Homélie du 22e dimanche du Temps Ordinaire

3 septembre 2024

« Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. »

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Texte de l’homélie

Frères et sœurs,

Quand vous étudiez le judaïsme, il y a parfois des choses difficiles à comprendre, notamment ces lois qui touchent à la pureté et à l’impureté. Si le texte de ce jour a un rapport clair avec l’hygiène, nous en avons un bon exemple avec cette personne déclarée comme impure. Mais il y a aussi des lois alimentaires : vous ne pouvez pas manger de porc parce que c’est interdit, vous ne pouvez pas manger d’huîtres car ce sont des animaux que l’on consomme vivants, et l’on peut s’interroger sur ce sujet.

Or, il y a peut-être deux raisons de déclarer pure et impures un certain nombre de pratiques. La fonction la plus noble est la fonction spirituelle : à travers l’interdit, il y a quelque chose de l’orgueil qui m’habite que je suis appelé à canaliser. Je suis dans une écoute par rapport à la loi du Seigneur révélée à Moïse et, en appliquant un certain nombre de commandements – il y en a 613 en plus des injonctions alimentaires, sans compter tout ce qui touche le Temple qui n’est plus d’actualité – cela va mettre une limite à mon orgueil. Par exemple, chez les Juifs religieux, le Shabbat va être respecté scrupuleusement, ce qui fait que, le vendredi soir, quand ils rentrent de la synagogue et qu’ils arrivent à leur domicile, ils ne peuvent pas faire le digicode pour rentrer dans leur immeuble et ils doivent attendre qu’un voisin non Juif ouvre la porte. C’est pour cela que, dans certains quartiers, le vendredi soir, vous voyez des familles qui attendent devant leur immeuble que quelqu’un entre ou sorte. N’est-ce pas étonnant ? qu’y a-t-il contre Dieu dans le fait d’utiliser un digicode le jour du Shabbat ?
Et pourtant, il y a cette capacité qui se développe de lutter contre ce désir d’immédiateté qui est de plus en plus répandue de nos jours.

Il y a aussi cette habitude d’avoir un réfrigérateur pour la viande et un autre pour le lait. En effet, les religieux orthodoxes juifs ne mélangent pas de type d’aliments. Il en est de même pour la vaisselle : il y a un service pour la viande et un autre pour les produits laitiers.

Voici une première fonction pour cet interdit. Et n’oublions pas que le livre de la Genèse commence aussi par un interdit qui concerne la nourriture. Ne pas respecter cet interdit signifie rentrer dans une toute puissance. Par extension, ces différents interdits qui sont dans la Torah sont données pour lutter contre la toute puissance. C’est la manière la plus noble de les envisager.

Mais il y a sans doutes une autre manière : n’est-ce pas aussi pour se distinguer des autres peuples ? « Je ne suis pas vous, vous n’êtes pas moi. »
Mais, on passe de pratiques qui ne sont pas conformes à la loi à déclarer des personnes impures, c’est tout à fait différent. C’est une chose de dire que c’est important de se laver les mains avant le repas – c’est aussi notre tradition en termes d’hygiène – mais c’en est une autre que de désigner ceux qui ne le font pas : « Tes disciples… » On montre les personnes du doigt. Et c’est à cela que Jésus réagit : on ne peut pas déclarer une personne impure sous prétexte qu’elle ne respecte pas un certain nombre de pratiques demandées par la Torah.

Dans une culture tout à fait différente, en Inde par exemple, on observe ce même phénomène : il y a également des interdits alimentaires, mais cela se manifeste particulièrement au niveau des castes. On ne peut pas toucher telle personne, on l’appelle "intouchable". On ne peut pas se marier avec une autre caste, car il y a l’idée que l’autre est contagieux.

La différence avec le Christianisme est massive : Jésus a fait imploser le pur et l’impur. Nous, nous mangeons à la table de tous. Cela peut paraître une évidence, mais pour un certain nombre de personnes, ce n’est pas le cas, notamment ceux qui respectent scrupuleusement les interdits alimentaires. Au fond, Jésus a fait passer la question de la pureté du dehors vers le dedans. Il a dit que ce n’est pas de ne pas se laver les mains ou de consommer tel aliment qui rend l’homme impur mais c’est ce qui sort de son cœur. On le sait bien, la bouche est l’abondance du cœur, et toutes les paroles et les inconduites sont ce qui rend l’homme impur.

De ce fait, notre religion est à la fois plus difficile et plus exigeante à pratiquer. En effet, il n’y a pas tant de « choses à faire » que ça. Il y a certes la messe le dimanche. Mais si vous étiez un Juif pieux, vous seriez occupé toute la journée par la pratique de la religion. Pour commencer, vous touchez la Mésusa – ce rouleau miniature placé sur le chambranle de la porte – à l’entrée et à la sortie de la maison. Il y a une bénédiction pour chaque action de la journée, même la plus simple comme sortir des toilettes. Après chaque repas, il y a une prière dédiée. Ainsi, on peut dire d’une certaine manière que le Judaïsme est une pratique. Le Judaïsme est un loi, le Christianisme est une foi, c’est complètement différent.

Cela fait que, par exemple, les fondateurs de l’état d’Israël étaient athées. Ce n’était cependant pas contradictoire avec le fait de célébrer le Shabbat, car il s’agit de mettre en pratique un certain nombre de choses. C’est une hygiène de vie, une sagesse de vie. Alors que dans la dimension chrétienne, c’est une foi qui vient irriguer notre vie.

Ainsi, c’est plus difficile parce qu’il n’y a pas de « choses à faire », et on s’en rend compte lorsqu’on accueille des catéchumènes qui nous demandent : « qu’avons-nous à faire ? ». On leur donne rendez-vous à la messe le dimanche, on propose de jeûner au moment du Carême ; pour ce qui est de la confession, c’est après le baptême, et il y a donc peu de choses à faire.
En revanche, de l’intérieur, il y a beaucoup à travailler. Et c’est là qu’est la difficulté et l’exigence de notre religion, car ça ne se voit pas.

Vous vous rappelez sans doutes de cette lettre écrite à Diognète au début du Christianisme : l’auteur s’étonne de l’attitude des Chrétiens qui vivent « comme tout le monde ». Ils mangent à la table de tous, ils s’habillent comme ceux au milieu desquels ils vivent. La seule chose qu’ils ne font pas est de sacrifier pour l’Empereur et ne disent pas qu’il est dieu.

Comme cette dimension chrétienne vient de l’intérieur, ce sera pas nos actes que l’on remarquera notre Foi. Oui, il y a une pratique, mais cette pratique vient du cœur, de cette attitude intérieure qui fait que je vais prendre conscience qu’il y a un combat spirituel en moi. Et c’est avec la grâce de Dieu, donc mu par la Foi, que je rentre dans ce combat spirituel.

Je prends conscience qu’il y a en moi tout ce que Jésus mentionne : pensées perverses, inconduite, vol, meurtre, adultère, cupidité, méchanceté, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil, démesure, sont des potentiels que je porte en moi, même sans être passé à l’acte… Mais ces pensées violentes et mortifères existent en moi. Nous sentons bien quand notre cœur est endurci.

Alors, il est vrai que d’entrer dans cette dimension intérieure et spirituelle demande d’être connecté à tout ce monde de notre intériorité, et de découvrir ces mouvements de l’âme. Cette intériorité peut être émotionnelle et nous découvrons qu’en nous, il y a des choses à faire bouger.

Prenons l’exemple de la colère. Certains dits « soupe au lait » ont la moutarde qui leur monde facilement au nez, et il peut arriver que nous ressentions une grande violence en nous-mêmes. Suis-je capable de prendre conscience de la violence qui m’habite ? elle peut être tournée vers moi-même, comme la dépréciation de moi-même, elle peut-être aussi contre l’autre jusqu’à désirer être éloigné de lui, sans pour autant le dire… Que puis-je alors faire avec cette violence ?

Et Jésus nous dit que, contre ces pensées mortifères, nous avons les armes de l’Esprit pour le suivre, lui qui est plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes. Mus par l’Esprit-Saint, nous pouvons progressivement avancer dans la grâce, par la Foi. Et c’est un travail qu’il faudra mener jusqu’à la fin : on sait très bien que l’orgueil mourra quinze minutes après nous…

C’est un travail qui dure jusqu’à la fin mais c’est passionnant la vie chrétienne ! Cela demande de descendre à l’intérieur, c’est une vie qui ne se contente pas de pratiques extérieures. Pour cela, le Judaïsme était une première approche tellement belle et intéressante et dans laquelle nous nous enracinons. Mais à travers le message de Jésus, il y a quelque chose qui va au-delà, qui puise beaucoup plus profond. Et surtout, on prend soin de ne pas catégoriser les personnes : celui-là « bon », celui-là « méchant », car je sais bien que je porte les deux en moi-même : bonté et méchanceté. En prenant conscience qu’en moi-même, il y a tout un monde qui s’oppose à Dieu, à l’esprit du Seigneur, je suis bien modeste et humble avant de critiquer, de jeter l’anathème sur quelqu’un, car je suis aussi capable du pire.

Voyez comment Jésus aborde ces sujets d’une manière tout à fait nouvelle et comment Il interpelle Ses contemporains. Vous le savez, Il a alors été convoqué par les Pharisiens et les Scribes qui veulent l’interroger. Et c’est vrai que pour les Juifs se Son temps, et en particulier les Pharisiens en raison de leur sensibilité, cela a été un vrai choc de découvrir que cet homme qui est un rabbi n’enseigne pas la tradition comme on l’a toujours fait, Il introduit une nouveauté.

Et peut-être parce que nous en avons toujours été imprégnés, nous n’avons pas pris conscience de la nouveauté qu’apporte le Christianisme. On le voit à plus forte raison quand on se heurte à des religions où il y a encore des interdits alimentaires ou des obligations vestimentaires. C’est compliqué pour nous car ce n’est pas notre culture. A l’inverse, le Christianisme a infusé dans les cultures et singulièrement en Europe.

Et aujourd’hui, nous sommes invités à ne pas rester à la superficie. Sommes-nous descendus à l’intérieur ? Prenons-nous conscience des mouvements de notre âme ? Sommes-nous attentifs à ces motions du Saint Esprit, ces appels intérieurs ?

C’est à ce prix que nous pourrons être les témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre du Deutéronome 4,1-2.6-8.
  • Psaume 15(14),2-3a.3bc-4ab.4d-5.
  • Lettre de saint Jacques 1,17-18.21b-22.27.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 7,1-8.14-15.21-23 :

En ce temps-là, les pharisiens et quelques scribes, venus de Jérusalem, se réunissent auprès de Jésus, et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées.
Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, par attachement à la tradition des anciens ; et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de carafes et de plats.
Alors les pharisiens et les scribes demandèrent à Jésus :
— « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas avec des mains impures. »
Jésus leur répondit :
— « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : ‘Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains.’
Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. »
Appelant de nouveau la foule, il lui disait :
— « Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. Car c’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur. »