Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs,
Vous l’aurez bien compris, les lectures d’aujourd’hui nous invitent à approfondir notre foi, notre relation au Seigneur. C’est particulièrement évident dans la deuxième lecture où Saint Jacques reprend et commente la parole de Jésus avec ces mots :
« Ce n’est pas en disant "Seigneur" "Seigneur", mais en faisant ma volonté. »
Il ne suffit pas que nous suppliions, que nous demandions au Seigneur d’être comblés. Notre foi a besoin d’être vivante, pleine, concrète, efficace, car - le Seigneur n’a cessé de nous le dire - de la même manière dont on aime Dieu on aime le prochain, et de la même manière dont aime le prochain on aime Dieu, quelque soit les justifications que l’on veut apporter.
C’est le même amour, c’est le même mouvement du cœur.
Cet approfondissement se fait aussi surtout à travers l’Évangile. Nous arrivons à ce que les commentateurs ont appelé la confession, la profession de Foi de Pierre. Il dit :
« Tu es le Christ ! »
Et nous qui sommes les lecteurs de l’Évangile aujourd’hui, nous arrivons à son milieu et nous disons : « Enfin ! ». Car il commence par ces mots :
« Évangile de Jésus-Christ, fils de Dieu… »
Et l’on sait directement de qui il s’agit, on a l’habitude de le nommer ainsi. Et tout au long de l’Évangile, on voit que cette identité de Jésus pose problème. Il a été appelé de différentes manières et les disciples eux-mêmes ne l’on appelé que "maître", ce sont les démons et les possédés qui l’appellent « Christ », mais le Seigneur les rabroue vivement.
Malheureusement, la traduction ne rend pas la force de ce mot que l’on pourrait remplacer par un mot plus que familier. En d’autres termes, Il chasse le démon par une parole forte, et c’est le même terme qui est employé ici pour Pierre. Et d’ailleurs, on l’entend bien :
« Passe derrière moi Satan. »
« Il leur défendit vivement. »
Ce terme rapporté en grec utilisé pour Jésus qui chasse les démons : Il commande vivement, il interpelle la tempête avec force pour l’apaiser.
Cet épisode ne concerne pas seulement Pierre. Jésus continue l’échange en face des autres disciples, en particulier pour annoncer de la Passion, de la manière dont Il va être Messie. Et, Il ne se contente pas d’annoncer Sa mort, mais Il ajoute :
« Si quelqu’un veut me suivre, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. »
Jésus est confronté à ces transformations et ces déformations que nous faisons. Tout au long de de l’Évangile, on voit que les uns et les autres s’interrogent sur Jésus, et lorsqu’ils l’accueillent, ils le font à la mesure de leur propre cœur, suivant leurs espérances. Si Jésus refuse catégoriquement ce titre de Christ, c’est parce qu’il est chargé d’ambiguïté, car les uns et les autres s’imaginent le libérateur politique, le sauveur qui va rétablir la réalité en Israël, enfin, après toutes ces années de domination et de dépendance…
C’est celui qui nous apporter le Salut, mais par les armes et la révolution s’il le faut. Et c’est d’ailleurs très certainement ce qui est arrivé au Zélote, ardant défenseur de cette indépendance du pays qu’est Judas, qui aura simplement à travers ses espoirs ce qu’il attend de ce sauveur. Mais, si on lit bien l’Évangile, on voit que Jésus s’est toujours défaussé. Il ne se laisse enfermer et Il rabroue vivement.
Effectivement, il y a un progrès car Il est nommé Christ ! Et d’ailleurs, le passage l’évoque avec la guérison d’un aveugle de manière progressive : il dit qu’il voit mais cela reste flou car il distingue des personnes comme des arbres.
Jésus est bien le Christ, le Messie, mais non pas à notre manière, comme nous le voudrions, celui qui enlèverait tout par la force, par des actions tonitruantes. Non, cela va être par Sa Passion, par Sa Croix.
Car si Jésus était simplement Messie au mode « davidique », sa prétention, son identité seraient pratiquement une idolâtrie ? Ce serait insupportable, et c’est justement de cela qu’on va l’accuser. Mais Jésus n’est Christ, n’est Messie, n’est Sauveur que comme crucifié.
Et c’est cette centralité de la Croix avec laquelle nous avons tellement de mal. Si l’on y réfléchit, dans la messe nous célébrons, nous rappelons et nous proclamons la mort et la résurrection du Christ, ce Christ mis à mort – ce n’est pas un accident ni un intermède avant la résurrection – et nous Le découvrons vivant et Sa présence reste forte. Il peut se manifester, mais Il est passé de l’autre côté.
Nous le voyons, Il invite ici les disciples à réfléchir et Il se tourne vers la foule et Il dit :
« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix, qu’il me suive. »
Il faut entendre « qu’il renonce à lui-même » comme « qu’il se renie ». C’est très fort car c’est le mot qui est employé pour décrire le moment où Pierre renie Jésus, lorsqu’il dit : « Non, je ne connais pas cet homme ! »
Pour vivre notre foi, nous ne pouvons pas simplement nous appuyer sur ce que nous comprenons à mesure d’homme, mais cela nous vient pas révélation, c’est un don du Seigneur.
Et si je dis « Je ne connais », et si je l’interprète simplement à travers mes désirs, Le réduisant à mes espoirs, ce n’est plus le Christ. Nous sommes appelés à L’écouter :
« Qu’il prenne sa croix …. »
Nous n’avons pas encore parlé de croix jusqu’ici, c’est une allusion à la Croix de Jésus. Mais, comme Jésus a pris Sa croix, on voit qu’Il l’a voulu car Il dit « Amen, je l’ai voulu d’un grand désir »
« Ma vie nul ne la prend, c’est moi qui la donne. »
Et cela nous donne ce comportement chrétien profond. Parfois, nous prions d’une manière païenne pour que Dieu fasse que les choses soient autrement qu’elles ne sont – que je ne sois pas malade, que je réussisse tel examen, qu’il n’y ait pas de catastrophe – mais à ce sujet, Jésus dit :
« Dieu fait tomber la pluie sur les bons et sur les méchants. »
Prier ne nous met pas hors du monde, mais cet amour de Jésus, cet amour du Père que nous recevons nous apprend à traverser ce monde d’une manière libre, délivrée du mal sans rentrer dans cette logique mortifère et nous appelle à communiquer à beaucoup cette liberté : voilà notre foi en action, voilà ce qu’il nous faut approfondir.
« Il ne suffit pas de dire « Seigneur ! Seigneur ! »… »
Il nous faut entrer avec détermination dans le réel de notre vie, mais le vivre avec la grâce du Seigneur, avec la miséricorde. Pour le Seigneur, nous sommes toujours un cadeau, nous sommes toujours Ses « fils » qui doivent porter cette libération, ce cœur libre pour traverser les choses et ainsi délier les chaînes.
Jusqu’ici dans cet évangile, Jésus avait fait beaucoup de miracles, beaucoup de guérisons. Après cet événement, il n’y en aura plus que deux – avec notamment une guérison d’aveugle instantanément efficace qui a lieu juste avant la Passion comme symboliquement pour nous aider à nous approprier l’Évangile et à apprendre à connaître Jésus et à Le découvrir. Nous aurons toujours à Le redécouvrir.
La première lecture qui est un de ces chants d’Isaïe, le chant du Serviteur, le troisième et qui annonce la Passion, va nous donner le moyen concret de rentrer dans cette démarche : c’est d’abord l’écoute.
« Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille et je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. »
Voilà ce que signifie prendre sa croix : Il a affronté cette réalité. Le Seigneur ne nous fait pas vivre dans un autre monde, ce n’est pas un paradis spirituellement artificiel et surnaturel. Le Seigneur rentre dans la vie concrète, Il vient jusque dans nos ténèbres, Il vient jusque dans nos enfers pour nous en ressortir.
Il faut d’abord écouter. Puis, Il nous ouvre notre cœur par notre prière, Il permet cette compréhension de l’Évangile, cette parole qui nous est donnée pour nous parler au plus profond de notre être. Non pas une parole savante qu’il faudrait interpréter d’une manière compliquée, mais une parole qui vient nous toucher au cœur.
Il faut rester dans cette présence, dans cette écoute dans notre prière, non pas seulement lire d’une manière rapide et comme extérieure, mais se laisser interroger, se laisser toucher par la parole pour qu’elle puisse agir dans notre cœur.
Voici cette grande explication de Jésus. « Quelqu’un veut-il plaider contre moi, comparaissons ensemble… Quelqu’un veut me condamner ? Dieu prend ma défense… »
C’est à travers cette pauvreté, à travers cette simplicité que le Seigneur nous donnera, non pas à partir de nos armes et notre astuce - comme le répètent souvent les psaumes avec ces termes guerriers – mais par la grâce du Seigneur que nous serons victorieux.
Ainsi, c’est sans crainte d’être pauvre, d’être démuni, mais riches à l’intérieur car le Seigneur nous fait communier à Sa mort et à Sa résurrection. C’est ce qu’est le baptême, comme on lisait récemment dans l’Épître aux Colossiens cette semaine ou dans l’Épître aux Romains : être plongé dans la mort et dans la Résurrection. Mais il faut être passé par Sa mort.
La fête de la Croix Glorieuse de Jésus que nous fêtons le 14 septembre répond en écho à celle de la Transfiguration, quarante jours après. Alors, même s’il nous arrive à tous parfois comme à Pierre de dire : « Non, pas ça Seigneur ! », apprenons à adorer, à recevoir la vie par le Christ crucifié qui n’a pas craint d’affronter ce rejet que l’on trouve dans l’Évangile.
Il y a ici tout un mélange de catégories avec Césarée de Philippe : c’est à la fois une terre juive, avec le tétrarque Philippe qui la gouverne, et une terre romaine.
Il y a à la fois les anciens, les scribes, les grands prêtres et tous ceux qui condamneront Jésus. Ainsi, n’ayons pas crainte et apprenons à passer à travers notre vie en allant puiser celle que le Seigneur nous donne, parce qu’elle nous est offerte. Le Seigneur n’arrête pas de nous appeler ses « fils » parce que chaque personne, chaque créature est une merveille pour le Seigneur et c’est ainsi que nous sommes appelés à nous voir et à regarder chacun, pour recevoir cette grâce du Seigneur et la laisser s’épanouir.
Jésus est le Sauveur et Il vient justement nous laisser nous voir tels que Dieu nous voit avec Sa grâce. Jésus vient dénouer nos liens par ce contact avec Sa parole et avec Sa personne dans ses gestes et dans les sacrements. Le Seigneur vient nous permettre de vivre cette vie en plénitude. Ce n’est pas pour demain, mais pour aujourd’hui,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Isaïe 50,5-9a.
- Psaume 116(114),1-2.3-4.5-6.8-9.
- Lettre de saint Jacques 2,14-18.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 8,27-35 :
En ce temps-là, Jésus s’en alla, ainsi que ses disciples, vers les villages situés aux environs de Césarée-de-Philippe. Chemin faisant, il interrogeait ses disciples :
— « Au dire des gens, qui suis-je ? »
Ils lui répondirent :
— « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes. »
Et lui les interrogeait :
— « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »
Pierre, prenant la parole, lui dit :
— « Tu es le Christ. »
Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne.
Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite. Jésus disait cette parole ouvertement.
Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches.
Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit :
« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. »