Texte de l’homélie :
Chers frères et sœurs, me voici devant vous avec un accessoire un peu particulier : une serrure. Avant de donner le dernier tour de clé en disant « ouvre-toi », Jésus a fait quatre tours de clé !
Avec vous, je désire ce matin re-parcourir le chemin que Jésus a suivi avec le sourd-muet de l’évangile. Il était fermé non pas à double tour mais à quintuple tour !
Je vous propose donc cinq parties qui correspondent à ces tours de clé. Cela peut nous aider d’abord à voir comment Jésus souhaite procéder avec nous et comment aussi nous pouvons procéder vis-à-vis de personnes qui sont « fermées ».
En effet au-delà de la guérison de la surdité et du mutisme physique, Jésus veut guérir aussi une surdité et un mutisme du cœur. La guérison du sourd-muet a une portée symbolique. Nous sommes concernés à la première personne pour la guérison de notre surdité et de notre mutisme spirituels.
« Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule »
Pourquoi Jésus emmène-t-il ce sourd-muet à l’écart, loin de la foule ? Il y a certainement plusieurs raisons.
La première est que Jésus ne veut pas faire du spectacle. La fin de ce passage d’évangile le confirme :
« Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne. »
C’est ce qu’on a coutume d’appeler le secret messianique. Jésus ne veut pas que l’on se méprenne sur sa mission. En s’arrêtant à la matérialité du miracle qu’il vient d’opérer, la foule risque de ne pas accueillir Jésus dans la totalité de sa mission. Certes, il est bien le Messie mais sans doute pas le Messie tel qu’ils l’imaginent : Il sera aussi le Messie souffrant.
Une autre raison est que Jésus désire nouer une relation tout à fait personnelle avec cet homme. Jamais Jésus n’instrumentalise une personne pour se faire de la publicité. D’ailleurs au début de la rencontre, le sourd-muet semble assez passif :
« Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler et supplient Jésus de poser la main sur lui. »
Jusque là, ce n’est pas le sourd-muet qui fait la démarche. Ce sont les autres qui la font pour lui. Pourtant, il n’est pas paralysé. Il aurait pu venir à Jésus et se faire comprendre d’une manière ou d’une autre. Jésus ne veut pas parler de nous à la troisième personne comme on parle d’un objet. Il veut s’adresser à nous comme à une personne dotée de volonté et de liberté. Nous devons être partie-prenante.
Emmener le sourd-muet à l’écart, c’est aussi lui donner la possibilité de se reconnecter à son intériorité, d’être lui-même indépendamment de sa difficulté de relation avec les autres. En l’emmenant à l’écart, Jésus évite que le regard des autres ne vienne parasiter la relation.
Jésus aime nous emmener à l’écart pour œuvrer en nous. C’est l’un des bienfaits de l’oraison à laquelle nous sommes appelés et vous particulièrement en tant que membres des équipes Notre-Dame.
« Jésus… lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue »
Je ne sais pas si vous aimeriez que quelqu’un, avec sa salive, vous touche la langue ! Nous ne sommes pas forcément invités à reproduire matériellement le geste.. Cependant nous ne pouvons pas ignorer la dimension très incarnée de l’action de Jésus. Les esprits forts qui se moquent des gens qui – par exemple – touchent le rocher à Lourdes, risquent de passer à côté de la grâce de Dieu.
C’est cette dimension très concrète que l’on retrouve dans les sacrements de l’Église. Les sacrements se situent dans le prolongement de l’incarnation de Jésus. Cela comporte une dimension d’humilité. Et vous savez comme moi que l’humilité ouvre à la grâce. À plusieurs reprises la Parole de Dieu nous dit :
« Dieu s’oppose aux orgueilleux mais aux humbles il accorde sa grâce » (Jc 4, 5 ; 1 P 5, 5.
Un peu comme Naaman le Syrien (2 Rois 5, 1-19), nous ne comprenons pas toujours la manière dont le Seigneur veut agir et comme lui nous sommes quelquefois prisonniers de nos idées trop étroites et piqués dans notre amour-propre. C’est dans la docilité aux paroles du prophète Élisée que Naaman recevra sa guérison.
D’ailleurs, il est intéressant de voir que Jésus ne fait pas ce qu’on lui demande : « Des gens… supplient Jésus de poser la main sur lui » et Jésus fait autre chose : Il « l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue ».
Laissons à Jésus le choix des moyens par lesquels Il veut guérir cet homme.
De la même manière, nous préférerions peut-être que les sacrements se passent autrement : qu’on puisse se passer d’eau pour le baptême ou qu’on évite d’avoir à rencontrer un prêtre pour se confesser ! Mais nous sommes invités pour accueillir la grâce à faire une démarche d’humilité.
Dans les sacrements, il y a une proximité très grande du Christ. Les sacrements sont dans le prolongement de l’incarnation du Christ. C’est ainsi qu’on ne peut pas baptiser à distance. On ne peut pas se confesser par mail, par téléphone ou par skype…
Jésus « soupira » …
Le soupir évoque le gémissement que poussait Israël en esclavage en Égypte :
« J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte ; j’ai entendu leurs gémissements et je suis descendu pour les délivrer. » (Ac 7, 34, discours d’Etienne)
C’est aussi le gémissement dont parle Saint Paul :
« Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. » (Rm 8, 22)
Le « soupir » que Jésus émet au moment de toucher les oreilles du sourd nous dit combien Il ne peut rester indifférent aux souffrances des personnes. A un moment donné, Jésus ayant guéri de nombreux malades, l’évangéliste commente :
« Il a pris nos souffrances, il a porté nos maladies. » (Matthieu 8, 17)
Dans son cheminement, le sourd-muet est appelé à se laisser toucher par la compassion et l’amour de Jésus :
« L’amour du Christ nous saisit quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous, et qu’ainsi tous ont passé par la mort. Car le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux. » (2 Co 5, 14-15)
« La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. » (Rm 5, 8)
« les yeux levés au ciel … »
Le fait de lever les yeux au ciel nous parle de la prière du Christ à son Père. Le geste de lever les yeux au ciel est sans ambiguïté : Jésus ne guérit que grâce au pouvoir que lui donne son Père. Cette prière toute simple, c’est celle des hébreux gémissant de peine quand ils étaient esclaves du Pharaon d’Égypte :
« Du fond de leur esclavage, les fils d’Israël gémirent et crièrent. Du fond de leur esclavage, leur appel monta vers Dieu. » (Ex 2, 23)
C’est l’attitude décrite par exemple dans le psaume 122 :
« Vers toi j’ai les yeux levés, vers toi qui es au ciel. Comme les yeux de l’esclave vers la main de son maître, comme les yeux de la servante vers la main de sa maîtresse, nos yeux, levés vers le Seigneur notre Dieu, attendent sa pitié. » (Ps 122, 1-2)
Lever les yeux au Ciel, c’est accepter d’arrêter de ne chercher que des solutions humaines à nos difficultés. C’est arrêter de se limiter à un regard uniquement horizontal.
En fait la formule complète est : « les yeux levés au ciel, Jésus soupira ». Il y a un lien étroit entre la compassion à l’égard de cet homme exprimée par le soupir et la prière adressée au Père.
Comme vous l’avez certainement vécu, il ne suffit pas de se laisser émouvoir par la détresse des gens ; il faut remettre cette détresse entre les mains du Dieu tout puissant.
Benoît XVI avait magnifiquement commenté ce passage :
La force qui a guéri le sourd-muet est certainement provoquée par la compassion pour lui, mais elle provient du recours au Père. Ces deux relations se rencontrent : la relation humaine de compassion avec l’homme, qui entre dans la relation avec Dieu, et devient ainsi guérison. »
(Benoît XVI, audience générale du 14 décembre 2011)
« Jésus lui dit : ’Effata !’, c’est-à-dire : ’Ouvre-toi !’ »
Après s’être tourné vers son Père, Jésus s’adresse directement à la personne malade. Dieu respecte infiniment chaque personne. Il ne force pas la porte. Il déblaye tout ce qui se trouve devant la porte et qui empêche la porte de s’ouvrir. Mais à un certain moment, c’est à la personne elle-même d’ouvrir la porte.
Sans la grâce de Dieu, la personne ne pourrait pas, mais en même temps, Dieu ne veut pas se substituer à nous pour ouvrir la porte. La grâce a donné a cet homme la force de faire ce qu’il ne pouvait pas faire par ses seules forces. Ce n’est pas un pur volontarisme.
Jésus prononce un seul mot : « ouvre-toi », qui marche dans les deux sens : pour recevoir et pour donner. C’est d’ailleurs cette même parole qui est utilisée lors du baptême où le prêtre (ou le diacre) répète la parole de Jésus : « Effata, ouvre-toi ! »
Les sacrements comportent un geste et une parole. Le geste ne suffit pas, il faut aussi la Parole prononcée avec autorité pour que la grâce soit donnée.
Conclusion
En guise de conclusion, je vous propose deux points d’attention. En effet, la description de la guérison est très évocatrice : les oreilles s’ouvrent ; la langue se délie !
« Les oreilles s’ouvrent »
Cela veut dire que jusqu’alors elles étaient fermées. L’oreille ouverte est signe de docilité. C’est la mission du Serviteur que nous présente Isaïe :
« Dieu mon Seigneur m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire, pour que je sache à mon tour réconforter celui qui n’en peut plus. La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire. Le Seigneur Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé » (Is 50, 4-5)
Peut-être y a-t-il des choses que nous n’avons pas envie d’entendre ou que nous ne sommes pas prêts à entendre ? Qui d’entre nous pourrait prétendre avoir les oreilles pleinement ouvertes !
À notre tour, nous pouvons demander au Seigneur de nous ouvrir l’oreille.
« La langue se délie »
Cela veut dire que jusqu’alors elle était comme liée. Combien de liens peuvent inhiber notre parole, notamment la peur de ce que pensent les autres, la peur de paraître ridicule, d’être objet de moquerie ou d’être incompris, la mésestime de soi-même.
Dans le mutisme on peut voir une forme de paralysie du don de soi. Or nous avons beaucoup à donner aux autres, à commencer par des paroles de bénédiction.
Nous avons beaucoup à donner au Seigneur, à commencer par des paroles de louange et d’action de grâce.
Reprenons donc le verset du Psaume 51 que l’Église nous invite à dire tous les matins :
« Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange » (Ps 51)
C’est ce que faisaient les apôtres à la Pentecôte : ils publiaient les merveilles de Dieu.
C’est d’abord ainsi que l’on travaille à l’Évangélisation,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre d’Isaïe 35,4-7a.
- Psaume 146(145),6c.7-8.9a.9bc.10.
- Lettre de saint Jacques 2,1-5.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 7,31-37 :
En ce temps-là, Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler et supplient Jésus de poser la main sur lui.
Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! »
Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement. Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient.
Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »