Texte de l’homélie
Dans le calendrier liturgique juif, vous connaissez certainement deux grandes fêtes : celle du Kippour – le Grand Pardon – et la fête de Passa’h – nommée aussi fête de la Pâque. Mais il y a aussi une autre fête importante moins connue qui s’appelle Shavouot. Elle consiste à fêter le don de la Torah fait à Moïse. Dieu donne la loi à Moïse et c’est ainsi que le peuple s’est formé et s’est structuré. Et c’est intéressant de dire que si le peuple Hébreux est né en Égypte et a ensuite connu la libération par la main du Seigneur, c’est dans le désert, une fois libéré, qu’il a reçu une loi. Cela signifie qu’on ne peut donner une loi qu’à un peuple libre.
Ce don de la loi permet de réguler les rapports des uns avec les autres. C’est le rôle de la loi que nous connaissons ici en France. Cela permet la relation.
Qu’est-ce que Jésus dénonce dans ce texte ?
Les paroles de Jésus viennent en écho de celles dans la première lecture :
« Vous avez fait de la loi une occasion de chute… »
La loi est un don pour permettre au peuple de vivre en communauté. droite
Alors qu’elle était donnée par Dieu à Moïse sur la montagne pour établir la relation, pour permettre au peuple de vivre en communauté, traversant le désert cahin-caha – vous en avez fait une occasion de chute. Vous avez transformé le don en obstacle…
Et c’est sans doutes pour cela que, dans la tradition juive, on célèbre chaque année la fête de Shavouot, afin de rappeler que la loi est un don. Et au fond, le fait d’être en relation les uns avec les autres est une grâce. Elle est précédée d’un don - celui de la vie et de l’amour. Et parce que ces dons ont été faits, on peut vivre en relation les uns avec les autres.
Certes, nous n’avons pas bénéficié directement du don de la loi comme Moïse l’a eu, mais nous avons d’autres dons, d’autres charismes. Nous pouvons ainsi nous poser la question suivante :
« Que faisons-nous des dons qui nous ont été faits ? »
Faisons-nous vivre les dons que nous avons reçus ?
Il y a des dons naturels, que l’on voit chez ceux qui ont de la simplicité et de la facilité dans les dons relationnels, d’autres qui savent mettre les personnes en relation les unes avec les autres… Il y aussi le don de la patience, de l’habileté manuelle, pour ce qui concerne les dons humaines. On peut aussi énumérer les dons spirituels : certains ont une facilité pour la prière, la contemplation. Comment mettons-nous ces dons reçus au service de la relation ?
En tous les cas il me semble qu’une des manières d’interpréter les paroles fermes de Jésus va dans le sens inverse : vous avez fait du don de la loi un obstacle entre les gens, vous les avez érigés comme un lieu de division, vous vous en êtes servis pour vous-mêmes.
Nous avons ainsi une clef pour cette réflexion :
Sommes-nous capables de nommer les dons que nous avons reçus ?
Faisons la différence entre don et qualité, car ce n’est pas pareil. Il est vrai que lors d’un entretien d’embauche, on parle de défaut et de qualités, cela reste très horizontal. Mais quand il s’agit de don, cela fait référence à quelqu’un qui nous précède, c’est bien différent. On mentionne alors une source, qui peut être Dieu, par exemple.
Si l’on parle de don, c’est que l’on se voit comme le fruit de quelqu’un qui nous a précédés : nos parents, nul d’entre nous ne s’est donné la vie à lui-même. Dieu Lui-même a donné la vie et l’amour à nos parents et ainsi de suite jusqu’au début de l’humanité. Dieu a donné la vie depuis son commencement, et dire qu’un don nous a été fait signifie que nous ne sommes pas seuls.
Le croyant n’est jamais seul. Il n’est pas forcément meilleur qu’un non croyant, mais il ne se pense pas seul. C’est un point central de notre Foi. Je pense qu’il y a une source en moi, mais cette source là, ce n’est pas moi qui l’ai créée : c’est une grâce qui m’a été faite, c’est un don.
Ainsi, Jésus sait très bien à qui Il s’adresse : Il parle à ceux qui ont reçu l’intelligence, car il s’agit de cela. Ce sont des « pros de la Torah » : plus ils ont reçu, plus ils en ont conscience…
C’est la même chose pour chacun d’entre nous : plus nous avons des grâces, qui nous sont données autant au plan humain que spirituel, plus il nous sera demandé.
« A celui à qui il a été beaucoup donné, il sera beaucoup demandé. »
Ainsi, il est important de nous interroger sur les charismes que nous avons reçus, de les nommer d’abord, puis de nous demander comment nous les faisons vivre. Tout comme on parle du charisme d’une communauté religieuse, il est intéressant de se poser cette question en couple, dès la préparation au mariage, même si cela prend une dimension particulière. Chaque couple a un charisme visible et montre l’alliance de façon unique…
Savons-nous nommer le charisme des autres ?
Il est possible de s’aider les uns les autres à désigner notre charisme. Il faut aussi être attentif à ne pas faire obstacle au charisme de l’autre…
Comme on le voit dans les textes, les Pharisiens et les scribes se sont gonflés de leur savoir et tout « sachant » qu’ils étaient, ils représentaient une autorité dans le peuple d’Israël ; ils s’étaient même comme emparés de la Torah au lieu de la mettre au service. Ils la lisaient, ils la scrutaient, mais ils s’en étaient emparés. Tout comme nous lisons la parole de Dieu, elle-même nous lit.
Ainsi, Jésus nous demande de considérer le charisme que nous avons reçu et de voir comment nous la mettons au service d’une relation, d’une communion. Et c’est dans ce sens qu’il est nécessaire d’avoir une certaine humilité. On peut rencontrer des personnes d’une grande intelligence, des artistes au talent extraordinaire, mais il arrive souvent qu’ils se repaissent d’eux-mêmes. Il n’y a plus de sources extérieure à partir de laquelle ils auraient reçu toutes ces grâces. Ils deviennent alors obstacles pour les autres.
Nos charismes sont-ils au service de la communion ?
C’est un combat spirituel à mener quand nous avons du talent : il nous faut nous rappeler que nous ne sommes pas origine, que nous sommes des créatures et que nous aurons des comptes à rendre des charismes qui nous ont été donnés pour la communion.
C’est bien de cela dont il s’agit : la communion avec Dieu, la communion entre nous. C’est de cela dont nous voulons vivre car le Seigneur nous y appelle. Nous venons d’une communion Père, Fils et Saint Esprit et nous croyons en un Dieu unique et non pas solitaire. Nous croyons en un Dieu qui est en Lui-même communion d’amour.
C’est aussi l’occasion pour nous de dire en quoi les grâces que nous avons reçues sont facilitatrices de relation, en quoi elles mettent du liant, en quoi je les mets au service.
Et c’est ce que Jésus nous dit à la fin :
« Le plus grand parmi vous sera votre serviteur… »
« Les premiers seront les derniers, les derniers seront les premiers… »
Le plus grand des charismes est au service, et c’est là qu’il est beau. Mais, quand on l’érige comme un lieu de pouvoir – et la tentation est grande – c’est au contraire un lieu pour trébucher. Et ce que l’on dit du peuple Hébreu nous pouvons le dire de nous-même, chaque religion ayant ses scribes et ses Pharisiens qui prennent ces dons religieux et en font un obstacle face à Dieu.
Il est intéressant d’analyse et de méditer sur cet évangile, et de voir la vie comme un don qui nous précède et que nous transmettons, et avec ce talent de nature et de grâce nous nous mettons au service. Et notre communauté qui porte ce nom extraordinaire de Serviteurs de Jésus et de Marie, nous engage encore plus comme frères, car notre vie nous demande de ne pas oublier que nous sommes au service.
Et Jésus nous dit :
« Qui est le plus grand ? celui qui est à table ou celui qui sert ?
Moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. »
Se mettre au service et rentrer dans un logique de don et d’engagement… C’est le signe que Jésus nous donne à chaque Eucharistie sous le pain et le vin consacrés. C’est tout Lui qui est présent, cette radicalité nous rappelle que nous devons aussi nous mettre au service et que nous aurons des comptes à rendre. Cela nous rappelle aussi que notre lieu de sainteté, c’est le charisme que nous avons reçu.
Un des signes qui peut nous aider à reconnaître notre charisme, c’est en lien avec les choses que nous facilement, alors que les autres le font difficilement. Et si vous faites facilement des choses que les autres font difficilement, vous pouvez vous dire que c’est un lieu de sainteté et de communion, un lieu de bien et où les relations naissent car vous vous mettez au service.
En cette fin d’année liturgique, nous pouvons demander cette grâce au Seigneur. La Toussaint qui nous rappelle la vie éternelle est déjà derrière nous. Il est alors temps de nous rappeler que nous sommes témoins parce que nous acceptons une certaine dépossession de nous-même, nous acceptons de reconnaître le charisme des autres sans jalousie car il est aussi un don pour moi, et pour la communauté, le corps que nous formons. A ce propos, notre société individualiste nous fait perdre de vue cette dimension du charisme pour le corps. Le don de la Torah a été fait pour que le peuple Hébreu puisse avancer, se structurer et être dans la confiance…
Reprenons bien conscience qu’il est important de voir dans la bienveillance ce que nous avons reçu, ce que l’autre a reçu est une responsabilité partagée. Comme Chrétien, nous n’avons pas l’exclusivité de la communion, mais nous en avons la responsabilité, car Jésus Lui-même, par l’amour qu’Il a témoigné, nous dit :
« Toi, vas, et fais de même ! »
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de Malachie 1,14b.2,1-2b.8-10.
- Psaume 131(130),1.2.3.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 2,7b-9.13.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 23,1-12 :
En ce temps-là, Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples, et il déclara : « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ; ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi.
Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères.
Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux.
Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ.
Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. »