le premier de tous les commandements ? »
Jésus lui fit cette réponse :
— « Voici le premier : ‘Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force.’
Et voici le second : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même.’ Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. »
Le scribe reprit :
— « Fort bien, Maître, tu as dit vrai : Dieu est l’Unique et il n’y en a pas d’autre que lui. L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. »
Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse, lui dit :
— « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Et personne n’osait plus l’interroger.