Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs,
Le texte biblique est parfois bien paradoxal… Dans notre première lecture, on voit que les Hébreux ont traversé la soif, la faim, la manne et l’angoisse, et c’est quand ils reçoivent la manne que Dieu dit qu’Il les met à l’épreuve. Le Seigneur veut montrer que le dénuement n’est pas une épreuve mais que la satiété en est une. Elle survient quand Dieu répond à nos désirs : Il nous donne ce que nous souhaitons mais voilà le grand risque pour nous. C’est tout le sens de cette première lecture.
Pourquoi ? ce don que Dieu me fait peut me combler, mais me renverra-t-il au Donateur ?
Jésus le dit Lui-même dans l’Évangile :
« Vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés. »
Et c’est ce qui s’est passé avec ceux qui ont reçu les pains après la multiplication des pains. Ils sont plus intéressés par les dons de Jésus que par Jésus Lui-même… Voilà pourquoi Jésus propose de donner une autre nourriture. Il s’en va sur une autre rive comme pour dire : « changez de mentalité, déplacez-vous dans votre tête et dans votre cœur. »
Quand passerons-nous d’un rivage à l’autre ?
Cette question se pose à nous aussi aujourd’hui : notre désir est comblé et cela nous suffit ? Vous le savez, à le fin de la célébration du mariage, il y a une bénédiction de mariage qui dit :
Voilà pourquoi, quand le Seigneur enseigne le Notre Père, Il commence par trois invocations dont celle concernant le pain :
« Donne-nous aujourd’hui le pain de ce jour. »
Et si vous revenons au texte grec, nous pourrons retrouver une des manières de traduire qui nous amène à comprendre un autre sens : oepiousios signifie le surnaturel : « Donne-nous le pain surnaturel ».
Ne nous trompons pas : il s’agit du pain super substantiel, du pain surnaturel, celui qui est au-dessus de la terre, celui descendu du Ciel, le seul que nous puissions vraiment demander.
Qu’est-ce que ce pain descendu du Ciel ?
Ce n’est pas une simple consolation affective, une lumière pour notre intelligence. C’est Dieu lui-même qui se donne à nous, et que nous recevons notamment dans l’Eucharistie.
Vous connaissez sans doutes cette petite anecdote concernant une des paroissiennes de Saint Philippe Néri. Cette dame partait immédiatement après la communion, trop pressée qu’elle était. Un jour, se mettant d’accord avec ses servants d’autel, il la fait escorter de deux portes flambeaux jusqu’à sa maison. Toute honteuse, cette personne a bien compris qu’elle portait en elle-même l’Hôte divin même en dehors de l’Eglise, et qu’elle lui devait plus d’égards…
Oui, nous sommes tabernacles vivants.
Mais c’est trop peu dire car Dieu se fait notre nourriture : Son être mêle ses fibres notre être. Nous l’assimilons tout autant qu’Il nous assimile. Il entre en composition avec nous : tout en restant le « saint », le séparé, Il est pourtant tout mêlé à nous même.
Cela n’est dans aucune autre religion. Les fibres de notre âme s’entrelacent avec sa grâce.
Que vient-il nourrir en nous ?
Ce pain venu du Ciel vient nourrir notre cœur. Bien entendu, notre corps a besoin de nourriture terrestre faite de lipides de glucides et de protéines. Mais la seule nourriture qui convienne à notre cœur, dans sa plus grande profondeur, c’est Dieu.
Le cœur est lei lieu de Dieu. droite
Pour le corps le pain, pour la sensibilité, l’affection, pour l’esprit la culture et la vérité, mais pour le cœur, Dieu lui-même. « Il est le lieu de Dieu » comme disent les pères de l’Église.
Tout ce qui n’est pas de cet ordre, rend le cœur malade : donner du fini à notre cœur là où il a besoin d’infini, c’est l’empoisonner, le pervertir. Et cela s’appelle le péché, selon la définition exacte du CEC : « Aversio a Deo conversion ad creaturas », donner du fini à ce qui est capable d’infini.
C’est pourquoi il faut être vigilants aux nourritures que nous donnons à notre propre cœur. Ce pain vient nourrir en nous cette vie intérieure qui nous permet d’agir selon Dieu, à la manière d’un fluide intérieur. Le sang coule en nos veines, la lymphe innerve notre corps, ainsi nous pouvons marcher, nous dépenser. Et notre organisme spirituel a lui aussi besoin d’un fluide. C’est la grâce, la grâce de Dieu, cette vie de Dieu en nous ; elle rend fort l’homme intérieur, l’homme nouveau comme l’appelle Saint Paul.
Un être vidé de son sang meurt, de même sans la grâce, l’homme intérieur est faible, anémié.
Comment reconnaître un homme intérieur vigoureux ?
Un homme intérieur vigoureux ne se laisse pas entraîner par les sollicitations des envies, des passions, il apprend à désirer Dieu et Dieu seul. Il sait aimer au-delà des préférences et des répulsions et la joie est son signe distinctif.
Voilà, nous recevons cette nourriture, et nous aimons avec un autre cœur. Sans ce pain venu du Ciel, c’est impossible…
A tous ceux qui nous disent : « les chrétiens sont des hypocrites : ils vont à la messe le dimanche, et continuent de pécher ensuite ». C’est certain, on ne peut pas les contredire, mais il faudrait parvenir à leur faire comprendre que nous serions certainement bien pire sans la communion !
Cela dit, l’ordre normal des choses c’est que l’eucharistie nous transforme de l’intérieur, nous transfigure, et ce que nous recevons rend notre présence au monde différente : depuis notre visage, jusqu’à nos paroles et à nos réactions. A ce propos, Saint Paul dit :
« Nous avons un comportement autre, celui de l’homme nouveau, créé saint et juste dans la vérité. »
Oui, nous avons à être un peu du Ciel sur la Terre, c’est mission. Bref, une fois transformés par l’eucharistie, nous changeons une atmosphère. Ce que nous dégageons, notre souffle pourrait-on dire, n’est plus empoisonné, il se confond avec celui de Dieu, dit même Jean de la Croix, nous sommes en quelque sorte capable de spirer l’Esprit Saint !
Chacun d’entre nous a fait l’expérience de ces personnes avancées spirituellement : et là où elles sont, l’atmosphère n’est plus la même, on se sent meilleur. Auprès d’elles, on n’a plus envie d’être impurs ou querelleurs…
A nous de susciter cette nouvelle atmosphère
Comme le dit Paul VI de manière très synthétiques, voilà ce qu’est la civilisation de l’amour.
Nous sommes les artisans de ce changement. Et Jésus dit :
« Le pain que je donnerai c’est mon corps pour la vie du monde. »
Oui ce corps donné par le Christ, mais il doit être reçu d’abord par les Chrétiens, qui par leur amour, vont donner vie au monde. C’est dans l’ordre des choses :
« Prenez et mangez. »
Ne croyons pas qu’il suffise de laisser Jésus au tabernacle, et que comme une pile atomique le monde va changer sous l’effet de Son irradiation… Jésus Eucharistie garde certes un rayonnement absolu et immédiat, mais Il nous envoie ! Il veut que nous soyons ces intermédiaires entre le corps très pur du Seigneur et le monde qui s’épuise dans ses erreurs et ses hontes pour le transformer.
Notre mission est de transformer le monde
Voilà pourquoi la dernière partie de la messe, ce n’est pas la bénédiction finale, mais c’est toute notre vie qui suit l’eucharistie, ce que nous en ferons.
Si notre rayonnement est réel alors ceux qui sont loin de l’Église nous demanderons : d’où cela vous vient-il ? qui est-Il celui qui vous transforme, quelle est-elle cette nourriture mystérieuse ? « man hou » ? puissions nous susciter cette interrogation dans le cœur de ceux qui nous entourent. Il faut en donner l’envie.
Il y a un an, un de nos frères en mission à Toulouse avec un mouvement d’évangélisation nous écrivait :
Pour cela, il a fallu que notre frère ait eu ce visage eucharistique pour donner à cet homme le désir de remonter à la source, vers celui qui a rejoint son cœur.
Marie est celle qui s’est laissé totalement reconfigurée par l’Eucharistie. Sur son visage, on discerne celui de son Fils qui se donne tout entier. Qu’elle nous enseigne à la recevoir pour l’imiter jusqu’au bout,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de l’Exode 16,2-4.12-15.
- Psaume 78(77),3.4ac.23-24.25.52a.54a.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens 4,17.20-24.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 6,24-35 :
En ce temps-là, quand la foule vit que Jésus n’était pas là, ni ses disciples, les gens montèrent dans les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus.
L’ayant trouvé sur l’autre rive, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? »
Jésus leur répondit :
— « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés.
Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son sceau. »
Ils lui dirent alors :
— « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? »
Jésus leur répondit :
— « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. »
Ils lui dirent alors :
— « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ?
Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : ‘Il leur a donné à manger le pain venu du ciel.’ »
Jésus leur répondit :
— « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel.
Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. »
Ils lui dirent alors :
— « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là. »
Jésus leur répondit :
— « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. »