Texte de l’homélie :
Frères et sœurs bien aimés,
Avez-vous déjà eu la chance de voyager dans le cockpit d’un avion ? Les pilotes doivent sans cesse vérifier la position de l’appareil. En fonction des mouvements de l’air, des turbulences, … l’avion peut dévier de sa trajectoire. Il est important de faire le point régulièrement pour éviter un crash et arriver à bon port.
Notre venue au monde est aussi une forme de décollage. Par la suite il est important de vérifier notre position comme les pilotes d’avion. Dans notre vie aussi nous pouvons être pris dans des turbulences ; que nous le voulions ou non, nous nous trouvons dans des mouvements de pensée qui exercent leur influence sur nous. Il serait dommage de se crasher et de ne pas arriver à la destination qu’est le Ciel, la rencontre définitive et plénière avec Dieu dans son Royaume.
Les lectures de ce jour nous donnent quelques éléments pour vérifier notre position. Comme le dit le psalmiste à Dieu : « Qui peut discerner ses erreurs ? Purifie-moi de celles qui m’échappent. » Par sa Parole, le Seigneur veut nous donner quelques repères.
Il y a certainement des erreurs ou des fautes que nous voyons plus facilement que d’autres. Ce que nous dit saint Jacques nous paraît sans doute évident lorsqu’il nous exhorte à l’honnêteté et la justice : « Des travailleurs ont moissonné vos terres, et vous ne les avez pas payés ; leur salaire crie vengeance, et les revendications des moissonneurs sont arrivées aux oreilles du Seigneur de l’univers. (…) Vous avez condamné le juste et vous l’avez tué, sans qu’il vous résiste. »
Mais je voudrais ce matin souligner en particulier la solidarité avec les pauvres et les petits qui est bien présente dans les lectures.
La solidarité avec les pauvres et les petits
Cette solidarité se manifeste de différentes manières.
Le désintéressement, la largeur d’esprit
Tout d’abord, il y a ce réflexe que l’on trouve aussi bien dans la première lecture que dans l’Évangile. Dans la première lecture, Josué veut en quelque sorte protéger la particularité de Moïse : il ne trouve pas normal de laisser les deux anciens continuer à prophétiser dans le camp et veut les arrêter. Nous avons cette admirable réponse de Moïse qui en dit long sur sa qualité spirituelle :
« Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux, pour faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! »
Quelques versets plus bas, le même livre des Nombres dira :
« Moïse était un homme très humble, plus qu’aucun homme sur la terre. » (Nb 12, 3)
Dans l’évangile, l’apôtre saint Jean fait de même :
« Maître, nous avons vu quelqu’un chasser des esprits mauvais en ton nom ; nous avons voulu l’en empêcher, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. »
Mais Jésus ne se laisse pas enfermer dans cette manière de faire.
On en trouve d’autres exemples chez d’autres personnages de la Bible : Jean-Baptiste qui, lorsque ses disciples s’inquiètent du succès que rencontre Jésus (Jn 3, 26-30), leur répond paisiblement :
« Il faut que lui grandisse et que moi je diminue. »
Pierre, lorsque les païens de la maison de Corneille parlent en langues (Ac 10, 44-47).
Paul, qui cherche avant tout l’annonce de l’évangile même si ceux qui le font n’ont pas toujours l’intention droite :
« Qu’importe ? Après tout, d’une manière comme de l’autre, hypocrite ou sincère, le Christ est annoncé, et je m’en réjouis. Je persisterai même à m’en réjouir. » (Ph 1, 12-18)
Nous évoluons dans un monde marqué par une concurrence féroce. Nous en sommes marqués. Pour les chrétiens, la saine émulation, oui ; la concurrence, non.
Il n’y a pas que dans le domaine politique où l’on a quelquefois l’impression que l’on cherche davantage son prestige personnel ou celui de son parti plutôt que le bien commun. Hélas cela peut arriver aussi dans L’Église. Il y a un esprit de clocher qui n’est pas du tout évangélique. Le bien, la vérité, le beau ne nous appartiennent pas. Nous sommes appelés à rechercher le bien, la vérité, le beau de quelque lieu qu’ils proviennent, sans avoir l’a priori mortifère des chefs des prêtres :
« De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ? »
L’attention aux répercussions que notre agir peut avoir sur les petits
Il y a une forme d’individualisme qui minimise l’impact de nos choix sur les autres et en particulier les petits. Face à cela, Jésus a une parole sévère :
« Celui qui entraînera la chute d’un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer. »
Nous pourrions appliquer ici un principe cher à Élisabeth Lesueur :
« Toute âme qui s’élève élève le monde »
Mais aussi : toute âme qui s’abaisse abaisse le monde. Cela est d’autant plus vrai si nous avons une responsabilité vis-à-vis d’autres personnes comme les parents et les responsables à tous niveaux dans la société et dans l’Église.
L’individualisme et la recherche de son propre bien-être nous aveuglent souvent sur les répercussions que nos choix ou nos prises de positions peuvent avoir sur les autres.
Saint Jacques nous alerte sur l’indifférence qui va à l’encontre de la solidarité
« Vous avez recherché sur terre le plaisir et le luxe, et vous avez fait bombance pendant qu’on massacrait des gens. »
Je dois vous avouer que cette phrase a « fait mouche » en moi qui vit en Occident où nous avons tendance à vivre dans le plaisir et le luxe.
L’Église n’est pas du tout opposée à la propriété privée. Mais ce droit n’est jamais un absolu.
« Le droit à la propriété privée est subordonné à celui de l’usage commun, à la destination universelle des biens » (voir encyclique Laborem exercens, n° 14, et aussi : CEC no 2444-2448).
Cela ne vaut pas seulement pour les biens matériels mais tous les biens. Le désir de Dieu, c’est que tous les hommes soient heureux, « que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2, 4)
Conclusion
En conclusion, je voudrais insister sur un autre aspect est très présent dans les lectures du jour : le fait que la perspective du Royaume exerce une influence concrète sur notre manière d’agir.
Pour reprendre l’image de l’introduction : le Seigneur nous donne des repères pour notre navigation, notamment (mais pas seulement) cet esprit de corps qui va à l’encontre de l’individualisme ambiant.
Mais le Seigneur nous invite à ne pas oublier le Royaume qui est notre destination ultime. Dans la deuxième lecture, saint Jacques s’étonne :
« Vous avez amassé de l’argent, alors que nous sommes dans les derniers temps ! »
Il trouve que c’est un non-sens d’amasser de l’argent alors que nous avons le Royaume en vue.
Dans l’évangile aussi, Jésus a des paroles fortes :
« Si ta main t’entraîne au péché, coupe-la.
Il vaut mieux entrer manchot dans la vie éternelle que d’être jeté avec tes deux mains dans la géhenne, là où le feu ne s’éteint pas.
Si ton pied t’entraîne au péché, coupe-le.
Il vaut mieux entrer estropié dans la vie éternelle que d’être jeté avec tes deux pieds dans la géhenne.
Si ton œil t’entraîne au péché, arrache-le.
Il vaut mieux entrer borgne dans le royaume de Dieu que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne, là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas. »
Cela est pour nous un appel pressant à mettre de l’ordre dans nos priorités en fonction du Royaume.
Concrètement, nous avons besoin de prendre du temps sous le regard de Dieu, pourquoi pas en des temps de retraite (où l’on se met en retrait du monde) pour concentrer ses forces en vue du royaume. Je vous invite donc à savoir prendre du temps avec la Parole de Dieu pour faire le point sur votre position : n’êtes-vous pas en train de dévier de votre but ?
Pour nous guider, nous avons bien sûr une étoile, la Vierge Marie. Elle, au moins, nous montre toujours la bonne direction. Sachons lui faire confiance, nous laisser éclairer par son exemple et porter par sa prière.
Amen.
Références des lectures du jour :
- Livre des Nombres 11,25-29.
- Psaume 19(18),8.10.12-13.14.
- Lettre de saint Jacques 5,1-6.
- Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 9,38-43.45.47-48 :
En ce temps-là, Jean, l’un des Douze, disait à Jésus :
— « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. »
Jésus répondit :
— « Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous.
Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense.
Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer.
Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la.
Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas.
Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le.
Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux pieds.
Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le.
Mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux, là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas.