Homélie du 24e dimanche du Temps Ordinaire

16 septembre 2024

« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.
Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. »

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Texte de l’homélie

« Le Seigneur m’a ouvert l’oreille. Moi je ne me suis pas révolté. »

Chers frères et sœurs,

Quelle extraordinaire profondeur, quel réalisme !

« Le Seigneur m’a ouvert et l’oreille. »

Quand on débouche les oreilles à quelqu’un, il vous en sait plutôt gré. Alors, pourquoi dans ce cas déboucher les oreilles produirait de la révolte ?…
Sans doutes est-ce parce que cela conduit à l’écoute, et que l’écoute véritable est douloureuse.

Tous ceux qui accomplissent un travail d’écoute savent combien cela peut être harassant, car pour écouter, j’abandonne mes projets, mes préoccupations, je m’oublie véritablement. Certains de nos vieux frères prêtres étaient ainsi comme prisonniers de leur bureau, où ils n’étaient qu’écoute, attention, compassion… Quel bien ont-ils pu faire et à quel prix !

Mais pensons-y : quand il s’agit non plus d’écouter seulement les hommes, mais Dieu Lui-même, combien cela nous travaille, nous laboure en profondeur… Car quand Dieu parle, Il crée, Il recrée, Il reconfigure, et de telles reconfigurations sont douloureuses. Et ces reconfigurations viennent chercher en nous le péché inconscient, viennent questionner notre système de survie psychologique, nos justifications… nous devenons pauvres. Bref, il ne suffit pas d’entendre pour écouter. Le Démon a tout entendu, tout retenu, peut-être tout compris, mais il n’a pas écouté…

Dans notre première lecture, l’écoute est donc cette première qualité du Serviteur. Mais il en est une autre, que cite souvent l’évangile, c’est la fidélité :

« Serviteur fidèle, tu t’es montré fidèle en peu de choses, je t’en confierai de plus grandes. »

Et aujourd’hui Jésus nous montre ce qu’implique la fidélité. La fidélité, c’est Le suivre jusqu’au bout, c’est donc passer avec Lui par où Il est passé, sans rechercher nullement l’épreuve. Mais nous savons que si notre amour dure dans le temps, il rencontrera inévitablement la souffrance. Suivre impliquera toujours prendre la croix à un moment donné :

« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. »

C’est une loi marquée dans l’airain et il vaut mieux la connaître. Parfois on est surpris de voir les jeunes couples l’ignorer : bien sûr, au début d’une aventure tout est couleur de rose. Puis vient l’épreuve, la souffrance, les incompréhensions. Alors, on se dit qu’on n’est pas fait l’un pour l’autre : combien de couples pourraient traverser l’épreuve s’ils connaissaient, s’ils acceptaient cette loi d’airain ?
Et c’est la même chose pour la vie religieuse et le sacerdoce.

Oui le prix de la fidélité, c’est le sacrifice, ce ne sont pas des pensées humaines. Humainement, on voudrait que tout aille toujours bien, on pense que l’épreuve est anormale, on envisage la souffrance comme une anomalie…
Mais, d’une voix qui vient du profond de la terre et du plus haut des cieux, Jésus a dit à Pierre, qui voulait lui épargner la souffrance :

« Passe derrière moi Satan, tes pensées ne sont pas mes pensées… »

Refuser la Croix est démoniaque. Esquiver systématiquement la souffrance conduit à la monstruosité.

Chers frères et sœurs, combien notre absolutisation du confort, de nos aises, de notre éthique indolore nous conduit aux portes de l’abîme. Quand on supprime des vies parce qu’elles gênent, que ce soit en leur début ou en leur fin, quand on rejette des bateaux chargés de grappes humaines - le Saint Père nous l’a rappelé - cela ne peut jamais être un geste d’humanité !

C’est dur à dire, mais le refus de la pénitence conduit à l’apostasie, à la trahison. Soljenitsyne le disait :

« L’Occident manque de courage, et le premier courage, c’est de supporter. Et un Occident sans courage, est un Occident renégat. »

Cette souffrance c’est aussi celle de la charité, celle de l’accueil ! Saint Jacques nous le rappelle :

« Supposons qu’un frère ou une sœur n’ait pas de quoi s’habiller, ni de quoi manger tous les jours ; si l’un de vous leur dit : « Allez en paix ! Mettez-vous au chaud, et mangez à votre faim ! » sans leur donner le nécessaire pour vivre, à quoi cela sert-il ? »

Quand nous avons des pauvres qui frappent à la porte de l’abbaye, avouons-le ce n’est jamais le bon moment, la tentation de se défiler peut surgir, je suis le premier à en faire l’expérience. Qui ira leur servir le repas quand mille et une choses nous appellent et nous angoissent ? Cette souffrance que supposent l’accueil, la disponibilité, qu’elle est difficile à accepter ! et pourtant, nous serons jugés là-dessus.

Mais si ce vagabond qui vient de frapper - ce passager, comme nous les appelons - avait quelque chose à nous donner, si nous acceptons de faire l’expérience de bien le servir, n’allons pas expérimenter en nous une joie nouvelle, toucher une autre dimension, frôler quelque chose du ciel ?

Oui accepter la souffrance de l’amour, la souffrance de la fidélité, n’est pas sans récompense. C’est ce que dit la première lecture par la bouche du Serviteur :

« Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; il est proche, celui qui me justifie. »

Oui le Seigneur vient à notre secours. Cette docilité à la parole de Dieu, cet accueil de l’épreuve, de la croix nous connecte à l’invulnérabilité divine !

« C’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, je sais que je ne serai pas confondu. »

Le Christ dans Sa Passion, en vertu de cette écoute, de cette obéissance, a été comme en prise directe avec ce roc qui est en Lui, et qui sera le principe de Sa résurrection, c’est à dire Sa divinité.

Et la petite Thérèse au plus noir de son épreuve spirituelle disait encore :

« Le fond de tout c’est la joie »

C’est le mystère de la coexistence d’une détresse abyssale et d’une paix surnaturelle, inaltérable…
Et nous-mêmes, nous ne pouvons traverser la souffrance que si nous nous savons invulnérables, que si nous pouvons toucher la gloire pour ainsi dire. Ce ne sont pas toujours des souffrances de martyrs, mais prenons simplement toutes les petites souffrances, lot quotidien de la rentrée scolaire : se soumettre à nouveau à un rythme, assumer des responsabilités, être évalué par son patron, ses professeurs. Nous allons vivre inévitablement un peu plus sous pression…

Nous avons besoin de toucher la gloire pour garder le sourire. Soyons convaincus que nous pouvons nous appuyer sur ce roc invincible qui est en nous, qui permet que cette souffrance n’ait pas de prise sur nous, car ce rocher, c’est Dieu.

Mais que faut-il encore pour cette gloire fasse son entrée dans notre vie ? Il faut la foi, cette foi vivante dont parle Saint Jacques. Il faut aussi une confession claire du Christ comme notre Seigneur :

« Tu es le Christ, le fils de Dieu vivant »

Il faut une conviction profonde, cultivée, vivante, enracinée et alimentée par la Parole de Dieu. Sans cette Parole, il n’y a pas de Foi, car elle vient de ce que l’on entend. Lors des persécutions dans l’empire Romain, on exigeait des Chrétiens qu’ils livrent les livres sacrés, car leur retirer les Écritures, c’est supprimer la vie de l’âme.

Pour terminer, nous pouvons évoquer ce film américain : Le livre d’Éli. Un homme déambule au milieu d’un monde dévasté par une apocalypse, au milieu d’êtres humains défigurés par la bestialité, avec pour seule arme une Bible, dernier exemplaire qui a échappé à sa destruction systématique…
C’est une belle parabole de la parole que l’on veut faire disparaître et qui en même temps nous fait échapper à la marée noire d’un monde qui fuit loin de Dieu.

Chers frères et sœurs, nous avons tout pour traverser le monde sans qu’il nous brise, pour garder au cœur une joie inaltérable et communicative.
En Marie, le Royaume est advenu en plénitude, la Résurrection a produit tout son fruit. Qu’Elle nous enseigne à méditer tous les événements de la vie du Seigneur. Il sera notre force, Il sera notre gloire,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 50,5-9a.
  • Psaume 116(114),1-2.3-4.5-6.8-9.
  • Lettre de saint Jacques 2,14-18.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 8,27-35 :

En ce temps-là, Jésus s’en alla, ainsi que ses disciples, vers les villages situés aux environs de Césarée-de-Philippe. Chemin faisant, il interrogeait ses disciples : « Au dire des gens, qui suis-je ? » Ils lui répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes. » Et lui les interrogeait : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pierre, prenant la parole, lui dit : « Tu es le Christ. »
Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne. Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite.
Jésus disait cette parole ouvertement. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches.
Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.
Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. »