Texte de l’homélie :
Dans l’Évangile de ce jour, Jésus remonte les bretelles des pharisiens. Mais je ne désire pas tellement disserter sur les travers des pharisiens.
Étant donné que presque tous, nous avons à exercer une autorité à un moment ou à un autre dans notre vie (équipe, famille, église, …), il est intéressant de voir ce que Jésus nous dit de l’autorité, sur la manière dont il nous invite à l’exercer.
L’autorité est bonne et voulue par Dieu. Mais l’exercice de l’autorité (au travail, en famille, dans l’église, …) est délicat. L’autorité suppose également de montrer l’exemple : ce sera mon deuxième point. Et enfin l’autorité suppose de rester vraiment en communion avec ceux vis-à-vis de qui nous exerçons l’autorité.
L’autorité est bonne, voulue par Dieu ; elle est un service
« Tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le ».
Il ne faut pas se méprendre sur l’intervention de Jésus. Jésus n’est pas du tout contre l’autorité. Même s’il faut sans doute les remettre dans leur contexte, en tant que tel, les slogans de 1968 du style : « il est interdit d’interdire » sont stupides. L’autorité en tant que telle est quelque chose de bon et voulu par Dieu. L’autorité est nécessaire. Imaginerait-on une équipe de foot sans capitaine, une entreprise sans dirigeant, une classe sans professeur ? De fait, nous avons besoin d’une autorité pour avancer.
L’autorité est voulue par Dieu.
Saint Paul a des paroles très claires sur ce point :
« Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes. » (Romains 13, 1-2)
Jésus lui-même, devant Pilate, reconnaît que l’autorité vient de Dieu :
« Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, si cela ne t’avait été donné d’en haut. » (Jean, 19, 11)
Il en va de même pour saint Pierre :
« Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute autorité établie parmi les hommes, soit au roi comme souverain, soit aux gouverneurs comme envoyés par lui pour punir les malfaiteurs et pour approuver les gens de bien. » (1 Pierre 2, 13)
Jésus exerce l’autorité. Il en confie une à Pierre et ses apôtres. En envoyant ses disciples en mission, Jésus leur a délégué sa propre autorité :
« Qui vous écoute, m’écoute. » (Lc 10, 16s)
Il a confié ses pouvoirs (Mc 3, 14s p ; Lc 10, 19).
(cf. Benoît XVI, audience du mercredi 26 mai 2010 : Munus regendi). »
« Il n’y a pas de bien plus grand dans cette vie terrestre que de conduire les hommes à Dieu, réveiller la foi, sauver l’homme de l’inertie et du désespoir, donner l’espérance que Dieu est proche et guide notre histoire personnelle et celle du monde : tel est, en définitive, le sens profond et ultime du devoir de gouverner que le Seigneur nous a confié. » (cf. Benoît XVI, audience du mercredi 26 mai 2010)
Le fait que l’autorité vienne de Dieu à la fois la fonde et la limite. Car d’une manière ou d’une autre, elle devra lui en rendre compte. Lorsque Pierre et les apôtres reçoivent l’interdiction d’enseigner le Nom de Jésus, ils n’ont pas peur de dire :
« Il faut obéir à Dieu, plutôt qu’aux hommes. » (Ac 5, 29)
Mais ils ne le font pas par esprit d’indépendance.
L’autorité est un service. Elle est exigeante et demande un vrai don de soi. C’est ce que Matthieu rapporte un peu plus haut :
« Si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur, et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre esclave. C’est ainsi que le Fils de l’Homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mt 20, 25 – 28)
Saint Paul ne délivre pas seulement un message, il se livre lui-même totalement :
"Ayant pour vous une telle affection, nous voudrions vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais tout ce que nous sommes…”
Ce ne sont pas simplement des mots car dans leur ministère Paul et ses compagnons ont souvent rencontré l’hostilité, la persécution et le risque de mort.
Il y a 2 extrêmes : abdiquer son autorité (il est quelquefois fatiguant de rappeler les règles ; d’autant plus que l’autorité est très contestée aujourd’hui) ; l’exercer pour se faire du bien et non pas comme un service.
- L’autorité est responsable du bien commun et cela exige d’elle qu’elle sache dire des choses même quand cela ne plaît pas. Sinon elle serait accusée d’être comme les chiens muets. La peur de déplaire, de ne pas être compris, d’être considéré comme dur ou ringard peut aussi habiter celui qui exerce une autorité. Et pourtant, il est capital d’accepter de ne pas être toujours compris. Combien nous avons besoin d’être libérés de la préoccupation du regard que les autres portent sur nous. Lorsque, dans la deuxième lecture saint Paul déclare : « Frères, avec vous nous avons été pleins de douceur », il ne faut pas se méprendre : douceur ne signifie donc pas mièvrerie. D’ailleurs, dans la première épître aux Corinthiens, nous le voyons exclure de la communauté les membres indignes (1 Co 5, 4s).
- L’autorité reste toujours un service. C’est pourquoi cela n’a pas de sens de se servir du rang que donne l’autorité pour rechercher la considération, l’estime. C’est ce que Jésus reproche aux pharisiens : "Ils agissent toujours pour être remarqués des hommes : ils portent sur eux des phylactères très larges, des franges très longues". Si un prêtre prêche, cela ne devrait pas être pour que les gens l’admirent mais pour qu’ils connaissent et aiment mieux Jésus. Comme le dit le curé d’Ars : « Le prêtre n’est pas prêtre pour lui. Il ne se donne pas l’absolution, il ne s’administre pas les sacrements. Il n’est pas pour lui, il est pour vous » (p 102) Si des parents demandent des choses à leurs enfants, ce n’est pas pour attirer leur affection mais pour les aider à grandir. Le désintéressement - à distinguer du "j’m’en foutisme" - est une qualité essentielle d’une bonne autorité.
Jésus dénonce le détournement de la religion à des fins personnelles. C’est la tentation de l’homme religieux qui, au lieu de servir Dieu, de s’effacer devant lui, de le mettre vraiment au centre de sa vie, se met lui-même au centre, se sert de Dieu et de la religion pour assouvir sa soif de pouvoir, asseoir sa respectabilité sociale ou répondre à son besoin de paraître. A un certain moment, cet homme religieux n’est plus signe mais écran. Il ne se comporte plus en gérant mais en propriétaire. Finalement, il ne recherche plus la gloire de Dieu mais sa propre gloire.
Paul ne centre jamais les gens sur sa personne. Il est attentif à ses interlocuteurs, à ces auditoires qui l’écoutent, à ces communautés qu’il a fondées. Il renvoie sans cesse à un autre, le Christ et il sait que dans l’activité missionnaire de l’apôtre, c’est un autre qui agit, c’est le Seigneur. Lui, Paul, n’en est que le serviteur. Il dira aux Corinthiens :
« Moi, j’ai planté, Apollos a arrosé, mais c’est Dieu qui faisait croître. Ainsi, celui qui plante n’est rien, celui qui arrose n’est rien : Dieu seul compte, lui qui fait croître… » (1 Co 3, 6-7)
Dans les versets précédents, Paul a dressé la liste des tentations auxquelles lui et ses compagnons n’ont pas succombé :
« Jamais nous n’avons eu de paroles flatteuses, vous le savez, jamais d’arrière-pensée de profit, Dieu en est témoin, et jamais nous n’avons recherché d’honneur auprès des hommes, ni chez vous, ni chez d’autres, alors que nous aurions pu nous imposer en qualité d’apôtres du Christ. Au contraire, au milieu de vous, nous avons été pleins de douceur » (1 Thess 1, 5 - 7)
Du coup, les gens se sont vraiment tournés vers Dieu et non vers Paul :
« Quand vous avez reçu de notre bouche la parole de Dieu, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement : non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants. » (1 Thess 2, 13)
Il y a plusieurs symboles de l’autorité juste et bonne : le jardinier, qui arrose et qui nourrit la plante, ne fabrique pas et ne contrôle pas la vie ; il facilite la croissance. Le bon Berger qui conduit le troupeau et qui risque sa vie pour défendre les brebis des loups, connaît chaque brebis par son nom ; avec chacune il a une relation personnelle.
L’autorité doit donner l’exemple - obéir à l’autorité même si elle n’est pas parfaite
« N’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. »
Jésus pointe du doigt l’incohérence des pharisiens :
« Les scribes et les Pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Pratiquez donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. »
Ce point là est sans doute plus sensible aujourd’hui où l’autorité est beaucoup remise en question. Le pape Paul VI le disait très bien :
Saint Pierre le disait déjà bien aux Anciens :
« Paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, veillant sur lui, non par contrainte, mais de bon gré […], en devenant les modèles du troupeau. » (1 P 5, 2)
Cela signifie-t-il qu’on ne doive obéir que si l’autorité est exemplaire ? Non. Jésus le dit bien à propos des pharisiens : « tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. » Jésus n’encourage pas à l’insubordination ; Il encourage à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, à ne pas se soustraire à l’autorité sous prétexte qu’elle n’est pas parfaite.
La tradition va dans ce sens. Il suffit de voir l’attitude de François d’Assise à l’égard des prêtres indignes.
Voici aussi ce que disait Bossuet :
Nous savons qu’il vaut mieux une autorité imparfaite que pas d’autorité du tout. On le voit assez dans la société civile : que de dégâts quand on a voulu à tout prix éradiquer une autorité déviante mais sans rien mettre à la place. Est-ce à dire que l’autorité est intouchable ? Bien sûr que non. L’autorité doit rendre des comptes.
Faut-il attendre d’être parfaits pour dire des choses quand on est en situation d’autorité ? On risquerait d’attendre longtemps. Vous n’auriez plus beaucoup d’homélies à la messe. Les parents ne peuvent pas attendre d’être parfaits eux-mêmes pour commencer à éduquer leurs enfants.
Non, bien sûr, il ne faut pas attendre d’être parfait. Mais il faut reconnaître humblement cette incohérence. C’est un appel à la conversion et à l’humilité : Je dois faire en sorte de faire au maximum ce que je dis, et le dire, même si je ne le fais pas encore bien.
Cela vaut aussi pour les parents : ils demandent des choses à leurs enfants mais ne les font pas toujours. D’ailleurs, au moment de l’adolescence, les jeunes ne se gênent pas pour le faire remarquer à leurs parents. Mais les ados ne sont pas forcément plus cohérents : il y a souvent une belle distance entre leurs grands idéaux et l’humble réalité quotidienne.
L’autorité qui dérive vers une forme de domination
« Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. »
On voit que l’autorité impose des exigences aux autres mais pas à soi.
Une tentation de l’autorité est de se mettre au dessus de la mêlée. Nous ne devons jamais oublier que nous sommes égaux devant Dieu :
« Celui qui plante et celui qui arrose sont égaux, et chacun recevra sa propre récompense selon son propre travail. » (1 Co 3:8)
De ce fait, l’autorité ne doit pas se désolidariser des personnes sur lesquelles elle exerce une autorité. Il faut faire corps avec les autres.
C’est ce que dit saint Paul dans la deuxième lecture :
« Vous vous rappelez, frères, nos peines et nos fatigues : c’est en travaillant nuit et jour, pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous, que nous vous avons annoncé l’Evangile de Dieu. » (1 Th 2, 8-9)
Dans d’autres passages, Saint Paul dit que l’ouvrier mérite son salaire.
Il y a une bonne manière d’exercer l’autorité dans le partage, l’écoute, le dialogue, la souplesse, la compréhension, la reconnaissance. L’autorité doit savoir expliquer les raisons qui motivent ses choix. L’autorité doit savoir se remettre en cause, reconnaître ses points faibles, assumer le fait de ne pas tout savoir et donc s’appuyer sur les autres et déléguer en permettant à chacun de se responsabiliser et de trouver sa place. L’autorité n’a pas à être jalouse des talents des autres ; elle est plutôt là pour les aider à les développer.
Il ne s’agit pas non plus de vouloir tout faire. Quand les enfants sont en âge de mettre la table, ce n’est pas leur imposer un pesant fardeau sans le remuer du doigt si la maman leur demande de mettre la table pendant qu’elle prépare le repas. Il ne faut pas se culpabiliser de ne pas faire ce que d’autres font. Il s’agit de se donner véritablement là où Dieu nous appelle.
Un peu avant, dans saint Matthieu, Jésus dit :
« Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous ; au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier d’entre vous, sera votre esclave. » (Mt 20, 25-27)
Jésus se tient parmi les siens comme celui qui sert (Lc 22, 25ss). Il est venu servir et donner sa vie (Mc 10, 42p). Encore une fois, l’autorité est un service et nous sommes appelés à l’exercer avec désintéressement :
Dans l’épître aux Thessaloniciens, juste avant le passage que nous avons lu, saint Paul dit qu’il n’a pas voulu faire sentir tout son poids (1Th 2, 7) que ce soit au sens moral (faire l’important, se donner un prestige) ou au sens matériel (être à leur charge).
Ici, Jésus parle des pharisiens qui chargent les épaules des gens de pesants fardeaux. C’est une autorité qui écrase. Ils ne doivent pas faire sentir le poids de leur autorité.
L’autorité peut dégénérer en abus de pouvoir. Dans ce cas, l’autorité n’est pas considérée comme un service. Elle consiste plus à asservir qu’à servir. On profite d’être en situation de force. On risque alors de confondre l’autorité avec le pouvoir d’imposer sa volonté à l’autre.
Quand on perd la dimension du service, le pouvoir se transforme en arrogance et devient domination et oppression.
Il ne s’agit pas d’être honorés, remarqués, considérés, …
Frères et sœurs, au terme de cette homélie, je crois que nous pourrions remercier Dieu qui n’hésite pas à confier des responsabilités à de pauvres pécheurs. Mais aussi prier pour les prêtres, les parents et pour tous ceux qui sont en situation de responsabilité.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de Malachie 1,14b.2,1-2b.8-10.
- Psaume 131(130),1.2.3.
- Première lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 2,7b-9.13.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 23,1-12 :
En ce temps-là, Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples, et il déclara :
« Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse.
Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas.
Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ; ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi.
Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères.
Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux.
Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ.
Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. »